Il s'appelait Thor de son vrai prénom. Ou presque. Ce prénom lui-même pouvant être interprété de diverses manières. Tout dépendait, disait-il, de la position des haches dans son blason complet car la seule chose certaine à part la resemblance physique était la composition de l'écu gravé sur sa chevalière : les initiales surmontées d'une double hache de guerre, de celles qu'on attribue parfois aux Vikings et à leur protecteur évangélisateur de la Norvège Saint Olaf.
Rien en commun avec moi cependant, sauf que dans certaines circonstances, et spécialement lors d'un "dîner international" organisé à Dakar par la République indienne pour fêter le film primé de l'un de ses ressortissants, - dîner où j'avais été invité bien malgré moi, je redoutais en effet le visionnement de l'un des ces interminables longs-métrages que produisait alors, invariablement, ce pays - on pouvait facilement et on m'avait d'abord effectivement parlé et pris pour un norvégien.
Mon premier sosie que j'avais rencontré au Brésil dans ma jeunesse était décalé dans le temps. Il me ressemblait incroyablement y compris la tignasse et la coiffure, raie sur le côté gauche, au point d'avoir pendant tout un repas fasciné ma compagne, sauf qu'il avait facilement vingt-cinq ou trente ans de plus que moi, au moins. C'était moi devenu "vieux". Alors que ce Norvégien avec lequel on me confondait, vu d'un peu loin, en taille, en silhouette, de profil, c'était presque tout à fait moi. Il avait mon âge et des fonctions similaires ou compatibles avec les miennes dans son pays.
Pourtant je ne lui ai même pas serré la main.
Ce n'est que plus tard et indirectement que j'ai été informé sur sa personnalité.
Il est parti, malin, avant la projection du film, je n'ai eu l'occasion de le voir, alors qu'on devait plus tard nous présenter, que d'assez loin sur le gazon de la résidence où avait lieu la fête, un verre de whisky à la main.
Tout à coup, ce sentiment, alors que nous n'avions sûrement par ailleurs rien de commun, sa vie forcément devait être très éloignée et de mes habitudes et de mes drames et moments fondateurs et de mes goûts et de mes choix ou accidents, que j'aurais pu, comme dans ce scénario où Platon voit les âmes sorties des Limbes qui renaissent s'emparer d'un corps pour s'incarner à nouveau comme un acteur s'emparant de vêtements au vestiaire d'un théâtre, que j'aurais pu, à un rang ou une bousculade près, dans la file des postulants saisissant les défroques qu'on leur présente (imaginons qu'il s'agit de modèles fabriqués approximativement, peut-être artisanalement, en séries comme des chaussures de diverses pointures), être non pas moi, mais lui.
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