dimanche 21 février 2021

Concussion.

 - Monsieur l'Ambassadeur, un peu de concussion serait nécessaire pour continuer.

C'est ainsi que s'adressait à notre haut représentant assis sur son fauteuil, vieil appareil filaire en main, dans un pays où toute communication était hasardeuse sinon impossible, un préposé aux communications internationales 

- fonctionnaire fort lettré mais fort mal rétribué par voie officielle et souvent avec des intermittences dans le versement de ses maigres émoluments, le "citoyen" (c'était le terme officiel, l'appellation "Monsieur" étant bannie) débrouillard qui pour survivre n'avait guère le choix, et qui pour tourner la nouvelle loi et recevoir plus tard sa rémunération extra (à moins que l'usager n'en ait convenu d'avance et ait déjà versé quelques prébendes) se faisait appeler par un prénom "chrétien" lui aussi interdit par la nouvelle loi sur l'incroyable authenticité zaïroise - 

depuis son tabouret à la Poste Centrale de Kinshasa, au premier étage interdit au public, et ceci bien sûr . . .  bien avant le téléphone portable, après avoir interrompu la conversation transmise à Paris, 

bien avant que l'un des successeurs de cet ambassadeur 

qui allait devoir s'exécuter en versant, qu'il le veuille ou non, s'il voulait continuer à communiquer, cette simple obole, 

soit, quinze ans plus tard, dans ce même bureau, "mystérieusement" assassiné de trois balles dans le cœur, par des tueurs identifiés (officiellement, pour le Quai d'Orsay, accidentellement et d'une seule et dernière balle d'une rafale lancée "en diagonale" à partir d'un combat de rue qu'il observait, rideaux tirés, de la fenêtre de son bureau)

selon le témoignage très fiable (je ne parlerai que de celui qui téléphonait) de l'ambassadeur du moment, déjà placé sous le même règne dictatorial.

Mise en perspective : bien sûr il n'est pas question de comparer, bien que mis en parallèle et décalés dans le temps; les degrés de crime et de corruption auxquels le régime était arrivé.

vendredi 19 février 2021

Baton percé magdalénien.


 Mon vieux téléphone a le mérite d'être petit, léger, maniable, il ne troue pas mes poches mais il est vrai que je l'emporte peu, je ne m'en sers que très peu, je le laisse là le plus souvent à décharger sur mon bureau; il est pourtant dans le même état que la plupart des batons percés, de ceux qu'on trouve dans les gisements magdaléniens qui munis de trous et faits de bois de cerfs ou de rennes, sont assez abimés, il a beaucoup servi. A quoi au juste ? Il est vrai que je l'ai surtout utilisé à sens unique, plus pour appeler, deux mots pour dire en général tout va bien ou "je suis là" quand je sais que quelqu'un se préoccupe de moi et que je me promène, souvent loin et seul. Il a d'ailleurs fallu que ce quelqu'un insiste pour que je l'emporte et puisse éventuellement appeler. Je suis de cette génération qui détestait avoir un fil à la patte et qui souffrait plus qu'elle n'abusait de liens.
En revanche, j'ai toujours aimé écrire et j'aime encore. Les conversations écrites et souvent accompagnées au coin des feuilles, marginalement, de dessins, me convenaient. C'est pourquoi j'ai mordu au blog et aux dits réseaux sociaux où l'on peut librement raconter ce qu'on veut, rester à distance, disparaître, ne pas montrer la tête qu'on fait.
C'est donc tout à l'envers.
Comme les préhistoriens cherchent depuis plus de cent ans à comprendre à quoi ont bien pu servir ces morceaux taillés, polis, gravés, troués, de bois de rennes travaillés comme des bijoux : tendeurs de cordes,  redresseurs de flèches, piquets de tentes de peaux, objets de parade ou de commandement, outils, ornements, objets d'art, courtes cannes à pêche pour enrouler et tirer le fil comme font encore les Eskimos dans les trous de la glace, parures de ceintures ou de bonnets, éléments d'une machine simple à fabriquer des cordes ? . . . . je me sens tout à l'envers, archéologue enterré sous les strates du récent passé, chercheur du dessous, regardant vers le haut les couches entassées, sachant tout de cet usage infiniment riche que remplit le portable encore appelé téléphone qui devient un fourre tout d'actions multiples, un support et une clé d'activités complexes, mais en ignorant parfaitement le maniement, ne cherchant d'ailleurs nullement à en faire l'expérience, ne cherchant nullement, comme le font les préhistoriens, sauf occasionnellement, à en re-trouver l'usage par essai manuel et re-constitution de gestes probables, de taille, de polissure, de gravure, de percement, de lancement ou de tenue en main.
Je suis donc un faux archéologue retourné et enterré sous le présent grandissant.

mercredi 10 février 2021

Tournevis paléolithique.






 Je crois que ça valait la peine, après avoir trouvé la pointe de flèche dans mon jardin (voir article précédent) voilà que j'ai trouvé un tournevis néolithique ou peut-être même paléolithique, et voilà que j'adhère tout de suite à un club de discussion préhistorique formé sur Facebook où je jette mon pavé (un caillou de mon jardin) dans la mare. Tout le monde est contre moi sauf un Américain du Missouri qui pense que mes trouvailles qui ne vont pas révolutionner la préhistoire, sont cependant magnifiques. Tout cela, le débat, le haro sur le baudet et les encouragements me fait et me font un bien fou.
P.S. ; ce qui est incroyable c'est que ce "tournevis" qui pourrait être un grattoir de nos ancêtres et même en termes appropriés un burin double de type Noailles (après tout la Corrèze et le Périgord ne sont pas si loins d'ici et ces instruments se retrouvent jusqu'en Espagne et en Italie depuis 30.000 ans) et qui a, vous l'aurez remarqué, une forme d'oiseau, vu sous un certain angle, s'encastre à plaisir dans ma main, forme des doigts, longueur de la paume, place du pouce. Préhistorique ou pas, je vais l'utiliser. Ensuite, quand nous aurons enfin peut-être un jour et disponible un vaccin, je pourrai, si je trouve d'autres pièces, et là faudra pas invoquer les hasards de la nature pour disqualifier mes découvertes, ou alors ce sera que j'ai été précédé sur ce territoire par la constance d'un jardinier farceur et sculpteur contemporain, peut-être alors, ouvrir un mini-musée non - huachafo (voir ce mot).


Il aurait donc peut-être servi à gratter, trouer en tournant, graver, rainurer des surfaces végétales, d'os, de peau ou de bois à une époque, tellement avant l'olivier fructueux et le raisin vineux . . . , où l'on pouvait se nourrir ici, dans mon jardin, directement dans la nature, passant sur son blason herbeux : de loups, de hyènes, de mammouths, de rennes, de lièvres ou de renards. Non je ne rêve pas et je ne suis sous influence d'aucun acide.

Pointe de flèche ?


 

dimanche 7 février 2021

Ne pas oublier . . .

 . . . . de reparler de la vieille dame que j'ai laissée par terre sous son citronnier au début de ce roman parcellaire, plein de haies, de carrières et de mines, de ciels blancs

d'évoquer la misère de Buenos Aires avec ses banlieues effilochées, reproduites d'une Europe ici, au Sud, reproduite à l'envers et dévastée par les crises à répétition qui ont poursuivi leur course par le pillage, comme des convulsions sans fin, les années de torture et massacre des meilleurs éléments, les plus jeunes, prometteurs, conscients, révoltés, courageux, audacieux rêveurs, l'exil des autres plus précautionneux bien qu'engagés dans le combat 

le temps qui passe et grignote tout, vent de sable sur le sphinx du désert au nez cassé, camus jusqu'aux racines et poussière sur notre cou, infiltrée dans le dos, au creux des omoplates, partout, jusqu'aux os, jusqu'aux moelles, griffant, sciant le courant des nerfs, collée aux yeux et surfaces humides, incrustée aux poumons tapissés d'opaques nuées en couches et carapaces, 

les irrépressibles sons sortant du bec des oiseaux . . .