mercredi 18 août 2021

J de Jung. Oui Carl Gustav.

 Soit le disciple préféré de Freud qui le trahit le mieux.

Passer et tomber de Freud en Jung m'est toujours apparu comme une mauvaise farce. 

Quoi ! Se donner tant de mal pour sortir la vie de sommeil, la vie incontrôlée des hommes, de l'ornière creusée par l'ésotérisme, des absurdes superstitions érigées en prémonitions et des interprétations magiques du somnambulisme, pour s'entendre dire en face, en tête à tête, que l'armoire qui craque dans le bureau où précisément a lieu la discussion cruciale est bien la preuve que les esprits frappeurs existent et ne demandent qu'à être entendus,  n'était-ce pas le comble d'une trahison ignominieuse et d'un reniement  brutal pour qui a osé écrire La Science de Rêves en ce grand moment (1900 année de publication postdatée pour bien marquer l'arrivée d'un nouveau siècle de lumières) contre ce resurgissement de tables qui tournent et  de culte des mages et devins ?

Non vous le voyez je n'ai jamais pu entrer dans cet univers de veillées campagnardes où Jung prétend nous faire régresser.

En revanche, cet esprit incompatible à mes propres efforts pour tenter d'y voir clair là où précisément toute une tradition nous aveugle, nous berne, nous livre aux pouvoirs de ceux qui depuis des générations nous dominent de leur prétendue sagesse constituée, de leur pseudo-savoir magique, mystique ou théologique, livre parfois, lors de brèves percées compatibles avec son regard scrutateur et éveillé, quelques beaux moments d'étonnement.

A la relecture de "Ma vie" Souvenirs, rêves et pensées recueillis et publiés par Aniéla Jaffé que je me suis imposé la punition de réexaminer, par défi pour essayer de pénétrer un peu un esprit auquel je me sens réfractaire, j'ai été saisi par l'émerveillement, l'éblouissement lucide qui le saisit lui-même dans ses descriptions et découvertes de voyage, en particulier au Maghreb, en Amérique du nord, en Inde. Cet homme, quelles que soient ses croyances et ses a priori si forts, devait percer à jour et sans doute aider ses patients, il a un regard qui face à un objet ou un être totalement étranger, dévoile des évidences nouvelles, se laisse entraîner et convaincre que d'autres formes de vie et de comportements sont possibles et même parfois meilleurs que ceux de notre tribu. 



mardi 17 août 2021

T de Tamalou.

 Tamalou est mort cette nuit.

C'était son surnom ou du moins celui que nous lui attribuions sachant que sa blague favorite portait la sur la question cruciale : t'as mal où ?

Il est mort cette nuit en regardant un match de foot à la télé, seul et tard pendant qu'elle était couchée, c'est du moins ce qu'a raconté sa femme ce matin et nous n'avons aucune raison de ne pas la croire.

Il adorait blaguer. Il ne manquait pas d'humour. Un humour caustique, désabusé, parfois cruel. 

Ayant exercé la profession de dentiste, il en savait un morceau sur les travers de l'humanité en souffrance; ses clients bien que condamnés à se taire pendant qu'il les travaillait à la roulette ou à la pince, lui en avaient raconté de belles tout au long de sa carrière; ils lui en avaient aussi montré sans pouvoir parler ni guère proférer, d'aussi belles, d'incroyables même, c'est fou ce qu'on peut apprendre en regardant les gens dans leur bouche jusqu'au fond du palais, au niveau de leur langue (de formes si variées, petite, longue, courte, danseuse impudique), des gencives (irritées, déformées, énormes, charnues et irriguées ou rétractées), des dents acérées, pointues, s'enjambant ou excessivement écartées ou rongées, parfois résidus de roches ruinées, meules délabrées à force de malheurs ravalés et ruminés).

Il se chamaillait avec sa femme en public. Assez méchamment. Et le public que lui offraient ses amis lors de soirées ou réunions apéritives durant ces joutes de méchanceté pure, semblaient tous deux les exciter et les faire sortir plus vifs de leur ennui quotidien réciproque.

Bref, il est mort et sa douce moitié ne semble guère consternée, ayant prévu l'imprévisible de longue date.

Sa blague préférée était donc celle-là : 


Quand je me lève le matin, je dis (depuis l'âge de soixante ans et même sans doute avant) :

-  Ouille ! j'ai très mal à la nuque et aussi en particulier aux omoplates, c'est le vent marin qui souffle et l'humidité.

Elle me répond :

-  Si tu savais comme j'ai les jambes lourdes, j'ai mal aux jambes, aux chevilles et aux genoux dés que je me lève !

Je réplique :

-  Moi ça m'a empêché de dormir, c'est toute la nuit que j'ai eu mal.

Alors commence la surenchère, c'est pour ça depuis l'âge de 70 ans j'ai décidé de commencer la journée pas par " bonjour - mais par :

 T'as mal où ?

A côté de ça soyons honnête, le souvenir que je garderai de Tamalou ce sont aussi les quelques livres qu'il m'a prêtés de son auteur préféré, un ami à lui presque inconnu qui avait eu un prix dans le temps, le prix des lycéens je crois, 

et puis aussi les petits dessins pornos au fusain qu'il avait gardés de la collection de son père et qu'il ne montrait qu'aux amis qui avaient aimé son auteur préféré. Bien sûr quand il les montrait il faisait semblant de les cacher à sa femme, prof de dessin à la retraite

Mais tout ça je vous en parlerai peut-être un autre jour.

Et puis si, il était un peu jaloux de moi depuis qu'il savait que j'allais me promener seul dans la montagne assez loin sans même prendre mon portable alors que sa femme lui avait reproché de ne pas faire assez d'exercice et aussi, surtout, qu'elle avait décrété un jour sur la plage que j'étais "beaucoup mieux foutu que lui". Cette déclaration qu'il s'amusait à répéter quand nous nous retrouvions aux vacances nous mettait tous en état d'hilarité, voire de fou rire, sauf sa femme qui disait imperturbablement : "mais c'est vrai".