dimanche 25 mars 2018

Amazonie. Avancer en terrain miné de mythes.

Une fois au nord par Iquitos, auparavant au sud par le Mato Grosso, j'ai essayé de comprendre, d'y pénétrer un peu dans ce territoire des  guerrier.e.s  nu.e.s. aux longs cheveux ou crânes rasés, aux visages parés de grilles, aux corps peints ne cachant pas leur sexe.

Oui, comprendre. J'ai l'impression que personne ne veut comprendre.
Poumon de la terre, enfer vert, massacre des derniers autochtones qui s'y sont enfoncés et relégués, massivement, à petit feu, emportant avec eux, arche noyée, coatis, jaguars et orchidées rares; depuis la transamazonienne aucune rémission ne sera possible, aucune salvation, y compris la France qui seul pays riche, développé, déployé, de la zone, en Guyane, participe au désastre.

Alors qu'y a-t-il à comprendre ?
Dés le soir venu, malgré tissus et gazes les plus fines, entortillé de moustiquaires, vous y êtes envahi d'un peuple noir d'insectes pas tous minuscules et qui passent au travers des précautions et des plis. J'y ai rencontré un "explorateur" qui rêvait d'y pénétrer mais avait une terreur panique des fourmis mangeuses d'homme jusqu'à l'os qui arrivent en nappe sur le sol qui n'avait pas tort et dût vite y renoncer malgré l'endettement qu'il avait contracté pour financer son expédition en lisant des livres et en regardant des images assis dans son fauteuil depuis Paris.

Le plus fort que j'y ai vécu à part quelques cris d'oiseaux extraordinaires, est ce rêve que j'ai fait d'y revenir guidé par un être lui-même sorti de la forêt, sous ayahuasca, quand j'étais, bien loin de Manaos, d'Iquitos ou Taraporto, à Lima, dans ma maison sur la colline, sous la conduite d'un sorcier. 

Au cours de cette nuit longue et de ce rêve halluciné (je n'avais pas perdu conscience et restais assis et possédé, des heures, curieux d'abord puis effrayé bientôt) il m'a semblé comprendre bien des choses, et que tous ces dieux et démons de ces hommes d'avant Colomb (quelle beauté d'abord que ces formes éclatantes, géométriques, fluorescentes, stridentes qu'ils prenaient !) sont tous nés de ces plantes qui servent à fabriquer ce ou ce genre de breuvage que mon ami sorcier avait un peu trop corsé et renforcé de peur que je n'aille pas assez loin et du fait que c'était à ma demande et qui me secouèrent pour me montrer en vrai les tortures des cavernes de l'enfer où j'étais entré par curiosité à leur suite, au point que pour en sortir, tremblant parcouru de frissons, en transe, éprouvé, avec l'aide du sorcier qui n'a cessé tout ce temps de chantonner, monotone, me guidant, essayant de me rattraper, perdu, grâce lui soit rendue, puis de me tenir les mains et les poignets, puis de m'asperger d'un liquide vaporisé de sa bouche, j'ai dû moi-même me transformer en monstre, reprendre corps en démon, en diable vivant que j'ai toujours été et suis resté et redevenu, pour retrouver la sortie de ces grottes effrayantes, puis du tunnel au milieu des arbres où les singes hurlaient et retrouver les miens, inquiets autour de moi et la vie simple et ordinaire.  

En réalité, épuisé par l'expérience pour de longs moments je témoignerai que rien de ce que j'ai appris là n'était vraiment nouveau.

Je savais bien que le monde était ainsi, maléfique et foisonnant de tortures. Là j'ai pu le voir sans ambages,  manifesté en précipité, en concentré, en horreurs d'abord attrayantes qu'on ne peut montrer d'emblée et qui se développent, une fois entamées, en logique exacerbée. Peut-être l’Amazonie n'est-elle, hors de tout mythe ou au contraire, les ressuscitant (je ne m'illusionne pas et n'ignore pas que nous y projetons ce que nous avons nous-même assimilé et véhiculé et peut-être aussi les visions d'enfer de nos peintres hallucinés d'ici et d'ailleurs, incrustées dans nos profondeurs maculaires d'humains fascinés) qu'un lieu où les turpitudes humaines pas encore poussées aux ultimes réduits, soigneusement protégées dans leur mode de vie supposé premier ou primitif, sont encore enfermés, voisines de pouvoirs et de parfums inconnus, maintenues par ceux qui savaient encore les maîtriser, villages aux toits ronds, cercles fermés, au plus fort de cette survie puissante.

Immense résidu, en réserve, troué de part en part, que nous sommes en train de libérer, brûlant le tout, massacrant ses gardiens.

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