mardi 29 novembre 2022

D de durable.


 Pourquoi quand on me dit "durable" j'entends toujours : du râble de lapin ?

C'est peut-être une manie, un tic, un truc de vieux à demi sourd et itératif, mais peut-être pas que.

C'est peut-être que d'abord je commence à avoir l'habitude qu'on me dise exactement et précisément le contraire de ce qui est. Je me méfie des gens qui se disent "honnêtes" ou "bienveillants" ou "actifs", je sais par expérience qu'ils risquent d'être tout le contraire et que ce sont parfois les qualités qu'ils n'ont pas qu'ils mettent en avant verbalement par défaut pour oblitérer ou estomper leurs manques, alors que de toutes façons, je crois, ce serait à moi d'en juger sur pièce. Je ne parle pas des arguments de vente et des pubs qui sont là justement pour ça : leurres et appâts.

C'est qu'ensuite et surtout, tout le monde ne peut qu'en être d'accord, même les plus grands naïfs, ignorants et menteurs, nous sommes passés depuis deux ou trois cents ans par trois types de civilisations:

celle de la dimension éternelle (quelques uns s'y raccrochent encore), puis celle de la dimension temporelle humaine (ah ! le beau temps des Lumières illuminant encore le socialisme balbutiant) et enfin celle du jetable et on voudrait nous faire croire que . . . 

nous entrons, nous allons entrer dans celle du durable ?

Précisément et par retournement volontaire et miraculeux à l'époque du tout obsolescent ?

Du tout obsolescent parce que seul vraiment rentable ? Transformer toute chose et tout être vivant en location, en rente indexée à l'exponentiel.

Ce qui était garanti à vie (plus ou moins . . . ce n'était qu'un objectif très idéal), les machines, les techniques, modes de fabrications, niveaux d'excellence, l'emploi, est devenu cause de retard, d'alourdissement, de non flexibilité et adaptation, cause de faillite des anciennes firmes fermées ou rachetées. Et il faudrait, puisque rien n'est éternel rejoindre les cycles naturels d'une production où "rien ne se perd" et tout se transforme ?

Bon, certes oui, peut-être quand nous serons capables de produire biologiquement nos prothèses et peut-être nos prolongements sensoriels et cognitifs, nos accessoires, nos machines et nos moteurs.

Pour l'heure je ne vois que champs désastreux d'épaves, résidus incompressibles, carcasses de navires et autres véhicules, ruines industrielles abandonnées, terres vierges et forêts dévastées.

Tiens même le râble de lapin ils l'ont rendu immangeable, après le poulet, la dinde et le délicieux porcelet.


vendredi 18 novembre 2022

H H H. Hedera helix. Les héros sont fatigués.

 Ce lierre courant, dit 50-50, liane européenne capable de gravir 50 mètres de haut peut s'accroître facilement de 50 centimètres par an. Ce monstre envahisseur que j'ai cru bon de laisser pousser sur un mur qui me sépare d'un chemin privé desservant deux maisons voisines s'avère aussi, avec son tronc arborescent et sa sève tardive, producteur de fleurs et de fruits qui rendent fous en cette saison, comme pour d'autres le chocolat, les frelons asiatiques, vous savez, ceux dont tout le monde parle, ceux qui depuis quelques années font chez nous leurs nids énormes en forme de grosse sphère attachée aux arbres les plus hauts, à 7 ou 8 mètres aussi bien.



Voilà donc que mon voisin le plus proche en hésite à sortir de chez lui par ce foutu chemin situé sous la floraison, autrement qu'enfermé vitres fermées dans sa petite et de temps à autre sa grosse auto.

Je comprends ses craintes mais qu'y puis-je, le nid de ces bêtes traumatisantes, bouffeuses d'abeilles de surcroît,  n'est pas chez moi et où diable se niche-t-il ? car chez moi ils ne font que venir et passer, ces envahisseurs, se goinfrer de sucres qui seraient vénéneux pour nous, dit-on. Et le nid si nous le trouvions serait encore vide en cette saison . . . inutile de le détruire, ils vont bientôt en faire de nouveaux . . . quant à les attaquer pour les déloger de leur butin . . . 

. . . et d'ailleurs, vivre en zone rurale péri-urbaine n'exige aucun héroïsme, que je sache . . . sachant qu'on peut en mourir au bout de trois piqures . . . mais promis-juré, je vais cet hiver déraciner cette diable liane-arbre magnifique, bien à contre cœur. 

Vivement que passe la saison des frelons. 

jeudi 10 novembre 2022

Extraterrestre.

 Ce qu'il ma été donné d'imaginer dans ma tête, en matière d'extraterrestres, quand je lis des passages de Science Fiction où on voit des êtres venus d'ailleurs agir sans que soit précisée leur apparence ou au cours de rêves ou d'apparition d'images passagères qui ont pu et peuvent encore me hanter (bien évidemment influencés par lectures et visionnements) n'est généralement fait ni de petits hommes verts ni de robots rampants, ni de monstres issus des profondeurs réelles d'un inventaire biologique des fonds marins, du type êtres gluants et transparents apparentés aux plus hallucinants de nos cauchemars. Ils s'apparentent plutôt à ces êtres que j'ai cru voir réellement de mes yeux, de temps à autres, en un éclair (par exemple quand quelqu'un qui nous est familier se montre tout à coup sous un tout autre jour plus que surprenant). C'est sans doute que leur intérêt en tant qu'extraterrestres envahisseurs (ainsi que sans doute celui de l'écrivain ou du scénariste) est de faire qu'ils nous ressemblent au point de se confondre avec nous.

C'est bien là, pourtant, lors de leur apparition, en dépit de leur ruse ou de celle du cinéaste jouant sur une sorte de double fond caché de la ressemblance, leur aspect le plus inquiétant ou angoissant. 

Depuis, me semble-t-il, la série "the Invaders" (1967), certains cinéastes l'ont bien utilisée cette non-dissemblance, cette parenté, cette proximité au moins apparente n'ajoutant à l'apparence de ces faux semblables qu'un détail discordant, qu'une particularité mineure permettant de les différencier, tel le petit doigt qui ne se plie pas ou une marque de fabrique, cachet distinctif imprimé sur le corps. Il faut bien avouer que cette pénétration dans nos rangs déjà si variés et pittoresques - l'espèce humaine étant tellement riche de toutes sortes de types, de variantes locales - de ces purs aliens irréductibles à notre humanité plus riche de coutumes, de croyances, de comportements que différenciée biologiquement, que cette intrusion peut créer l'effroi. Et cela d'autant plus que les deux modèles humain et non humain vont pousser à fond la ressemblance. Au point parfois de se ressembler presque parfaitement, si le héros est "retourné" par les envahisseurs hostiles ou parfois dédoublé dans certaines fictions renvoyant aux mystères insondables de l'identité et de la gémellité. 

Mais alors comment ne pas voir, face à celui qui nous fait face et nous regarde dans le miroir, que cet appel aux extra-terrestres dans l'espace de notre territoire imaginaire n'est encore pour nous, race humaine imparfaite, qu'une incapacité à nous reconnaître dans les avatars et les formes complexes de nous-mêmes que la nature, l'histoire ou la société, ou parfois notre puissance à imaginer ou à tenter d'anticiper et d'expliquer, dans les méandres de notre for intérieur, nous renvoie ?

Heureusement de tous temps au contraire, certains ont réussi à se reconnaître, au-delà de l'humanité restreinte, de l'humanité limitée à quelques mammifères "pensants",  dans nos frères animaux et aussi végétaux.

mercredi 2 novembre 2022

Le lit de vache et la toile d'araignée.

 Je me revois rentrant à vélo du Lycée, je devais être en cinquième ou sixième, il faisait très froid, cette année où j'avais eu la peau des doigts gelés sur mon guidon glacé avec des gants mouillés, rouge encore de l'effort et du froid sans doute, au chaud dans la cuisine, installé pour le goûter avec mes tartines de confiture ou de miel, elle me gâtait pas mal, tentant d'expliquer à ma grand mère en colère à cause de l'absurdité de ce que je racontais, elle parlant parfaitement le français mais avec des incises en occitan, cet occitan si semblable à celui de Nîmes et si proche parfois du catalan, grand mère maternelle qui bien sûr ne savait pas un mot d'anglais, qui vivait avec nous, j'avais donc une double mère, tentant d'expliquer ce jeu de mot imparfait découvert par lapsus involontaire qui nous avait terriblement réjouis dans la cour de récré après le cour d'anglais, un bafouillage avec cette prof d'anglais tellement pète sec sur COBWEB devenu subitement dans la bouche d'un rouquin toujours un peu ahuri COWBED.

Elle avait raison, bien sûr, ça n'avait rien de drôle et c'était idiot d'en rire.

Allez savoir pourquoi des gamins qui s'ennuient dur trouvent si comiques d'imaginer une toile d'araignée devenue par la grâce d'une langue fourchée un nid ou plutôt un lit où dormirait une vache qui n'en rit même pas.

Et surtout pourquoi ce souvenir anodin, enfantin, est resté gravé dans ma mémoire et ressort intact aujourd'hui, 70 ans plus tard, où en ce jour des morts de novembre liturgique je pense encore à ma grand-mère décédée dans son fauteuil à la cuisine, au chaud, attendant que ma mère (elle décédée pendant que j'explorais l'entrée d'une grotte, j'avais eu un coup de fil juste après, dans les falaises du cap Norfeu sur la pointe Nord Est de la Catalogne, ait fini de préparer sa soupe poireaux, carottes, pommes de terre,  pendant que j'étais à l'autre bout du monde, photographiant un marché où de vieilles femmes des hauts plateaux vendaient leurs plats chauds et odorants dans le froid soleil de la sierra.