mercredi 30 août 2023

Tout est parti de là (troisième fournée).

Bon, donc il faut bien que j'y vienne.

Outre les traumatismes de bonheur et d'orgueil, être reçu premier à un concours par exemple, alors qu'on n'en a même pas rêvé, et qu'on ne s'y est préparé que très indirectement, il y a eu ces moments de chute.

A Rio dans l'histoire que j'ai racontée, ce parcours dans une énorme ville après l'apocalypse, tout se terminait par le refus d'honorer une promesse. Mon thème de recherche d'abord reçu avec un certain enthousiasme comme matière qui pouvait donner lieu à un cours et à un travail d'approfondissement durant au moins un trimestre, un peu hardi, téméraire même, mais intellectuellement recevable, qui consistait à suggérer une comparaison de l'architecture de Brasilía avec celle de divers régimes "autoritaires", communistes ou fascistes en particulier, m'avait grillé auprès d'une partie des membres du jury implantés dans cette institution, évidemment, par nécessité vitale, trop prudents pour ouvrir la porte à une ouverture critique. A la suite de cette déconvenue, faisant elle-même suite au parcours de la ville vidée de sa substance humaine, j'ai vu le Brésil tout entier autrement. Ce pays époustouflant, géant gonflé de vie, bien que courbé sous un régime dictatorial, devenait  en ouvrant bien les yeux, surtout un lieu affligeant de misère, prisonnier de traditions coloniales qui le saignaient à blanc.

De même que plus tard, après une nuit de chaleur et d'insomnie, ouvrant la fenêtre de ma chambre d'hôtel donnant sur une rue gorgée de piétons et de mototaxis, voyant cette foule misérable rongée de la tête aux pieds par les pluies diluviennes et leur cortège de calamités, je m'interrogeais sur l'urgence qu'il pouvait y avoir, malgré la bénédiction des autorités locales, à ouvrir une nouvelle Alliance française dans l'ancienne maison Eiffel importée pièces à pièces de France du temps de la prospérité fondée sur le caoutchouc à Iquitos. en Amazonie péruvienne alors que je me battais depuis des mois pour y arriver et trouver localement un directeur qui pourrait mettre en route les cours et activités culturelles.

Tout est parti de là (deuxième approche).

Ce sentiment d'irréalité je l'avais déjà éprouvé plus jeune.

Il avait un père et une mère, ce sentiment, une ascendance bien précise et ça je l'avais oublié mais d'en parler ça me revient. A plusieurs reprises j'ai été plongé dans le néant des interstices, émotion forte, surprise, chute, décalage, choc, accident, désillusion terrible, déstabilisation, traumatismes divers et parfois fracassants, même si parfois ça ne dure qu'un instant, comme tout un chacun a pu et dû, forcément en faire l'expérience. Un de ces instants mémorables que nous nous hâtons d'oublier quand la pente est remontée, à moins qu'il ne s'agisse d'une de ces illuminations de joie, surprises de bonheur ou invraisemblable bien qu'attendue, réussite, événements qui peuvent aussi fendre la coquille, percer le plafond, ouvrir un gouffre dans le plancher, aussi bien.

Par exemple, 

plusieurs moments totalement dissemblables me viennent à l'esprit. mais parlons de celui-là :

je suis assis dans un cercle, à quel âge ? comment appelle-t-on ça ? le jeu consiste à placer un objet quelconque sans que le geste soit remarqué en courant derrière le dos des joueurs assis, derrière l'un d'eux pour désigner ainsi celui qui prendra le relai, va saisir l'objet placé derrière lui, courir et à son tour l'attribuer à un joueur tournant le dos, assis et immobile. Tout à coup, je m'ennuyais comme souvent, ce n'est pas le genre d'amusement qui suscite mon enthousiasme, j'ai toujours été, même avant l'âge de raison" , sans doute un peu ailleurs et un peu méprisant . . . si le mot n'est pas trop fort pour les choses enfantines et faciles . . . j'aurais trouvé beaucoup de choses "débiles" si le mot avait été employé en ce sens quand 'avais six ans. Puis plaf, je reçois une bonne gifle, c'est l'instit qui me rappelle à la vie communautaire pendant que j'étais en train de rêver à Dieu sait quoi. Je sais que depuis cette brêche faite dans ma méditation supérieure je vois le monde autrement et suis, plus je m'évade et refuse l'ennui des routines, sur le qui-vive !

Tout est parti de là.

Je ne sais plus quand, je sais seulement où . . . 
Je suis tellement nul en foot et en connaissance des événements de l'histoire du foot que je n'arrive pas à me souvenir ou à arriver à savoir si c'était pour un très grand match au Maracana, le stade mythique de Rio ou bien pendant la finale du mondial de Mexico qui opposait Brésil et Italie à l'époque du Brésil le plus mythique en foot, celui du Roi Pelé vainqueur magnifique lors du match historique. Je ne sais pas si c'était pendant que 200.000 personnes étaient enfermés dans la carapace de béton du Maracana, tous les autres habitants de l'ex-capitale, sept millions de personnes, étant suspendus à leur poste de retransmission. 
Était-ce pour un événement national ou pluri-national et régional du genre Argentine/Uruguay ou
plus massivement, par retransmission télé, en communion avec une grande partie des peuples de la planète, pour un championnat effectivement mondial dans lequel le Brésil avait toutes ses chances ?

Ce que je sais c'est que je roulais, moment inoubliable, absolument seul dans ma vieille coccinelle rouge groseille sur les avenues incroyablement vides, me rendant au centre ville où j'avais un rendez-vous avec un autre fou totalement indifférent au foot. Je me souviens de façon très personnelle que devait se négocier ce jour-là mon statut de prof.
Un pied au lycée franco-brésilien, un pied à l'université catholique et pontificale, la seule avec laquelle le France avait des accords de coopération, celle qui avait eu l'audace de faire venir, en invité pour une semaine, Michel Foucault à l'époque où il concoctait sa bombe : Surveiller et Punir.
Ce que je sais c'est que j'ai d'abord absurdement pensé que j'étais, par mégarde, il m'arrive d'être à ce point distrait . . . , entré dans le périmètre de tournage d'un film qui avait fait libérer avenues et boulevards, la moindre ruelle, pour tourner un film sur la fin du monde.
En effet, le ciel était gris, bas, l'heure incertaine. Il aurait pu être très tôt le matin. J'éprouvais un sentiment profond d'irréalité.
Mon rendez-vous allait se solder par un fiasco, un désaccord et un malentendu, je ne le avais pas encore. 
(A suivre . . . )

lundi 28 août 2023

Mais qui était cette Eva Inovnalina Daliravidelura.

Elle apparait au détour d'un roman.

Elle aima les poètes et les peintres et sut choisir les plus grands.

Elle n'hésita pas à passer de l'un à l'autre, franchissant les langues, les disciplines, les obsessions, les bornes de l'amitié, ne se trompant en rien sur ses choix.

Quelques égéries l'ont fait, la liste est longue.

Mais elle s'attacha finalement pour la vie auprès du plus génial, du plus réellement manche, à la fois maladroit et très adroit, dans le réel il manquait parfois une marche, par exemple un jour il ne su pas prendre correctement, voyant un plan, des places de théâtre ou mettre son si précisément génial dessin aux bonnes dimensions du concours, du plus obsessif, insectes, objets mous, décomposition, du plus habile et malin et

féroce (a)mante le man(a)gea.

Elle obtint, en échange de quoi, un statut de sainte et d'immortalité.

Elle avait sur lui un pouvoir surérotique tel que pour se libérer elle dut fuir dans un palais qu'il avait pourtant cherché et trouvé pour elle et décoré de ses éternelles obsessions.

Le mot sur la main.


 Hier j'étais à Donostia ou, autrement dit, San Sebastian au pays basque et capitale du Guipuscoa où je me promenais virtuellement pour voir ce que cette superbe ville devenait. En effet, après avoir essayé les plages de Biarritz où chaque jour se repêchaient, assez tôt ou trop tard, un certain nombre de nageurs surpris par la force des vagues, mes parents avaient décidé de passer la frontière pour me faire bénéficier des plages protégées de cette ville proche de la France au nord-ouest de l'Espagne, en forme de conque cachée par une île et deux promontoires.

Eux mêmes ne nageaient pas. Moi pas encore. Je devais avoir sept ans et demi  et à l'époque c'était dans la norme, je n'irais en piscine régulièrement qu'un peu plus tard. Ils avaient dû passer quelques sales moments en me voyant foncer dans les vagues même si ce n'était pas sur la plage dénommée "Chambre d'Amour" où sans aller se faire enfermer dans la grotte par la mer montante selon la légende et de bien réels faits divers répétés, on devait savoir qu'on risquait sa peau dans ces parages où avaient disparu aussi quelques navires. Plus tard j'aurais l'occasion de vérifier le courage des nageurs sauveteurs de ces rivages en me retrouvant emporté par un courant au Sénégal, isolé et perdu sur un récif au large du Cap Skirring et "sauvé" ou du moins "accompagné" par l'un d'eux, en villégiature dans les mêmes lieux.

C'est donc à San Sebastian, autre ville à hauts risques pendant le franquisme et longtemps après, que en vacances dans une pension du centre ville, j'avais pu, peut-être ne le sachant pas mais sur cette plage même aux pieds du palais où avaient été enfermés dans les caves les plus humides des prisonniers voués à la pneumonie puis à la phtisie en guise de condamnation irrémédiable, après avoir appris les mouvements sous l'eau, sans respirer mais en avançant à grandes brasses, j'avais réussi, ô joie ! à émerger, à sortir à moitié la tête et à respirer, donc à nager enfin.

Aujourd'hui j'examine, toujours les hommes ont voulu avoir main sur le hasard, vieille de plus de 2000 ans,  cette petite main de bronze gravée trouvée en Navarre dans des fouilles amorcées en 2008, qui porte entre autres mots celui bien lisible de sorioneku

Amulette, objet porte bonheur sans doute, puisque c'est presque le même mot qu'en langue basque actuelle qui veut dire chance.

samedi 26 août 2023

Simples et bonnes Pâtes.

J'aime faire des pâtes comme j'aime faire du pain. Sauf que le pain même avec une machine à pain, c'est devenu compliqué pour au moins trois raisons :

Un . . . . les fabricants de machines, sans doute (ou peut-être ?) pour éviter les débordements du pain trop levé qui ont pu surprendre quelques utilisateurs néophytes, et il est vrai qu'une pâte à pain qui déborde et cuit sur le couvercle de la machine et hors du moule sur les résistances de chauffage sous le moule c'est embêtant à racler et nettoyer ensuite, ont donc ajouté quelques tours au battement et pétrissage qui intervient en dernier après le premier. donc vers la fin du processus, coupant ainsi tout levage de la pâte et du coup produisant par ce surcroit de battement trop tardif, castrateur d'élévations et développements aériens, un pain à tendance massive, sans trop de bulles, voire carrément un pain dur, massif et lourd, carrément cale porte.

Deux . . . . qu'est-il advenu des nouvelles farines qu'on nous vend, en gros, on dirait depuis la guerre en Ukraine, ceci n'excusant en rien cela et peut-être d'ailleurs n'ayant aucun rapport que de tempo et de prétexte ou d'occasion pour nos fabricants meuniers en gros et en stock . . . d'innover . . . de quoi sont-elles coupées, mélangées, de quel traitements de conservation sont-elles victimes ? faut-il incriminer les céréales ? mais le fait est là, elles ont tendance à s'agglutiner plus qu'à lever . . .

Trois : quant aux levures, n'en parlons pas elles ne sont plus ce qu'elles étaient !

Foi de boulanger hardi de boulange j'ai trouvé la parade, n'utilisant aucun programme de pain ceci ou cela à ceci ou à cela ajouté, je fais a - une simple pâte à pizza et . . . b- une cuisson directe ce qui m'évite de passer par les moutures et remoulages-pétrissages superfétatoires en programme ajouté.  

Mais bon, J'y perds de la variété, de la subtilité, de la fabrication variée et sans arrêt renouvelée.

Avec les pâtes c'est autre chose malgré les aléas là aussi de la farine, des dimensions des modèles et des diverses maisons plus ou moins regardantes sur la qualité du spaghetto ou de la farfalle.

Mais au moins là on peut goûter à mesure de la cuisson sans arrêter le processus.

J'adore donc, n'ayant plus guère ni le courage ni l'intestin de mitonner cassoulet, choucroute, bœuf bourguignon, lentilles au lard, pois chiches, chou farci, navarin d'agneau, osso buco, tagine, pastilla aux pigeons et pruneaux . . . ni surtout suquet, ce délicieux ragout de poissons mon plat préféré avec le lapin au chocolat et aux gambas, inventions de la Costa Brava, pays de pêcheurs et d'expatriés en Sud-Amérique, faire de simples spaghetti à la tomate bien mûre et au fromage que vous voudrez. D'ailleurs je suis en train d'enfiler mon tablier pour m'y mettre bientôt.


vendredi 25 août 2023

Quand je mourrai.

Quand je mourrai je veux me souvenir, sans doute sans doute, de tant de visages mais de toi d'abord que j'ai cueillie dans l'extrême jeunesse, si grande fleur rouge, la plus grande, toi qui m'as toujours, même de loin, de très loin accompagné, de ton dos bronzé comme un peu tahitien, d'elle peut-être, maintenant si lointaine et si proche aussi qui a du temps encore à vivre, plus pâle comme moi, issue de toi, et de tous ces moments d'extrême plénitude que nous avons vécus par hasard, par destin, par affinité des contraires, par choix délibéré contre les contraintes et les barrières. Par goût d'y aller voir plus loin en suivant nos rêves.

Il y a eu tant de villes et de paysages et surtout toutes ces mers, ces golfes, ces côtes en toute saison, ces sables, ces baies, ces marées, ces coraux, ces caps, ces rochers rouges, ces bains en eau de songe, ces poissons aux yeux curieux de nous voir, de formes et de couleurs inimaginables, inventés par des designers fous, ces oiseaux colonisant les à pic planant sur nos têtes sans bouger leurs ailes, les dénivelés effrayants des volcans noirs sur quelques îles et au bord du Pacifique ou si verts au cœur de l'Afrique.

Mais rien n'égalera peut-être ce jour où tu es venue me rejoindre dans ma chambre d'étudiant. Rien non plus d'avoir pu te serrer encore dans mes bras quand tu aurais pu au cours d'une nuit d'ambulance et d'hôpital avoir disparu.

jeudi 24 août 2023

Abus.

Parfois, je me rends compte à relecture tardive, il y a abus.

Abus de la confiance du lecteur.

Non pas que je mente, tout est presque vrai dans ces récits échantillonnés, dans ces mini-réflexions décousues dans ces témoignages partiels. Je n'enjolive pas. Je ne déforme ni ne détourne de leur teneur réellement vécue ces aventures ponctuelles. Tout au plus ai-je parfois été obligé de changer le contexte pour éviter de mettre en cause, tenants ou aboutissants, des personnes liées à telle action. Tout au plus, ai-je pu avoir tendance à me laisser fasciner par des situations, des personnages, des objets sur lesquels je projetais mes propres fantasmes obsessifs.

Ainsi je me souviens d'avoir peut-être, bien que modérément, et en faisant la part des choses "déliré" aux yeux d'un mien ami à propos d'un village de bord de mer, pour lequel il avait eu la curiosité de quitter l'autoroute pour aller voir ses merveilles de près - alors que je ne lui avais donné aucun conseil en ce sens, seulement apparemment l'envie d'aller y voir - village à l'époque et encore à l'écart, plein de grandes maisons vigneronnes oubliées, endormi sur sa lagune ensablée à côté d'une carrière dominant  l'étang et au loin la mer d'où l'on apercevait un cap fameux, bien réveillé et bourré d' "artistes" en tous genres, vrais ou faux aujourd'hui. Très déçu il avait résumé sa propre impression après visite par :

- Oui, tu ne m'avais pas dit que bof . . . , c'était pas la septième merveille et plein, avec ça, de pavés autobloquants (un truc absolument rédhibitoire si j'ai bien compris, à ses yeux d'esthète informé).

Dans le même ordre d'idée, c'est fou le nombre de gens que j'ai pu influencer à une certaine époque de prosélytisme et qui ont acheté une maison ou un appartement à Perpignan alors qu'ils n'avaient aucune affinité avec ce haut lieu d'hispanité enclavé dans une assez morne plaine, relevée seulement par ses lointains montagneux et se sont parfois plaints ensuite de ne pas trop aimer la ville populeuse et fière, n'y ayant pas comme moi fait ne fixation sur le restreint et incroyable charme de son centre ville (places étroites, briques, marbre, patios, balcons, ruelles, grilles, bornes, arcades, détails baroques des façades, portails cloutés, pleins de ferrures, odeurs d'anchois et d'orchata de chufa mêlées aux senteurs du laurier, statues de Maillol, fraicheur des quais de la Basse, le presque fleuve minuscule et canalisé enserré dans ses plates-bandes fréquentées par les mouettes rieuses, cathédrale Saint Jean, inoubliable Dévot Christ enfermé dans une chapelle adjacente, maisons Art Déco, pénitents, Loge de Mer à girouettes, etc . . .).

 

mercredi 23 août 2023

Chambre claire (que se passe-t-il dans la . . . ?).

Bien sûr c'est un instrument inventé par Wollaston en 1804 utilisant un prisme pour renvoyer une image sur la feuille où dessine le dessinateur et ainsi, théoriquement lui faciliter la tâche par l'entremise de cette camera lucida . . .

Bien sûr on ne peut que penser au livre de Roland Barthes, La Chambre claire, 1980, qui joue sur les mots et parle dans son livre de la photographie, fille plutôt de la chambre noire (camera obscura).

Bien sûr, la réflexion de David Hockney, Savoirs secrets, 2001, vient à point. Tout au long de l'histoire de la peinture et du dessin on a utilisé des artifices qui mis bout à bout et sans arrêt perfectionnés ont donné (ne pouvaient que donner ?) naissance à l'appareil photographique.

Et je rêve un peu sur ce vieux et fameux lexique des termes d'art publié par Jules Adeline en 1885, dessinateur et graveur savant,  que j'aime de temps à autre ouvrir au hasard et feuilleter qui dit exactement :

"Toute la difficulté de la chambre claire consiste à ce que le dessinateur doit avec le même rayon visuel regarder l'image à travers le prisme et suivre aussi la pointe de son crayon pour relever le contours de ce images."

C'est bien ça, il serait absurde et naïf d'imaginer que les techniques qu'on invente sont là pour nous faciliter réellement la vie. Qu'elles la compliquent, s'arrangent pour la questionner, pour faire apparaître en arrière fond, derrière l'apparence et au travers d'un apprentissage nouveau, des mondes instables, insoupçonnés, irréconciliables avec les anciens, et peut-être en partie incompréhensibles, ça oui.

Barthes y rencontre, lui, l'inconsolable, l'obsession de sa mère au travers des images qui subsistent d'elle, arrêtées dans la vraie vie qui en devient irréelle, découpée en moments figés sous ses yeux. Puisque son livre de réflexion partiellement théorique devient sous notre regard, à mesure que sa lecture avance, réflexion personnelle, intime et orientée vers l'image et finalement la représentation de la mort.

Hockney défait le mythe du peintre sur le vif du sujet, comme si ce vif n'ouvrait pas la porte à un lent et long travail de recherche sur le motif, autre chose qu'un calque. car le plus grand des génies du dessin, Ingres y compris, doit bien partir de techniques répétées et maîtrisées, d' "études", pour percer le réel, le capter, aller au-delà du "coup de crayon" virtuose qui lui-même repose sur quel entraînement et quelle expérience ?


La lumière la plus crue, l'image la plus nette, l'effort que nous faisons pour dissiper l'incertitude, le flou, la technique et la dextérité, l'agilité la plus fine de nos sens, la perspective maîtrisée, l'anamorphose, nous enfoncent dans l'ordre des questions hiérarchisées, arborescentes, leur sens multiple et leur polyphonies surdéterminées à mesure que l'épaisseur du réel se dévoile et se dérobe.

                              L'Ombre. Dare Dovidjenko Bozanic, peintre né à Split. mort à Lima.



mardi 22 août 2023

S de silence des écureux. Essai de thriller n'ayant rien à voir non plus avec meurtre dans un jardin anglais.

Car ici nous préférons à écureuil le mot canadien écureu.

En effet, prendre tous les risque, voilà à quoi nous sommes contraints nous et eux.

Ce matin après l'avoir grattée à la lime, à la brosse en fer, avec diverses raclettes et toiles émeri ou instruments diversement abrasifs mais surtout pas de ponceuse pour éviter le bruit sans parler des jets de poussière, je repeignais (les arceaux de) la tonnelle avec un petit pinceau pour entrer dans les coins, les angles, les replis du fer, assez tôt tant qu'elle était à l'ombre et que le soleil éloigné au loin, à l'horizon, n'était pas encore trop chaud.

J'ai entendu un léger bruit de chiffonnement dans les branches du murier juste à côté de l'endroit où j'étais descendu à côté de l'échelle double en bois sur laquelle j'étais perché, une véritable échelle de peintre qui a appartenu au petit Juju, un oncle lointain, petit, un peu plié en zigzag et jovial, l'oncle Julien, je l'ai souvent vu dans sa tenue blanche bariolée des couleurs qu'il appliquait avec infiniment de soin, fou de moto, il était resté un peu cassé et tordu de trois accidents sans perdre pour autant la foi et l'espérance du motard, qui nous l'avait laissée en cadeau il y a bien longtemps. 

Je savais ce que c'était. Et même qui c'était. 

C'était bien elle, une petite femelle écureu à la tête beaucoup plus fine que son mâle du moment. J'ai vu son petit œil noir qui de côté, d'un coup de sonde, interrogeait son cerveau : y vais-je ou pas ?

Elle était, je n'exagère pas, tête en bas, tête bien ovale, pointue et rousse, corps maigrelet musclé roux, plaqué au tronc, grandes griffes enfoncées, queue longue, touffue et noire, immobile et se demandait s'il fallait ou pas, si près de moi, moins qu'il n'en aurait fallu pour l'attraper par son panache si j'avais été moi aussi une bête vive à réflexes félins, mais la soif était forte, la journée allait être longue et torride, elle le savait. Elle y est allée, elle a plongé vers l'assiette pleine d'eau et délicatement du bout des lèvres elle a bu longuement sans cesser de me regarder.

Il faut dire que j'étais parfaitement ridicule, immobile moi aussi, en déséquilibre sur un pied, tenant de ma main gauche refermée le lourd pot de peinture sans anse, de la droite le petit pinceau qui avait très  légèrement coulé sur mes doigts et j'ai gardé la pose comme ces pierrots poudrés de blanc ou comme ces magiciens argentés sur tout le corps, les vêtements et le visage, qui le long des boulevards passants s'exercent ou au mime parfois ou à l'immobilité totale pour attirer l'œil des chalands, et gagner quelques pièces.

mercredi 16 août 2023

Terre promise (deuxième partie).

 La partie se joue serrée, en effet.

La distance, la chaleur, les sphères qui se mettent (pas encore à tourner à l'envers, mais . . . ) à frotter comme des rouages l'une contre l'autre, et à grincer faute de bonne graisse noire, huile de pétrole, silicone, lanoline, polyéthylène glycol, plus c'est compliqué à écrire plus ça risque de grincer  (par manque + orthographe !) il va falloir faire un saut pour y arriver, vais-je pouvoir ? aurai-je l'impulsion ? seulement le primo impetu ? ai-je encore envie assez fort?

J'aurais tant aimé vivre sur un balcon au-dessus de cette Méditerranée si engorgée, si polluée, petit bassin non renouvelé, sur le roc granitique où elle apparait si transparente, illusoire sans doute mais si belle à voir et à parcourir en surface et profondeur dans le petit matin quand elle est fraîche et qu'on n'entend à peine au loin qu'un chien qui aboie. 

Machines en route, c'est parti.

M'arracher à cette ville qui ne connait que le cercle elliptique et le carré.


Terre promise.

 Depuis bien longtemps, elle m'a d'ailleurs aidé à survivre et à travailler quand j'étais très loin, parfois passionné, rarement comblé par mon travail mais surtout parfois découragé par les difficultés et les réactions prévisibles de blocages de mon administration centrale face à des projets qui me semblaient utiles voire indispensables dans le droit fil de ce qu'aurait dû ou pu être notre action, 

cette terre promise, fantasmée autant qu'explorée par avance où j'espérais bien finir mes jours. 

Son archaïsme préservé, ses traditions paysannes simples, vigoureuses, affirmées, son peuple accroché au rude sol, en lutte pour réserver sa force, sa cuisine aux accents très marqués de produits de la mer, ses paysages à la beauté brutale loin des aménagements destructeurs qui annoncent l'approche des villes, son parler elliptique et claironnant, ses génies du modernisme et son culte de l'individualité hors norme, son sens d'une nature toute puissante et de la modestie éprouvée des constructions humaines bien naïves en regard et, il faut bien le dire aussi, détachés sur ce sombre fond puissamment sculpté, ses ultra-génies propres, Gaudi, Dali, Tapiès.

mercredi 9 août 2023

Nom inconnu, visage inconnu.

 Il y avait, d'après un certain GPS chargé sur mes écrans, trois chemins pour y (ici apparaissait le nom, nom à peine déformé par ma vue, ma lecture trop rapide, lapsus lectionis, d'un vrai village qui existe vraiment . . . comme existe la photo d'identité nécessaire à cette opération ° ° ° )  aller et seulement quelques kilomètres. J'ai pris le plus rapide. Presque en ligne directe avec parfois quatre voies puis une petite bifurcation à droite et un trois quart de tour de cercle à gauche sur un rond point tout simple, pas de quoi avoir le tournis, sans ornements ce qui est de plus en plus rare, puis tout droit dans le piedmont, traversée de deux villages absolument paisibles et même vides par ces temps caniculaires. Sauf un marcheur sac au dos qui m'a regardé droit dans les yeux en passant, il arrivait juste en face, et une moto tricycle ou plutôt un scooter à trois roues (vous savez ces trucs bizarres qui semblent gâcher le plaisir acrobatique en forme de roulette russe du truc : se glisser dans un espace super étroit de route accidentée ou prendre un tournant quasi couché sur le côté à la vitesse appropriée, mais je ne suis pas François Darnaudet (le nom d'un romancier virtuose de ma connaissance) pour expliquer assez bien et même très très bien tout ça et je ne fais que dire des impressions extérieures) qui m'avait rejoint pour s'arrêter bientôt derrière moi en klaxonnant devant une fabrique de poutres métalliques . . . et on y était.

Ce village que je n'avais jamais traversé (son nom ne vous dirait rien bien que très pittoresque et facilement jouable en calembours) , il est au bord des axes de circulation de telle sorte qu'on l'évite en montant dans les Cévennes, je n'y entrais que pour renouveler ma . . . ce que notre administration s'autorise à appeler CIN. Entendez  : ma Carte d'Identité Nationale arrivée depuis trop longtemps à expiration. Autant dire que n'ayant plus aucune existence juridique et . . . que j'avais eu bien du courage et encore plus de négligence et un peu beaucoup de culot en continuant à rouler ma bosse à droite et à gauche. Et même de l'audace à traverser récemment encore une frontière avec ma vieille carte où la photo déjà, prise au photomaton, me donnait l'air d'un vieillard revêche, ça devenait urgent de me mettre en règle . . .). 

Or vu l'attente à Nîmes pour obtenir passeport ou CIN, comme partout ailleurs (je dis ça pour ceux qui me lisent aux Etats Unis, ou en Inde et peut-être ne connaissent pas nos désastres locaux de planification. Que ce soit pour le nombre limité de médecins formés dans nos facultés ou comme ici pour la capacité de notre administration à faire face à et à absorber l'augmentation de la population en même temps que celle de son niveau de vie . . . soit, plus de soins, plus de voyages, plus de passeports et de titre d'identité, etc . . . et moins de places dans les amphis et moins de fonctionnaires pour vérifier, organiser, mettre en musique. . . j'avais suivi le programme de ((encore un mot inclassable)) . . . . . déterritorialisation mis en place par nos génies de l'improvisation tardive pour pallier les résultats déplorables de cette gestion imprévoyante. . . .  je m'étais résolu à aller là où on voulait bien accueillir ma demande, mais pas trop loin de mon havre de paix au Mas Dingue où je cueille actuellement figues violettes et énormes grappes de raisin doré. 

 Je vous avertis, . . . gaffe . . .

. . . . ça va faire pendant négatif à l'autre bout de mes petits morceaux de mémoire au jour le jour, face à celui que vous avez vu hier ou avant-hier, ça va faire réponse en écho à cette lumière de ma jeunesse à Dakar, sur le balcon suspendu de l'ambassade, ô mes saint patrons,mes saint génies . . . . . incontestablement un des sommets de ma gloire. Là tout était un peu en berne, comme le drapeau de la mairie dont personne ne semblait s'être préoccupé en ces jours de canicule, coincé par l'action d'un souffle intermittent entre les barreaux de la barrière du balcon où il aurait dû être déployé et donc au contraire replié.

En effet, du temps s'était écoulé aux grains ou corpuscules de mon sablier intérieur depuis le Sénégal où le soit disant "faux bon climat" décrit par les coloniaux nous avait paru paradisiaque, en fait un climat tropical baignable toute l'année en eaux turquoises de l'océan et promenable, étonnant en Afrique, même en costard cravate en ville sur la place de l'Indépendance ou comme tenue obligatoire en bureau de chancellerie, à l'aise, sans suffoquer, sauf même pas deux mois par an, autant ici, retour en "métropole" tempérée, nous avions du mal à respirer. 

Parenthèse : dire qu'en Afrique, sans problème particulier, nous avions répondu longuement, dans le détail, à une enquête sur notre aptitude à supporter les très hautes températures, destinée à voir si une acclimatation se produisait au fil des mois et des différents postes occupés dans une carrière, enquête bien intentionnée peut-être, peut-on croire pareille sornette ? destinée . . . ç'aurait été à peine croyable, à moduler les nominations de fonctionnaires en fonction de leurs capteurs et thermostats naturels et incorporés . . .  mais restée évidement sans suite . . . 

Passons, je ne suis pas là pour me plaindre de l'Administration qui a toujours raison contre le péquin au contraire, en dépit de tout, il faut conter et raconter sans broncher ! 

Donc le jour était de bleu ciel avec de très petits nuages épars et un tout petit peu de vent mais seulement d'altitude qui les ramenait là-haut en files indiennes lentes comme un décor de théâtre ou de BD . . .  mais aucun air en bas au ras du sol. J'avais garé ma voiture à l'ombre au centre ville du village, sous des très grands platanes, sur une magnifique esplanade. Hélas la Mairie s'était elle-même déterritorialisée et avait élu domicile presque à l'extérieur de ce petit bourg étalé, aux grosses maisons cossues et bien tenues. Occasion de le traverser tout entier, y compris l'oued bétonné surplombé par un pont bien décoratif aux barrières métalliques travaillées et peintes en vert tendre qui permettait, avant d'arriver à la mairie, décidément excentrée, de rejoindre d'abord une petite poste pimpante et fermée à cette heure là. 

Faut dire le soleil tapait. Pas un chat ni un chien, pas un tracteur dans les rues, j'étais seul à les arpenter, un peu suffoqué, un peu vouté, le contraire de mon air triomphant à Dakar avec mon costume gris et ma cravate écarlate. Je me sentais presque comme dans un de ces très mauvais films où après une séquence calme et monotone, le héro se retrouve, on le sens dans l'air et si on n'a pas encore compris la musique est là violente et vibrante, menacé par je ne sais quoi, un ouragan (film catastrophe), un écrasement de camion (thriller machiavélique), un simple coup de fil qui le plonge dans le désarroi (film tragiquement pathétique), etc . . . 

Quand j'arrivai enfin dans le bureau adéquat, réfrigéré adéquatement, au-dessus de la salle des fêtes grande ouverte pour aération adéquate avant réunion, le préposé m'attendait à l'heure et disponible, exact au rendez-vous.

Il m'a dit que mon nom lui était familier, il voulait savoir s'il avait inscrit déjà sur ses registres un proche ou lointain parent, celui-là au moins avait la discrétion de ne pas me demander si j'avais des origines grecques vu les sonorités de mon nom, comme font la plupart des gens curieux, indiscrets, qui se veulent un peu savants, à propos de mon vrai nom de famille ça va sans dire, et je dus lui expliquer quand même ses origines purement occitanes (occitan par mon père, lointainement catalan par ma mère) venu d'un coin perdu de la montagne avec une tribu peu à peu descendue dans la plaine vers ces rivages grecs dont ces (celles de mon nom) sonorités pouvaient effectivement, en apparence, le rapprocher au point qu'en Grèce même il peut passer pour grec. 

Puis nous passâmes aux choses sérieuses. 

Déjà dans mon formulaire rempli sur Internet et imprimé, j'avais très volontairement omis mon dernier prénom d'Etat Civil, deux ça suffisait selon moi et je n'aimais pas ce dernier prénom, le troisième - à mon âge avancé j'aurais bien enfin profité de l'occasion pour m'en débarrasser, d'autant que c'était celui d'un oncle pas spécialement apprécié de moi. Bon, donc me voilà contraint de le rétablir. On n'en a jamais fini avec sa parentèle et son passé, encore moins sa déclaration de naissance.

Le pire étai à venir.

Quand il a fallu prendre mes empreintes. Celles des quatre doigts : index, majeur, annulaire, auriculaire.

J'ai maintenant ces doigts-là si tordus que je n'arrivais pas à les poser droit, bien à plat sur la plaque de la petite machine chargée de relever l'impression des empreintes (ce système astucieux qui remplace avantageusement l'obligation de se noircir d'encre les doigts). Alors je dois dire il a été vraiment compatissant, le préposé, je forçais au maximum pour aplatir ma mains, j'avais posé l'autre dessus pour forcer davantage et il est venu, poser et appuyer la sienne menotte plus grosse que la mienne, encore par-dessus en appuyant fort. 

Résultat sans équivoque : prise de deux empreintes sur quatre . . . que ne prend-t-on l'empreinte du pouce seul doigt épargné dans mon anatomie tourmentée, bien que parfois lui aussi pris de crampes, mais épargné par les torsions ? Bon ça allait quand même le faire (disait la centrale de la machine en retour), deux sur quatre c'était bon.

Encore personne n'avait-il fait de remarque sur la binette que m'avait, parfaitement règlementairement troussé le photomaton spécial identité, une merveille de précision, le matin même dans une galerie marchande, sans mèche sur l'œil, sans que le haut du crâne dépasse le cadre, bien au milieu, bien en face, regard direct, sans sourire, l'air inquisiteur et soupçonneux (ça ce n'était pas obligatoire, c'était ces sacrées machines que je redoutais toujours avec leurs réactions imprévisibles et spécialement à contre-temps des miennes), un œil plus ouvert que l'autre, sourcils froncés, l'un légèrement plus bas, en signe d'extrême concentration face aux petites lumières rouges et aux propos de cette machine qui maintenant se mettait à parler, à donner des conseils qui pour ma tournure n'arrangeaient rien et ne faisaient que semer un peu plus de confusion, incroyable . . . et finalement ma réaction était celle d'un combattant, moi me laisser faire et manipuler ? j'avais pris l'air d'un très vieux flibustier, d'un forban capable, s'il le fallait, après tout ce qu'il avait déjà vécu, de tous les crimes.

° ° ° Note: j'ai hésité à mettre un exemplaire de cette image iconique de moi et du village carte-postale du Gard pour éviter les reproches de lecteurs autochtones ou les procès, sait-on jamais, ainsi son nom légèrement déformé (celui du village) est-il cependant formulé dans le texte ci-dessus, à plusieurs reprises, disséminé dans le texte (ceci dit pour ceux que les énigmes boy-scout pourraient intéresser) et de mon nouveau portrait en gloire de peur d'effrayer ici mon lecteur bénévole et méritant.

dimanche 6 août 2023

Dakar, perché au-dessus de la Corniche.

Pour une fois je regarde la mer, ce ciel toujours invariablement bleu, je suis exceptionnellement debout et inactif sur ce balcon baigné d'une grande lumière et attenant à la pièce, presque une terrasse, où je ne vais jamais et c'est bien dommage. Le bureau que j'occupe n'est pas grand mais je l'occupe seul, j'y reçois sans arrêt toutes sortes de visiteurs, il est au troisième étage d'un immeuble dominant la Corniche avec cette magnifique vue mer. J'ai une chance inouïe, c'est mon premier poste en ambassade. Au loin Gorée scintille et j'aperçois la chaloupe presque à mi-course, bondissant sur l'agitation des vagues.

En bas, au rez de chaussée, dans le hall immense se tiennent postés les visiteurs qui attendent des rendez-vous ou qui espèrent être reçus sans, les plantons plantés debout et les deux gendarmes assis de l'accueil; au fond s'ouvre la porte du consulat avec un personnel assez fourni protégé par de simples vitres car les Français sont encore nombreux au Sénégal, pays qui entretient avec la France des rapports privilégiés. 

C'est toujours le savant académicien et poète qui a grimpé tous les échelons de la hiérarchie de l'intelligentsia du pays colonisateur du sien, Leopold Sédar Senghor qui, fier de sa "goute de sang portugais", regard de rigoureux lettré, levé au petit matin pour réfléchir, se laisser inspirer, travailler, écrire avant sa journée de Président, lui, premier parmi les premiers en Afrique, qui est aux commandes, maintenant ferme sa vision un peu utopique du monde, sa conception personnelle de la démocratie, de la négritude, et au grand damn de ses opposants, dans un monde ou montent les violences, son alliance à la France et si on se fie aux enquêtes jusqu'à ce jour, son rejet des compromissions criantes de la Françafrique.

Au premier étage se tient le représentant de la France sur ce territoire, l'ambassadeur en personne qui depuis sa mésaventure traumatisante avec De Gaulle, bloqué dans un ascenseur avec lui, quand il était son aide de camp, monte à pied jusqu'à son spacieux bureau. A côté de lui, l'attaché de presse, toujours à la botte, qui laisse sa veste sur le dossier de son fauteuil même quand il s'absente pour quelques minutes afin de montrer ou de laisser croire qu'il n'est pas loin, le Conseiller commercial et le conseiller militaire, les deux seuls qui comptent lors de "la messe", la réunion hebdomadaire de synthèse où tous les conseillers et quelques attachés sont présents. L'ambassadeur ne monte jamais les étages, il vous appelle sans préciser pour quel sujet, il vous interpelle d'un "vous pouvez venir ?" sans contradiction possible et sans que vous puissiez vous munir du dossier correspondant à ses attentes, assez souvent et quelquefois plusieurs fois dans le même jour, vous accourez ventre à terre et d'ailleurs sans trop d'angoisse, il est souvent catégorique mais très courtois et garde l'œil pétillant en connaisseur des vices, vertus et faiblesses de l'humanité. 

Au deuxième étage se tiennent les moindres conseillers, naval, sdec, culturel, crypteurs, autres . . . 

Si bien qu'au troisième où je recevais pas mal de monde, ceux que m'envoyaient mes supérieurs, ceux qui avaient quelque chose à voir avec le culture ou l'éducation, ceux qui reçus nulle part voulaient avoir une approche, fut-elle éloignée du pouvoir et des services émanant du système et de la France ex-mère dominatrice du pays, et surtout toutes sortes d'artistes, comédiens, créateurs, écrivains, chorégraphes, cinéastes, peintres, poètes, dramaturges, éconduits ailleurs ou non. Mais aussi les coopérants nombreux espérant trouver une oreille à leurs problèmes divers. 

Autant dire que je n'étais pas Dieu le Père mais un de ses éventuels messagers, parachuté là, trop jeune croyaient mes solliciteurs, pour savoir encore me débarrasser des importuns et pas encore fourbisseur de ruses machiavéliques. Pourtant j'avais appris très vite comment me défaire des quémandeurs (de subventions, de crédits directs, d'aides ponctuelles et urgentes, de renflouement d'entreprises hasardeuses) plus nombreux qu'on ne pense en pareil service. On me disait :

- Vous êtes vous aussi poète et surtout philosophe ? (On voulait souvent dire privilégié et nanti).

- Je répondais, oui, affligé d'un étrange complexe lié à l'argent, mais à l'inverse de Sartre qui a toujours son porte-monnaie plein de billets et laisse de très gros pourboires, moi c'est l'inverse, mon portefeuille je le trimbale aplati et vide les trois quarts du temps.

Surtout, invité, bien malgré moi, dés mon arrivée, dans une émission télévisée où on interviewait les supposés poètes, c'était un coup de mon supérieur direct qui pensait ainsi me tester et peut-être me ridiculiser, ayant rédigé dans le cadre de mon travail de "nègre" une dépêche rendant compte de l'interdiction du dernier film de Sembene Ousmane qu'il avait signée de son nom, j'étais devenu assez rapidement dans un milieu où les nouvelles et les ragots sur les nouveaux vont vite, un spécialiste rédacteur du discours circonstancié y compris pour notre gratin de hauts diplomates de carrière. 


samedi 5 août 2023

Vent, Figues, Raisins.

 Je suis monté sur le toit ce matin, réarranger et cimenter une tuile qui avait glissé, l'eau coulait sur la terrasse dans les grands orages, et vu par dessus les maisons proches cette forêt de chênes, pins, micocouliers, cyprès qui nous entoure, ondule comme les vagues de la mer et aussi cueilli quelques grappes de ce raisin sans pépins, mais petit, aux grains serrés, très sucrés, qui deviennent rosé après avoir doré et aussi les premières figues violettes qui m'ont laissé sur les doigts leur lait aux vertus régénérantes pour la peau, excellent anti taches et verrues.

vendredi 4 août 2023

A de après/avant.

 Qu'est-ce qui, au fil du temps, a le plus changé radicalement dans nos rapports aux gens, aux objets, au monde qui nous entoure ?  Question d'ordre général qui semble renvoyer, au premier chef, avant l'aspect purement sociologique, à l'invention, à l'histoire, à l'usage des techniques récentes, question devenue le pain de chaque jour, le leitmotive du commentaire journalistique moralisant en recherche de consensus populaire et anti-moderne qui reçoit pourtant en chacun de nous - hors vision collective diluée dans la banalité - des réponses uniques, originales, bien différentes sinon contradictoires (voir le grand flot de discours généralement dévalorisants sur le selfie . . . et en définitive, son usage d'appropriation arbitraire et singulière même quand il s'agit de mimer les stars ou de singer les fameux). Car, émis massivement, collectivement et néanmoins reçus dans chaque sensibilité individuelle,  ces bouleversements dus à l'usage des machines n'ont pas pu ne pas bouleverser aussi, et peut-être en profondeur, selon la façon dont chacun s'empare ou pas de ces nouvelles ressources matérielles, de notre façon d'être, de vivre l'humain. Le fond de notre perception de l'idée que nous avons de nous-même et de tout ce qui nous entoure, notre ou précisément nos visions du monde, pour reprendre cette vieille expression totalisante, n'ont pu qu'en être changées. 

Au-delà des poncifs, il y faudrait, pour en rendre compte, un récit circonstancié de chacun d'entre nous.

Ainsi je me souviens que revenant de Kinshasa où j'avais déjà passé plusieurs mois, presque une année complète après avoir déjà vécu au Brésil puis au Sénégal, j'avais été fasciné, à Nîmes comme ailleurs chez nous, par les premiers distributeurs de billets. Longtemps plongé dans le bain de sociétés violemment inégalitaires, de domination, de misère, de pénurie où toute exposition de richesse prenait la forme d'une provocation, où tout étalage de billets ou de bijoux ou d'objets de valeur risquait de provoquer vol, agression, extorsion, plus encore au Congo devenu Zaïre que dans ces pays où j'avais déjà vécu, j'étais choqué par ces machines qui me donnaient l'impression de faire couler de l'argent liquide dans la rue sans aucune protection. Encore aujourd'hui, j'ai cette impression de vivre dans une société naïvement ou crânement impudique, tellement obsédée par l'argent qu'elle en montre de façon décomplexée les rouages moteurs.

Je me souviens des premiers téléphones cellulaires que possédaient Américains et Canadiens à Lima quand reliés par nécessité à l'ambassade de France, en époques de troubles subversifs ou de séisme, nous devions charrier en permanence, en tant que responsables de secteurs, de gros talkie walkie très incommodes par leur volume, leur poids, leur grésillement et surtout par le fait qu'ils restèrent assez longtemps branchés sur la même longueur d'onde qu'une entreprise de construction qui n'arrêtait pas d'envoyer des communiqués techniques, des ordres, des annonces de matériaux, à ses chefs de chantiers répartis dans la ville.

Cette omniprésence actuelle des téléphones portables / je me souviens là encore des premiers baigneurs parlant avec les premiers modèles de ces auxiliaires de toute communication, les pieds dans les vagues de la mer, sur une plage aux Caraïbes, juste avant la première guerre du Golfe au Proche-Orient / me donne cette impression que nous sommes tous perpétuellement faussement décontractés, en attente d'une catastrophe.