Mon vieux téléphone a le mérite d'être petit, léger, maniable, il ne troue pas mes poches mais il est vrai que je l'emporte peu, je ne m'en sers que très peu, je le laisse là le plus souvent à décharger sur mon bureau; il est pourtant dans le même état que la plupart des batons percés, de ceux qu'on trouve dans les gisements magdaléniens qui munis de trous et faits de bois de cerfs ou de rennes, sont assez abimés, il a beaucoup servi. A quoi au juste ? Il est vrai que je l'ai surtout utilisé à sens unique, plus pour appeler, deux mots pour dire en général tout va bien ou "je suis là" quand je sais que quelqu'un se préoccupe de moi et que je me promène, souvent loin et seul. Il a d'ailleurs fallu que ce quelqu'un insiste pour que je l'emporte et puisse éventuellement appeler. Je suis de cette génération qui détestait avoir un fil à la patte et qui souffrait plus qu'elle n'abusait de liens.
En revanche, j'ai toujours aimé écrire et j'aime encore. Les conversations écrites et souvent accompagnées au coin des feuilles, marginalement, de dessins, me convenaient. C'est pourquoi j'ai mordu au blog et aux dits réseaux sociaux où l'on peut librement raconter ce qu'on veut, rester à distance, disparaître, ne pas montrer la tête qu'on fait.
C'est donc tout à l'envers.
Comme les préhistoriens cherchent depuis plus de cent ans à comprendre à quoi ont bien pu servir ces morceaux taillés, polis, gravés, troués, de bois de rennes travaillés comme des bijoux : tendeurs de cordes, redresseurs de flèches, piquets de tentes de peaux, objets de parade ou de commandement, outils, ornements, objets d'art, courtes cannes à pêche pour enrouler et tirer le fil comme font encore les Eskimos dans les trous de la glace, parures de ceintures ou de bonnets, éléments d'une machine simple à fabriquer des cordes ? . . . . je me sens tout à l'envers, archéologue enterré sous les strates du récent passé, chercheur du dessous, regardant vers le haut les couches entassées, sachant tout de cet usage infiniment riche que remplit le portable encore appelé téléphone qui devient un fourre tout d'actions multiples, un support et une clé d'activités complexes, mais en ignorant parfaitement le maniement, ne cherchant d'ailleurs nullement à en faire l'expérience, ne cherchant nullement, comme le font les préhistoriens, sauf occasionnellement, à en re-trouver l'usage par essai manuel et re-constitution de gestes probables, de taille, de polissure, de gravure, de percement, de lancement ou de tenue en main.
Je suis donc un faux archéologue retourné et enterré sous le présent grandissant.
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