vendredi 29 janvier 2021

Congelado.

Lors du début de ma longue fréquentation des théâtres au Pérou, dans les années 80, c'était un truc scénique qui risquait d'ailleurs de devenir un tic et une calamité. Astuce visuelle empruntée au cinéma et parfois soulignée par la musique, utilisée au théâtre par les jeunes metteurs en scène qui l'avaient peut-être apprise dans d'autres pays : l'acteur principal du moment, celui qui était en train de parler s'arrêtait tout à coup, figé dans la position, le geste, la mimique où le congelado (littéralement le "congelé")  . . .

 pris ici au sens plus verbe et action que nom, résultat qui n'aurait été que atteint et maintenu, de cette "action de congeler" 

. . . l'avait saisi

N'étant pas encore accoutumé à ce jeu un peu syncopé, emprunté à et retrouvant diverses traditions venues du monde entier - le Pérou est séparé de l'Occident par la barrière des Andes et en revanche très tourné, y compris par une immigration orientale importante, vers l'Asie, Chine et Japon en particulier - j'y ai ressenti le vif plaisir de la découverte. D'autant que très lié à une troupe théâtrale qui l'utilisait dans quelques uns de ses spectacles, j'avais vu évoluer ce jeu, de répétition en répétition, vers une sorte de perfection. Aussi artificiel soit-il en apparence, s'il était bien intégré au scénario et bien coulé dans la gestuelle de l'actrice ou de l'acteur, il indiquait un moment de saisissement, de retournement, de bascule, soit en fin de compte cette rituelle, magique, cérémonielle essence même du théâtre qui donne à entendre et à voir le drame de nos vies.

Maintenant, vu de loin, avec le recul des années et des situations, je pense à ça en pensant à nous en ce début de 2021.

Nous sommes, me semble-t-il dans un moment de "congelado".

Abasourdis, figés, dans l'expectative et paralysés par ce qui advient.

Attendant un miracle de la science, même ceux qui hier, matamores de rodomontades fanfaronnaient, attendant une mise en route d'un système de protection efficace, attendant les décisions officielles qui régentent et fixent un peu arbitrairement nos comportements, actes, mouvements, modes de vie, gestes, attitudes, positions dans l'espace, mimiques, expressions, obsessions, le tout suspendu et différé.

Vers quoi allons-nous nous remettre en route, basculer, souffrir, regarder, espérer, disparaitre, nous réformer, muter ou mourir ? Nul ne le sait. 

Moment de congelé . . . ce serait presque le moment de confondre comme beaucoup le font aujourd'hui l'infinitif et le participe, moment de congeler.

Effrayant moment d'un flash mob mondial au moment exceptionnel et collectif d'un suspendu, bloqué, figé.

dimanche 24 janvier 2021

Rencontre de quel type ? (suite). . . .(et fin) . . .

. . . . pieds rompus, presque dix heures de marche depuis, le temps d'arriver, un peu avant sept heures du mat, dans l'herbe mouillée glissante, terrain pentu, quelques averses, il fait froid, qui se croirait en Afrique ? les "rangers" en treillis, de petite taille, hommes de la forêt recrutés, pieds nus, incroyablement cornés, avancent dans la forêt, parfois à la machette, parlent peu, un peu inquiets à mesure, peu à peu deux groupes ont abandonné, rentrés au bercail, découragés, marre de cette marche forcée, il est trop tard, on commence à parler de la nuit qui approche, sous l'équateur ou pas loin, surtout en forêt, avant six heures du soir et c'est et ce sera bientôt nuit noire, et aussi des éléphants de forêt qui sont agressifs à cette heure-là si on approche, et surtout il va falloir rentrer ensuite en courant dans les fondrières en sautant par dessus les racines, en glissant sur l'herbe, en descendant les pentes, à supposer qu'on les atteigne, ils sont allés plus loin encore, plus haut, ils parcourent d'assez grands espaces chaque jour, en quête de plantes, racines, fruits différents, ce sont des raffinés . . . 

. . . plus obstiné, tu meurs, ceux qui sont rentrés avec le denier groupe le regretteront toujours, mais c'était trop de fatigue et un peu de peur qui s'installe, continuons, prêts aux désillusions, à l'échec, ne sommes plus que trois et deux gardiens de la forêt qui abandonneraient bien, au moins l'un d'entre eux, heureusement l'autre moins et croit que peut-être nous ne sommes pas loin, il nous montre enfin deux boules rondes assez grosses, excréments mêlés de tiges de végétaux non digérés et nous intime de faire silence, surtout pas de flash, . . .

                                                       maintenant face à face, le mâle dominant, le dos argenté, pas croyable de carrure et de calme, nous barre la route, assis tranquille et bientôt à demi allongé, nous regarde bien en face, bien au fond de ses yeux marrons un peu ronds et bien enfoncés, nous osons à peine le regarder on nous a dit de baisser les yeux et même la tête, de nous tenir accroupis, de faire peu de gestes et en toute lenteur, c'est incroyable de se sentir si proches de cette bête qui manifestement n'en est pas une et nous surveille flegmatique et sûr de lui, ça se comprend, vus ses bras, ses biceps, ses pectoraux, ses épaules, sa nuque . . . 

et puis il a l'habitude de ces quelques visites bien que nous soyons là dans une période où il y a très peu de visiteurs, ses anges gardiens, sans doute ont-ils commencé par les chasser, peut-être en ont-ils un jour mangé, recrutés maintenant par le parc, l'administration de la réserve, ont mis pratiquement deux ans à se faire accepter, leur silhouette, leur odeur, leur approche sur la pointe des pieds, en le pistant de loin, pas à pas, jour après jour, qui maintenant nous accompagnent, nous introduisent

le plus beau ce sont derrière lui, à quelques mètres, ses femelles qui font leur nid, leur lit, dans les hautes herbes de ce coin qu'ils ont ensemble choisi et ses enfants qui avant d'aller se coucher chahutent et se balancent encore dans les branches basses des arbres, heureux, sans peur, édéniques, 

mais jamais je n'oublierai son regard de gros père tranquille et scrutateur, prêt, s'il le faut à nous voler dans les plumes et à nous mordre les fesses comme c'est arrivé, si nous détalons devant lui

il y a eu ce contact, cette pénétration des yeux,, quand je me suis résolu à le regarder bien droit, un regard d'égal à égal, nettement, et ce n'est pas qu'à ceux qui aiment les bêtes que ça arrive, c'est très fort, c'est une certitude, il me regardait non pas de son animalité en quelque sorte plus basse, mais du haut de sa propre humanité proche, à la fois compréhensif et résolu au pire, c'était très troublant et ça justifiait ce que disent les autochtones qui les connaissent bien : eux qui vivent depuis si longtemps sur ce territoire de tant de pillages, de tant de tant de combats féroces, massacres, guerres coloniales et tribales, aujourd'hui plus que jamais pour la possession de quelques réserves souterraines de métaux et minéraux rares, ils sont plus malins que nous, plus forts, ils ont évité à leur manière de franchir la barrière qui une fois renversée, nous a précipités sur ce terrain où nous sommes, contraints de travailler sans cesse et produire sans fin ce tourbillon de rivalités, de meurtres, esclaves d'un destin  qui va à notre perte et . . . aussi à la leur

jeudi 21 janvier 2021

Rencontre de quel type ?

  Tout se passe à un peu plus de 3000 mètres, en 1902, à proximité de la Dent du vieil Homme, ce mont des Virunga qui aujourd'hui est une incroyable borne tripode visible de plusieurs routes, dent déchiquetée marquant le point de rencontre entre les frontières actuelles de l'Est du Congo, du Sud de l'Ouganda et de l'Ouest du Burundi, à une époque où le poste militaire d'Usumbura, actuellement Bujumbura, est commandé par un certain Friedrich Robert Von Beringe  qui accompagné d'askaris (soldats autochtones enrôlés dans l'armée coloniale  allemande) essaie d'agrandir les possessions de son pays au détriment de quelques royaumes et sultanats. Au cours de son expédition il rencontrera un groupe de gorilles, en tue au moins deux et réussit à ramener à Berlin, bien qu'en partie dévorés par une hyène,  les morceaux dun cadavre impressionnant qui s'avèrera être le premier Gorille de Montagne connu en Europe, géant débonnaire et toujours massacré qui servira de modèle à King Kong et qui scientifiquement, honte et peine, porte en son honneur son nom : Gorilla Berengei Berengei.  

(A suivre . . . )                                                           

(L') Essentiel. . .

. . . était maintenant de garder le cap tout en changeant de vitesse de croisière. Il y avait eu cette période (longue) d'oisiveté et d'incrédulité, de dépenses d'énergie un peu désordonnée, de tentatives de loisirs ou de sports qui ne me convenaient pas au fond, ça me prenait trop de temps inutilement, de voyages, de découvertes de parties proches du monde que j'avais volontairement laissées de côté pour plus tard. Il s'agissait maintenant de retrouver de la force dans la progression après cette période où j'étais allé un peu au-delà de ces forces qui ne sont pas illimitées et qu'on perd un peu chaque jour, en oubliant la prudence et la modération. Un long voyage au Maroc jusqu'au désert. Puis presque une envie de nous établir à Tanger. Une découverte de Djerba et du sud Tunisien à la frontière libyenne. Un renouveau de passion pour l'Italie, la Toscane et les ruines étrusques. Ne plus être contraint de travailler pour gagner ma croute, plus de cours, plus de recherches commandées et forcées, plus de passages à Paris pour faire la tournée des bureaux, plus de "fonctions d'autorité", plus de voyages au long cours ou de vols courts et hasardeux vers les centres de province dans des pays chaotiques, . . . plus de discours pour les ambassadeurs, plus de dîners protocolaires, plus de travaux à évaluer, plus de messages à interpréter ou rédiger, plus de budgets à établir et à faire valider, plus de programme de saison théâtrale, d'expositions, ETC . . . . ouf, c'était presque trop beau cette encore nouvelle renaissance.

L'essentiel maintenant où je n'avais plus autant d'endurance mais autant d'enthousiasme était de choisir la route et de la tracer ferme aussi loin que ce pourrait, cela n'excluant d'ailleurs aucune bifurcation, la venue de chaque jour étant toujours autant une parfaite surprise et parfois une fausse piste ou une nouvelle joie ou un retour aux plus vieilles passions oubliées : Pierre-Jean Jouve, Jacques Dupin, Joan Cabral de Melo Neto, Alejo Carpentier, Miguel-Angel Asturias, Rafael Alberti et bien d'autres dans le plus grand désordre. Sans parler des fondamentaux que je relis rarement mais parfois. Bref ceux qu'ont lit et qui emportent tout quoi qu'ils disent par la musicalité et l'intelligence profonde et à fleur de peau de leur écriture; et ainsi reprendre des forces, respirer, calmer les spasmes, les tics, la non maîtrise et peut-être les tensions, les douleurs, les erreurs de postures, déchirures, crampes, de cet ensemble humeur-synesthésie du corps et de ce flux qui l'habite; et aussi, justement, par un exercice modéré, constant, mesuré mais aussi puissant que possible, comme par exemple en marchant loin ou en coupant des buches, reprendre malgré un peu de faiblesse, la force de son corps.


Temps de pandémie SF.

 Au temps de pandémie SF qui nous a plongés dans un bocal sans eau et sans air, sans contact, il va falloir opposer un truc terriblement machiné-combiné-malin-néoinventif-bio-survécu et encore plus c'est pas assez, sinon on est cuits les agneaux, rôtis en méchoui.

Contrairement.

 Contrairement à ce que j'ai dit je ne sais plus où ni quand, ya encore à faire.

J'avais presque envie d'arrêter ça, ce radotage alphabiotropique-et-nique. Mais non, je ne peux pas, non pas seulement parce que j'ai tellement à dire, mais parce que ce que j'ai dit jusqu'à présent n'est rien qu'une pelure d'oignon qui n'a fait pleurer que les yeux trop sensibles et clignant de bienveillance qui me connaissent un peu. C'est clair je voudrais faire pleurer d'autres yeux plus méchants et ennemis, inconnus et n'ayant pas froid, de chasseurs primitifs y compris, bien au-delà des plumitifs mes amis, voyez l'ambition exorbitante et universelle qui anime le lapin . . . armé jusqu'aux dents sur son blason qui en dit long de seigneur de la fuite en avant, oreilles de lièvres longues au vent, raconteur de ses courses et postures de guet, lapin griot, lapin conteur, lapin-lièvre de Mars en Orion la fusée (vol reporté).

Quand je relis pour la première fois d'une traite les 200 et quelques petits articles pondus, c'est beaucoup trop "court", dans tous les sens du terme, même pas le premier étage d'une fusée à étages? non, rien même pas un balbutiement de Minou Drouet (vous vous souvenez ?) donc c'est honteux, à peine un ratage de décollage même pas prometteur, aucune épaisseur, aucune profondeur, juste l'apparence extérieure d'une petite fleur au coin des lèvres dont personne n'a pus comprendre, et pour cause, à quel point elle est plus que vénéneuse, carnivore dans ses sucs et dans son cœur. 

Ambitieux le lapin ? trop même, et en tous cas . . . fou comme.

mercredi 20 janvier 2021

Rencontres perdues.

 Quand Dolly qui était potière l'avait fait entrer chez nous, nous avions déjà ri car il avait aimé notre appartement au pied de l'immeuble, une grande et haute maison familiale caché au fond du Leme, un quartier tranquille de Copacabana sous le Pain de Sucre - nous habiterions encore au pied du Pain de Sucre le haut, cette fois, d'une toute petite maison, mais de l'autre côté, côté Botafogo, plus tard, hasards de nos recherches de résidence à Rio - et ce qui l'avait fait rire c'est que cet appartement était traversé par un ascenseur qui ne s'arrêtait pas chez nous mais qui, silencieux, allumait une petite lumière rouge quand les propriétaires qui habitaient tout en haut, une vraie villa "de toit" avec une sorte de vrai jardin suspendu, l'empruntaient. Nous avions ri ensuite de ce que ce peintre racontait de son oeuvre.

Fernando Duval, à l'époque Fernando D. qui à peine plus âgé que moi, je venais d'avoir trente ans et lui trente-cinq ou trente-six, n'en finissait pas de décrire son monde en gestation. Outre quelques peintures abstraites il avait trouvé une voie qui plus tard devait lui réussir au Brésil et aux Etats Unis : peindre un univers imaginaire complet dont j'ai dit un mot déjà dans Le Fils de Dio publié sur Marsam.graphics. Un univers, en particulier une planète, qu'il présentait à ce moment-là comme un monde où étaient exilés les riches, très riches et les laids, très laids, mais couverts de bijoux, de tenues de brocard brodées d'argent et d'or et occupés à une infinité de jeux étranges, le moindre n'étant pas de promener sur des circuits bizarres, des chiens artificiels.

Inutile de dire que ce graphiste subversif - je ne sais pas s'il l'est resté - évoquait sarcastiquement par ses portraits, ses architectures folles, les objets qu'il créait parfois, un double du monde réel reflétant assez fidèlement les  horribles classes privilégiées dominant alors et encore ce pays de misère. Donc, ce jour là nous avons, nous qui venions à peine de découvrir, fréquentant les galeries, ces héritiers ou parvenus dominant évidemment le marché de l'art, n'avons cessé de rire.

Quand je lui envoie un message, il ne me répond pas. Sans doute ne se souvient-il pas d'un admirateur qui en ces temps lointains n'était qu'un étranger de passage parmi tant d'autres, dans cette ex-capitale qui a vu défiler tant d'habitants de la terre.

mardi 19 janvier 2021

Rencontres.

Inquiet et souvent à l'affut de gens, choses, faits, nouvelles têtes, nouveaux lieux, nouvelles situations, activités inattendues, bien qu'aimant parfois intervenir ou même construire, organiser et avoir une position de sûreté, je crois que j'aurais pu me contenter de voyager, de marcher, de visiter, de regarder, écouter, rencontrer et donc de m'affronter parfois et prendre en pleine poire ce que je ne comprenais pas, dont je n'avais même pas idée.
Echantillons :
Parmi mes plus belles surprises, au Brésil, mis à part la ville de Rio elle-même et l'étendue mêlée de son panorama maritime enfilant en perspective baies, mornes, tables rocheuses, plages, massifs forestiers et marées humaines, la beauté et l'infini variété des types humains (en arrivant j'aurais pu passer des heures et je l'ai fait, à voir défiler librement sans aucune contrainte vestimentaire l'infinie variété des habitants sur les immenses avenues). Ensuite, toujours au Brésil, la langue. Inoubliable douceur, paresse, chant des mots portugais sans ce chuintement spécifique au Portugal, avec ce roulement de l'R tellement plus doux et cette lenteur tropicale inimitable en effets de torpeur et de halot de rêve n'excluant aucune violence du cri, cruauté ou désespoir.
C'est là que j'ai commencé à imaginer un livre fait de fragments et de bribes brumeuses, d'éclats de soleil dans les vagues hautes, de murs moisis, de violences urbaines, de rencontres de gens inconnus, pas encore connus et certains le seront ensuite, qui m'ont appris comme jamais ensuite, le plaisir de seulement exister en trempant son doigt dans le verre, au soleil couchant ou un peu plus tard, pour bien mélanger cachaça, glaçons, écorces de citron coupé en petits carrés, sachant que les lendemains pourraient ne pas être radieux, que c'était autant de pris sur le bus qui tombe de la voie surélevée, sur les obscures décisions du pouvoir provoquant la ruine,  sur les arrestations arbitraires en plein calme ou sur la maladie de fièvre sans remède venant par surprise du sertao.

Dérive.

 La dérive de certains mots fait peur. Certes, il faut bien que la langue évolue. Vouloir la figer et la barricader telle qu'elle nous est parvenue dans son histoire hasardeuse serait aussi ridicule que de vouloir l'empêcher de respirer et comment s'intéresser encore aux lents, inutiles, impotents travaux de l'Académie ? 

Peut-on s'empêcher cependant de voir cet emportement dans le courant de pauvres vocables détachés du contexte et de l'usage pour être livrés au tourbillon boueux, passager, à la répétition sans raison du dernier tic, comme un symptôme du vide qui envahit pensée en même temps que langage ? 

Ainsi le verbe échanger, transitif direct, se construit chaque jour de plus en plus hors connexion, on échange sans plus et on ne sait plus du tout ce qu'on échange, sa chemise, son spleen, son ennui, son creux à l'estomac, pardon je voulais dire son souci . . . 

Ainsi, bien que se met à appeler le présent de l'indicatif, j'indique ainsi clairement que je ne comprends plus rien à ce que je dis et je raie de la liste la possibilité d'émettre une simple hypothèse, transformant tout en présent vécu comme inéluctable.

Ainsi depuis longtemps déjà quelque part, l'expression lacanienne, ne sait plus où elle habite, pas dans l'inconscient du corps ou de son histoire en tout cas, ailleurs et partout, puisqu'elle loge dans n'importe quoi.

Ainsi l'homme contemporain, la femme aussi, est parti quelque part, on ne sait d'ailleurs où, un beau jour et peut-être aussi bien au quotidien,  échanger bien qu'il n'a plus rien à communiquer.

lundi 18 janvier 2021

Alphabio.

Oh . . . . ça pourrait être long mais ça sera très court. 

Rien n'est aussi efficace que l'absurde classement alphabétique. Même inapproprié totalement. Oui l'histoire des 23, 24 ou 26 lettres est une clé miraculeuse du monde, surtout quand il s'agit de connaissances et trésors de savoir écrit. Mais on peut l'appliquer à tout. 

Surtout si on ne sait pas comment faire, même provisoirement pour ranger et retrouver quelque chose, une idée, des noms, des amis, des variétés de clous ou de graines ou des rues.

Par ailleurs, rien n'est plus confus, diffus, emmêlé, inclassable, etc . . . qu'une vie déjà presque écoulée sauf à la raconter chronologiquement ce qui à mon sens donne une très fausse idée, faussement ordonnée, fléchée, évolutive, progressive et programmée. Une vie ça me paraît, rétrospectivement tout le contraire. Un éclatement en parcelles, fragments, embrouillaminis, continuités mais pas par successions, par repassage au même point en trajectoire spiralée et formée en couches, 

pas en vecteurs.

Donc, l'alphabio permet de constituer des coupes, des lamelles, des images, des scan, des explorations partielles, des particules contradictoires faciles à comparer, juxtaposer, assembler, formant nébuleuse.

L'alphabio est une sonde qui fait remonter jusqu'aux souvenirs perdus, des facettes autrement adultérées, déguisées, arrangées, 

perdues.


Soleil.

 Non rien.

Ce que j'allais dire est ridicule.

Mais pourtant, il y a un fil. Le choix de mes travaux de recherche du temps où j'avais l'âge. L'attribution au moins d'un poste (et on ne m'avait pas caché que ça avait joué, les décideurs dans ce genre d'affaire ne cachent pas que parfois, ces coïncidences ont leur place). Le choix que j'ai fait de fuir certaines parties du monde et d'en fréquenter d'autres.  

L'humidité, le gris me rendent malades, je voue un culte au ciel trop bleu et au soleil.

Bref je suis excessivement simple et même primitif.

Pure PUTE.

 Un homme aussi peut l'être et j'en ai connu.

Faudrait-il dire "pur putard" ? Une certaine  tonalité disparaîtrait du panel de nuances.

La plus mielleuse, une vraie maquerelle dans un groupe que je fréquentais, avait un ton tellement irritant de fausse compassion, gentillesse ou charité, qu'on pouvait se demander comment certains, de trop nombreux quidams, pouvaient tomber dans ses rais ou se laisser coller à sa toile et à son sucre alors qu'elle n'était guère ni émue facilement, ni généreuse, ni secourable, mais faisait miroiter pour ses partisans des avantages qu'elle inventait et ne pouvait offrir. Elle recevait beaucoup et enrobait tout son monde, essentiellement par vanité, dans son cercle. Il faut croire que beaucoup croient aux contes de fée ou du moins n'ont pas lu avec attention les horribles histoires des frères Grimm. Mais elle n'était pas si dangereuse, veillant surtout à augmenter en nombre sa cour, son petit cercle anodin d'influence trompeuse et bénigne.

Une autre que j'ai dû côtoyer lors de mes passages au Ministère était beaucoup plus venimeuse puisque de fonction ambiguë, on pouvait avoir l'impression qu'elle était placée à son poste pour faciliter les transitions, arrondir les angles et fournir de l'aide aux nouveaux, lâchant elle-même quelques confidences sur elle-même et ses propres difficultés, elle s'employait à faire apparaître en aveu confiant ce qui pouvait nuire à des gens qu'elle n'administrait pas elle-même mais qu'elle se chargeait de dénoncer ou signaler à plus puissant qu'elle, prenant plaisir à les voir à la suite de ses rapports . . . tombés en disgrace ou éliminés.

Quant au putard, homme vrai pure pute, qui ne fit que passer, j'ai compris un peu tard qu'il était jaloux et dépensait son orgueil de médiocre à chercher ce qui pouvait abattre plus entreprenant ou vaillant que lui.

Il était arrivé un jour de cérémonie où nous étions debout, en formation hiérarchisée face à un petit monument qui rendait hommage à un héros français qui se trouvait à passer par mer devant la capitale de ce pays lointain pendant la guerre du Pacifique et qui avait eu l'audace et l'esprit généreux de mettre son escouade au service des habitants pour les défendre d'une attaque violente de leurs éternels ennemis voisins. Mais peu importent les circonstances. Ce jour-là je sais qu'il a pris ombrage de me voir parmi les habitués de cette cérémonie. Il était placé à côté de moi, un peu en arrière, car j'avais été chargé en l'absence du consul ce jour-là, d'apporter le bouquet de fleurs à déposer au socle du monument et je le dominais de plus d'une tête. Ses regards intermittents sur ma nuque auraient dû m'alerter.

Je crois que ce qu'il apprit ensuite fit de moi, faramineuse superficialité et féodalité des missions diplomatiques dont on attend une attention autrement gaspillée qu'en soucis de protocole ! son ennemi, malgré ses courbettes et sourires de façade, son amabilité excessive et sa garantie de protection. Le plus ancien dans le poste et bien que cela ne me revint pas, j'avais dû exceptionnellement écrire le discours que l'ambassadeur nouveau devait prononcer.

dimanche 17 janvier 2021

Néo Narco.


C'est vrai la plupart des groupes armés successifs dans le Tiers Monde, là où la Révolution aurait pu avoir un sens, quand elle prenait fait et cause pour les bafoués, méprisés, surexploités, maintenus en état de sous-humanité depuis la colonisation, déclarant la guerre à l'Occident pourri et dans le deuxième cas,  pour le pourrir plus de l'intérieur, sont devenus des dictatures réussies ou ont sombré dans le narcotrafic fournisseur d'armes.

C'est évident, la consommation de drogue réservée aux cérémonies religieuses dans les sociétés archaïques et en Occidentalisée industrialisé aux "élites" déliquescentes, était limitée.  Elle a explosé et a gagné le moindre recoin, la moindre banlieue misérable du monde au point d'acheter tout à commencer par les démocraties fragiles quant aux autres, le coût de leurs campagnes y suffit.

Violemment s'empoisonne qui voudra. Voit le monde au travers de brumes et prismes déformants qui voudra. Le perçoive de façon accélérée et chaotique, plus qu'il n'est encore qui voudra.

Après tout l'alcool remplissait déjà ce rôle et les asiles aussi, un peu partout y compris chez nous.

Mais il y a un nouveau statut du narco.

Un jour j'ai vu arriver dans mon bureau, après l'intervention d'un assez connu chercheur en pédagogie qui malgré ses faibles pouvoirs avait fait un tabac (non je ne suis pas fana de pédagogie et si je l'avais programmé c'était pour satisfaire une demande de mes interlocuteurs), un type aimable envoyé comme intermédiaire par les services nationaux locaux, chargés de l'approvisionnement et de la logistique des établissements scolaires et universités. Il arrivait souriant avec un vague projet nécessitant absolument un coûteux et très encombrant matériel de reprographie et de projection qu'il s'agissait de faire entrer puis sortir du pays. Un énorme appareillage qui avait été exposé avec beaucoup de difficultés sur des stands de nouveautés. Il aurait fallu lui en faciliter l'achat ou au moins le prêt et l'entrée en douane dans son propre pays où ces opérations étaient cauchemardesques. Peut-être n'était-ce guère à moi d'en juger, mais j'avais du mal à saisir l'intérêt de cette opération jusqu'à ce que je comprenne qu'il avait besoin d'une entrée officielle étrangère et protégée, non pour l'usage qui n'était que prétexte mais pour y inclure en toute tranquillité, il y avait entre autres un très gros cylindre qui aurait pu être rempli de ce qu'on voulait . . . diverses substances, tant au voyage aller (certains produits de laboratoire faisaient cruellement défaut) qu'au retour. 

On va me dire que j'extrapole, que je délire . . . . 

ayant déjà voyagé faute de mieux, dans un avion rempli seulement de quelques sacs de café par des producteurs qui déclaraient ceux-là officiellement et faisaient sortir clandestinement le gros de leur production par d'autres frontières, je m'attendais à tout, donc . . .

peut-être pas si l'on considère que pour l'occasion, si je rentrai dans la combine, à la deuxième visite insistante que j'acceptai, je l'avoue par curiosité, pour voir ce qu'il allait dévoiler, jusqu'où il oserait aller, il m'a proposé, en pleine propriété, précisément des champs de café au nord du pays, dans une zone peu contrôlée, en cadeau.

Parfois quand je déguste un moka, un café du Brésil ou de Colombie ou d'Ethiopie ou du Harare, je songe à ce mystérieux et imposant cylindre.


Prochaines Fournées.

 A classer ou F ou P selon l'espace et la place.

. . . . . écrire encore ? il faudra bien savoir stopper . . . rester dans l'animalité, l'imperfection humaine et ne pas sombrer dans l'illusion d'un accès . . . . à l'interminable, ébauche d'infini.

Entendre cet anachorète bâtisseur qui soutenait que le prétendu artiste ou l'artisan tâcheron ou le plus habile interprète, devait éviter d'imaginer qu'il atteindrait la perfection de la forme, l'apparence de totalité. Et, dans l'idéal, que le poète devait impérativement laisser dans l'oeuvre des maladresses, des manques, des trous et vides entre les fragments, bouts oubliés à jamais, pour éviter d'offenser Dieu. 

Personnellement, je n'ai peur d'offenser personne, ni le courageux lecteur engagé dans ce dédale, apparent parcours sans fin, sauf  . . . sauf ma propre force et persévérance limitées, ma propre aptitude à essayer de ne pas trop divaguer et dérailler ou disjoncter et à poursuivre la course jusqu'au bord. Par avancées successives réduites.

Quant aux trous et manques, il viendront d'eux-mêmes sans aucune recherche. Ils sont déjà le vide entre ces bribes.

Certains, j'en suis sûr, penseront que déjà j'ai beaucoup moulu et abusé de l'éclatement de ces entrées qu'offre l'alphabet. Que je n'ai que trop envahi l'alphabet de parcours biographiques. Champ miné s'il en est.

Donc, il serait peut-être temps de limiter et resserrer les rangs de cette foule, de cette petite cohue qui se bouscule à mon portillon de mémoire. N'étant ni un puissant Littré, ni au petit pied aucunement lexicographe. N'étant qu'un promeneur d'alphabets décousus. Qu'un joueur de roulette tirant sur des cibles abandonnées. Introduisant ses souvenirs exigus dans le grand livre. Novice et subreptice plus qu'assuré de ses choix.

Oui,

mais,

en attendant j'ai déjà sur la planche quelques pains à enfourner, garnis, assaisonnés ou pas, mais de ma propre main et de mes épices :

Pure pute, Pur produit, Néo narco, Soleil et sans doute aussi : Alphabio, mot sur lequel je devrais, je dois un jour m'expliquer.

samedi 16 janvier 2021

Allongé dans le cercueil peut être un incipit.

Un ami Facebook vient de raconter l'histoire vraie d'une famille qui à Béziers, il y a un certain temps, avait eu la surprise de voir au funérarium, à la place de SON mort, un AUTRE cadavre . . . revêtu des vêtements du mort chéri prévus pour la cérémonie . . . par cette famille non seulement éplorée mais pour le coup un peu secouée. L'affaire s'expliquant par une confusion de deux décédés non seulement concomitants mais homonymes. Un peu comme dans les maternités où il arrive, paraît-il, qu'on vous échange involontairement les bébés d'une famille à l'autre (du moins d'après ce qu'on peut en voir parfois dans les séries télévisées qui adorent et cultivent au moins autant ce genre de passe-passe que les affaires de jumeaux indiscernables . . . pour ne pas parler de celles des amnésiques hyperactifs).

Du coup j'avais commenté : 

-   est-ce tellement important ? 

Ce qui risquait d'être mal interprété et le fut, de telle sorte que me voilà contraint d'expliquer en ajoutant :

- pour le mort une fois mort . . .

C'est vrai que là encore, les polars nous ont accoutumés aux substitutions de cadavres. Mais cela va totalement à l'encontre et du respect des morts et de notre coutume de les honorer avec application et ferveur dans les soins apportés à la conservation de leur dépouille identifiée si possible. Pourtant . . .


Pourtant, si me voilà enfermé dans une caisse en bois vaguement trapézoïdale pour laisser place à mes coudes (et aux autres qui se multiplient à l'extérieur), et comment ne le serai-je pas, un jour, sans aucun doute, il me semble que je ne m'en soucierai que si on m'y met encore vif. Respirant peut-être ou non par un trou. Comme ce fut la crainte, d'être enterré vivant par erreur de diagnostic (ou terrible vengeance) pour beaucoup de gens jusqu' à une époque récente (bien des hommes célèbres, dont Washington ou Chopin, au détour de leur testament ou de leur correspondance, faute de critères médicaux suffisants, ont exigé plusieurs jours de sursis avant d'être inhumés) et comme cela a pu donner du grain à moudre à tant de poètes, conteurs, cinéastes et aussi inventeurs y compris ceux qui dénommèrent pour la première fois "croque morts" les héritiers modernes des embaumeurs, habilités à "y croquer" pour vérifier, de par leur fonction, l'authenticité dernière du décès.

Du coup quant à moi, me voilà saisi des images de ce film hollandais dont je ne retrouve pas la trace, vu à Lima, qui prenait pour cadre la place de la cathédrale, dite aussi place aux Herbes, à Nîmes, où le protagoniste criminel, avant d'enfermer vivantes ses victimes dans des cercueils qu'il enterrait - on voyait assez longuement les malheureuses enfermées dans leur boîte, la caméra les accompagnant sous terre dans le noir - se jette, on ne sait trop pourquoi, sinon sans doute pour commettre une sorte d'exploit et attirer l'attention sur lui, se jette donc en effet du haut d'un vieux balcon à ferronnerie qui existe encore bel et bien sur la place, du côté de la rue des Lombards, au-dessus d'une actuelle pharmacie.

Diable, ce vieux fantasme est donc bien toujours incrusté dans nos circonvolutions. 

Serait-ce la raison, pour le conjurer, de mon choix de vivre, semi-enterré, au moins par moments de pure fantaisie ou fiction narrative, sous la Maison carrée ?


vendredi 15 janvier 2021

Drames.

 Cette période nous avait marqués alors que bien d'autres avaient été sur un plan global, sur le plan des dangers encourus, beaucoup plus dramatique; Il y avait d'abord eu cet attaché militaire qui tout juste arrivé s'était mis à courir le long du fleuve de bon matin, dans la chaleur déjà lourde et humide en cette saison où fleurissaient les flamboyants, et qui, étant donné le climat dans son ensemble, son peu d'accoutumance, il venait d'un poste en climat plutôt froid, avait été retrouvé mort à la suite d'un arrêt cardiaque au bord de la route. Il y avait eu ensuite ce jeune chef d'escale qui, amant de la jeune encore et très belle femme d'un puissant chef de mission avait été trouvé noyé dans la piscine de sa villa alors qu'il était sportif, en forme et nageait parfaitement, et qui sans qu'aucune enquête n'ait été approfondie par la police locale, avait été déclaré en dépression et mort par suicide. Inutile de dire que les deux enterrements au petit carré des expatriés dans le grand cimetière de la capitale avait donné lieu à de bien tristes racontars et ragots. C'est dans cette ambiance que l'un de mes adjoints avait été sauvé de justesse, rapatrié à l'hôpital du Val de Grâce après avoir eu les symptômes graves d'une dysenterie tropicale impossible à identifier et à stopper sur place dans le gigantesque hôpital où les malades encombraient les couloirs dans des lits de fortune entourés de leur famille et où les rares médicaments disparaissaient pour être immédiatement revendus au marché noir et que

par surcroît, on nous avait prévenus par radio qu'un animateur culturel, dans un poste éloigné de  plus de deux-mille kilomètres, venait d'être mordu par un chien suspecté d'avoir la rage.

Message :

"Le cerveau du chien suit ce message et arrive par avion et acte bénévole du pilote, pour être conservé au réfrigérateur  et envoyé d'urgence par valise diplomatique, pour analyse, à Paris." 

Quand on pense aux délires et aux fantasmes des gens sur ce qui circule incognito par Valise on ne peut qu'être déçu. Le fait est que j'ai dû garder ce cerveau de chien dans une boîte en carton à côté de mes victuailles (c'était un pays où il était prudent de faire beaucoup de provisions) pendant plusieurs nombreuses heures en attendant le moment de le livrer à l'autre pilote bénévole qui partait en France.

Bien sûr tout le monde, proche ou lointain, s'est remis de ça, sauf les intéressés disparus, mais je parle de leur entourage, et le chien s'est révélé non rabique, heureusement, dans le cas contraire il eut été un peu difficile de sauver l'animateur mordu et de contrôler la situation. Ainsi donc les drames se transforment facilement en histoires à raconter qui pourraient elles-mêmes devenir la trame et le nœud de récits plus longs.


Vent.


Ici c'est triple ou quadruple. Mistral, Tramontane, Marin et vent d'Ouest ou d'Océan lointain qui arrive parfois et porte, à touts coups sans obstacles, la pluie, et parfois aussi un cinquième, le Grec ou vent d'Italie qui souffle si souvent en été, dans l'après-midi, humide, frais, près de le Méditerranée. Quand j'étais gamin je me souviens des fous qui hurlaient presque au centre ville, pas très loin de l'école primaire publique, dans l'asile privé du Bon Sauveur quand c'était vent d'Autan, c'est à dire ce même marin qui va bien au-delà dans les terres, bien loin de la côte, et arrive tiède, haletant comme une bête, se faufilant plus ou moins dans les vallées et les seuils en reprenant du poil.

Mais j'aime le vent surtout en frontière de Catalogne où il est terriblement fort et tellement parfois que Maillol, Aristide le sculpteur, disait qu'il était impossible de ne pas croire en Dieu quand il soufflait sur son mas à flanc de pente tournée à rebours de la mer et qu'il était impossible de résister. Personnellement, ça ne me fait rien de tel, ni croire, mais bien sentir les forces enfouies dans la terre et leur déchaînement possible, outrepassant encore, toujours, nos prévisions, récupérations, canalisations, détournements, faibles usages.

Le vent au bout d'une longue marche solitaire remet en place le cerveau coincé dans des crispations de doigts et logé dans des images illuminées par derrière, sur écran et clavier de ces barrières que construisent nos ordinateurs de bureau, de poche et d'ankylose, déformant nos joints et emboîtements de vertèbres, créant des circulations et des courts circuits merveilleusement inattendus en nous, mais . . .  si peu compatibles avec l'affrontement direct du monde "extérieur", avec la préparation du combat corps à corps que créaient encore la caméra au poing ou la scène projetée et filmée en extérieur, même en travelling, ou la parole proférée du conteur de cheminée ou d'arbre à palabre, ou le récit imprimé qu'on pouvait lire en pose à ciel ouvert.

Le vent fou est l'antidote de la vie close et refermée, foutraque, sur nos miroirs et abaques.

Lourd.

 C'est terrible d'être lourd, pour la personne, l'air, l'époque.

Depuis longtemps déjà l'air était lourd, nous nous sentions lourds et voilà que à force d'insister, de remuer tout ça, d'aller plus loin, de tirer sur la corde, de systématiser le profit, l'organisation et le désordre qui en résulte, l'époque toute entière et pour un certain temps est devenue lourde, pesant sur notre crâne et nos membres, faisant l'air si lourd qu'il a du mal à entrer dans nos poumons, à circuler en courant d'air et ventilation dans les circonvolutions où nous nous embrouillons à digérer cette soupe de métaux lourds et de fausses nouvelles ou tellement tristes et lourdes à dissiper . . . .


Amours.

Au pluriel ce serait poétique (pourquoi ?).

Au singulier ça fait peur à beaucoup (c'est que c'est lourd).

Peut-on avoir un seul amour ? Oui et non. C'est compliqué, on dirait. Plusieurs peuvent être toujours le même, d'un idéal ou de soi; un seul peut être fixation, condensation, obsession, être de fiction, incarnation.

Sans amour(s) on meurt. Peut-on aimer le monde, son prochain, un Dieu majuscule, ne vaut-il pas mieux choisir un être parmi les autres ?

Le fait d'avoir tant écrit et chanté (sur) l'amour n'a rien de rassurant. S'il est vrai que nous vivons de mensonges, de mythes, de modèles d'ailleurs variables et fluctuants.

L'amour peut être mis en formules comme chez Racine : A aime B qui aime C, en non réciprocité.

L'amour est aussi une belle excuse.

Les amours pluriels sont physiologiques avant d'être conçus comme romantiques. Comment Don Juan a-t-il pu faire un tel succès littéraire et quasi mystique ? 


jeudi 14 janvier 2021

Chienlit.

 Ecrit parfois chiant-lit ou mieux chie-en-lit.


Masculin quand il s'agit d'un masque ou d'un déguisement ou d'un personnage de carnaval, par allusion à un gamin mal fringué, déguisé, mal fagoté, chemise sortant de la culotte.

Féminin quand il s'agit de "foutre la merde" et que c'est fait, elle y est, expression bien nettement moins noble, c'est pourquoi sans doute De Gaulle, pour prendre ses distances par un archaïsme face à l'immondice, lui préféra celle-là en 1968.

Si on y réfléchit un peu c'est encore pire que "la merde". C'est traiter un désordre en général populaire même s'il avait été d'abord celui de la jeunesse étudiante, de ridicule déguisement renvoyant aux frasques ou encore débordements involontaires du bébé incapable de ne pas chier en son propre lit.

Quand on y pense, ce refus de le comprendre est la pire injure adressée au peuple qu'on puisse imaginer. Le gouvernant suprême ne voyant que l'envers du décor, celui que la foule, la masse, les insurgés ont laissé dans la rue, après avoir énoncé, revendiqué, exhibé ou affirmé leurs désirs, leur colère, leurs revendications, leurs rêves.

Comme il était bon mon petit Français (Como era gostoso o meo Francês).

      Venant d'arriver au merveilleux Brésil, nous avions déjà beaucoup vu de films et lu et rêvé, mais c'était la dictature militaire déjà bien établie et qui allait durer vingt ans, nous avons vu le film qui venait presque de sortir un peu avant (1971) dans une salle du centre ville bondée, impatiente et qui va rire durant toute la projection. Bouffée d'air frais du Cinema Novo dans sa phase "allégorique" chez Nelson Pereira dos Santos son inventeur (mort en 2018), dictature obligeant. Nous renvoyant au souvenir et aux "Singularités de la France Antarctique" (1557), époque de luttes de possession des terres du nouveau monde, à Jean de Léry, à ce cher et si disert André Thévet, à Montaigne qui les a lus et qui s'est aussi donné la peine d'aller voir les sauvages ramenés à Rouen et même d'essayer de leur parler, de les interroger, sans grand résultat il faut le dire, par l'intermédiaire d'un "truchement" qui l'exaspère (1562). Tout cela, et bien d'autres récits, confirmé depuis par les ethnologues et les historiens.

      Le film traduit en français sous le titre "Comme il était bon mon petit Français" est une provocation faite de sensuelle impudeur, de superbe beauté naturelle, d'innocence cannibale. Il  joue sur ce fronton historique, ethnologique, d'une reconstitution pleine de vitalité pour renvoyer ses balles contre l'autrement cruelle horreur du monde actuel. Je me souviens, il nous avait saisis par son évidente et équivoque tendresse. Aimer un petit Français réduit, nu, à l'état de sauvage, devenu, de guerrier conquérant, guerrier prisonnier et conquis, mangeur d'hommes lui aussi, et comme il est aimable, jouir de son désir et de sa peau de "civilisé" déchu et finir, délice suprême, sans une larme, par dévorer, outre un morceau de son bras, le lobe de son oreille, meilleur morceau de l'espèce humaine, une fois convenablement, délicatement rôti, c'est le faire absolument entrer dans le cycle non pas des renaissances mais des cultures, des "civilisations" qu'il vaut le coup, parfois . . .  hors tout propos scientifique, ironiquement sardonique, sinon de "comparer", du moins de mettre en parallèle.

Nous venions de perdre un ami brésilien, musicien, dessinateur très doux, gentil, un peu hippie, qui dans le quartier était aimé, apprécié,  pas vraiment subversif, il avait disparu, un matin on ne l'avait plus revu, à l'époque des "escadrons" chargés d'éliminer sans bruit (pas toujours ils ne craignaient rien), la nuit, clandestinement, inconnus et masqués, les mêmes qui paradaient le jour en uniforme, les supposés opposants qui, par leur simple mode de vie, mettaient en danger l'ordre établi.

Je crois que je n'ai compris réellement au bord de quels précipices j'avais marché que le jour de mon départ quand le directeur local d'Air France me faisant la faveur de mettre en place mon billet pour gagner d'urgence un autre poste où j'étais attendu depuis plusieurs semaines avant que le ministère m'ait envoyé de titre de transport statutaire - car il y avait comme souvent en haut lieu conflit sur les nominations - me fit remarquer que dans mes nouvelles fonctions j'aurais d'autant plus un devoir officiel de réserve, alors qu'en fêtant mon départ avec les autres, un étudiant s'était approché et venait juste de me dévoiler  qu'il avait eu la discrétion, heureuse pour moi, de ne pas parler de mes explications de textes, commentaires et cours, à son père qui avait une belle fonction au ministère de l'intérieur.

mercredi 13 janvier 2021

Idiosyncrasie

 Ce mot que j'aime bien n'est pas très utilisé en français comme il l'est dans d'autres langues. Il renvoie pourtant aux données personnelles qui nous définissent comme individu, par nos gestes, notre sensibilité, donc notre façon de percevoir mais aussi de raisonner, d'être plus ou moins immunisé ou exposé à une influence extérieure physique ou mentale; surtout il renvoie à l'attitude qui nous définit comme reconnaissables et uniques tous autant que nous sommes, êtres vivants ou systèmes les soutenant ou créés par eux, métabolisme, biologie, langues, expressions et même réflexes et coutumes. 

Ainsi un ancien ministre, membre d'un comité soutenant l'action de la France, racontait que le paysan des Andes pouvait se reconnaître au fait que rien ne lui interdisait de marcher dans la neige pieds nus mais que comme tout Péruvien il craignait les courants d'air. Je ne sais où il avait lu ou constaté ça mais je dois dire que malgré mon idiosyncrasie si différente de celle des habitants de mon pays d'accueil, je ne fumais que du tabac brun, je préférais au foot le rugby, en arrivant il m'arrivait d'intercaler quelques mots brésiliens dans mon castillan, à la suite de cette remarque - visait-elle cet effet ? - je me suis pour cette raison et pour d'autres (mes interlocuteurs pouvaient s'étonner que j'aime autant qu'eux les très diverses préparation du riz ou celles des multiples préparations de farine de maïs) senti assez vite très proche de ce peuple qui comme moi craint les courants d'air, surtout en climat tempéré mais humide et prend plaisir à marcher pieds nus pour sentir le chaud ou le froid remonter dans mon corps et le réveiller à des sensations primitives, comme quand, de tout le corps, on nage.

C'est peut-être au niveau des expressions, geste et langage, que les différences d'un individu et d'un peuple à l'autre sont les plus embarrassantes et source de malentendus.

Même pour compter sur ses doigts peu de peuples commencent par le pouce et continuent par l'index comme nous le faisons. La première fois que j'ai vu l'inverse, ce devait être au Brésil, dans la rue, quelqu'un m'expliquant je ne sais quoi en énumérant ses arguments en commençant par saisir de son autre main, entre pouce et index, le petit doigt puis l'annulaire de sa main droite et finissant au cinquième point par saisir son pouce.

D'une espèce à l'autre il faut apprendre le langage muet de nos animaux domestiques qui n'a pas grand chose à voir avec le nôtre, sauf peut-être le regard des chiens dont nous avons, semble-t-il réussi à trafiquer et à rendre mimétique les expressions des yeux.

Mais ne nous y trompons pas, d'un individu humain à l'autre la communication ne se fait que par miracle et presque toujours en méconnaissance, malentendu, méprise et interprétation hasardeuse et forcée. Sauf dans certains cas exceptionnels et alors il suffit d'un grognement, d'un léger détournement de tête ou d'un silence, d'un mot codé ou même inventé sur l'heure.

C'est peut-être pourquoi on peut prendre tellement de plaisir à comprendre et se faire comprendre d'un étranger et encore plus d'un animal. J'ai gardé longtemps la plume d'un perroquet d'Amazonie que nous avions en liberté et qui ne répondait guère qu'à mes appels.

mardi 12 janvier 2021

Esprit faux.

 Certains vont tout de suite nier que ça existe. Et je ne prétends m'enfoncer ni dans l'essentialisme, ni  dans un renforcement des discriminations existantes, ni dans une justification d'un quelconque "racisme de l'intelligence" pour reprendre un terme de Bourdieu. Alors reprenons.

Dans son Dictionnaire philosophique, Voltaire en a fait un article relativement long dans lequel il prend l'exemple de Newton :

"Les plus grands génies peuvent avoir l'esprit faux sur un principe qu'ils ont reçu sans examen".

Et de citer les prophéties de ce grand génie qui situait l'Apocalypse, se fondant sur des commentaires du texte biblique . . .  en 2060.


Outre le fait que j'espère vivement que ce très grand savant aura eu tort sur ce point, je dirai que Voltaire dans sa définition reprenait une longue tradition qui remonte à Homère ou Hésiode en passant par Montaigne ou Pascal.
La question, précisément en cette longue période de crise sanitaire où nous sommes plongés indéfiniment et déjà depuis un an, se pose plus que jamais. 
A lire l'argumentaire péremptoire, diversement documenté, fondé sur des observation qui se voudraient générales, sur des calculs de létalité et sur des options qui se prétendent éthiques, soutenu par des penseurs, se donnant au moins comme tels, parfois par des praticiens et des chercheurs, forts de leurs domaines respectifs, on pourrait se demander si ce qu'on a qualifié de "complotisme" n'est pas tout simplement une incapacité à évaluer un événement mondial nouveau et ses conséquences. N'est pas finalement le pur produit d'esprits capables d'un travail remarquable dans certains domaines mais radicalement faux quand il s'agit d'avoir une vision d'ensemble un tant soit peu fondée sur autre chose que des préjugés 
et un tant soit peu éclairée.

Tant qu'à avoir recours aux plus grands savants de notre histoire, on pourrait évoquer Galilée qui durant toute sa vie, outre sa remise en cause de Ptolémée et sa mise en place de notre nouvelle vision du système solaire, outre ses mesures sur la chute des corps pratiquées dans sa ville natale du haut de la Tour de Pise (on aime à imaginer la scène des balles de plomb et de plume jetées de là-haut quand on visite ce spectaculaire monument) avant d'utiliser un plan incliné, ancêtre du laboratoire du physicien moderne, pratiqua, peut-être pour des raisons de pli de son esprit, d'éducation et de recherche (il avait suivi une assez longue formation de médecin, à une époque où l'astrologie participait à la recherche de la guérison du malade) , peut-être pour des raisons plus intéressées, il aurait eu toute sa vie des dettes à payer, calcula des horoscopes qu'il faisait payer fort cher.


Poux.

 Parmi la liste Hiboux, Genoux . . . . ce mot nous faisait rire bien qu'il ait pu correspondre, à certains moments à une réalité désagréable qui renvoyait à la cérémonie du poux dans la tête qu'on devait chercher en passant précautionneusement un peigne et qui pouvait mériter l'usage, après la guerre, de la fameuse "mort parfumée des poux" de la Marie-Rose.

Où ai-je donc mis ces vignettes qu'on distribuait aux enfants à l'époque ? il faut que je les retrouve.

Mais la question est, aujourd'hui, celle des gens qui veulent à tout prix vous chercher et vous trouver, l'expression est restée, des poux dans la tête. C'est le cas de beaucoup de frustrés, de pointilleux, d'emmerdeurs, de mesquins, de jaloux.

lundi 11 janvier 2021

Linéaments.

 "On voit [dans la résurrection magique d'un mort] d'un sang caillé les flammes rallumées; L'artère avec le cœur reprend ses mouvements, le visage retourne à ses linéaments," nous rapporte Littré, le grand Littré, dans son dictionnaire, citant Georges Brébeuf, poète traducteur de la Pharsale de Lucain, publiée en 1658 après vingt ans de travail épuisant.

Si le linéament n'est réellement qu'un ensemble de lignes élémentaires et en conséquence une ébauche, pourquoi y ai-je vu toujours, une naissance, et par glissement de proximité une renaissance, une résurrection ? une réapparition ? Pourquoi l'ai-je vu toujours comme dans un film d'animation, l'apparition, trait par trait, miracle du dessin, magie du trait, forme naissante, éclosion, émergence, épiphanie ? plaisir d'y déchiffrer la naissance d'un corps, d'un être, d'un visage, d'une vie tirée de la page blanche, de la nappe d'eau, du tombeau, du néant.

Merci à vous Messieurs Littré et Brébeuf.

Rupture.

 Combien de ruptures ?

Etre l'être le plus constant sur un long long et même très long terme n'exclue pas une série de ruptures, dans les amitiés, les amours, le ou les métiers, les résidences, les pays, les intérêts, les habitudes, les choix, les vies. Tant de vies pourtant la même. On peut suivre un fil, une direction, garder une orientation et de temps à autre l'interrompre, aller voir ailleurs. Mais toujours la flèche indique le Nord.  Mais pour se dire constant il faut revenir au même objet. Mais surtout, à la longue s'apercevoir qu'on marchait toujours dans cette même direction avec une même tête et un même regard. Il faut reconnaître que tout change et rien ne change au fond du fond. Ainsi t'ai-je vue toujours, la plus grande fleur rouge.

Amoureux depuis bientôt soixante ans, nous (elle et moi) avons consacré plusieurs laps de temps aux ruptures, oui elle et moi. Fortes, violentes, faites d'éloignements géographiques, géophysiques, après séparations tremblantes, fracassantes. Terre qui rugit, autres planètes, fenêtres dans une vie qui aurait pu autrement être resserrée sur des rails, bâtie en séries, maisons accolées, monotone, fermée, refermée sur des garde-fous faciles et faux, guidée par le vieillissement sous le harnais du temps qui passe, consommée en emprunts à rembourser à long terme, longue voie. 

Hasard des humeurs, des séparations volontaires renforcées par celui des affectations, des attaches, des divergences, des retours et retrouvailles. Un tissu rapiécé, tissé, déplié dans son étendue, rides, ravages, moirures, rages, miroitantes zébrures, bagarres, retours sauvages, déroulé rétrospectif des plaies, dommages, blessures infligées, guerre des sexes inévitable, parade, force du lien. 

Douleur longue des ruptures quand on ne peut aimer, tout aimer en même temps.

Abandonner. Laisser Ariane au bord où elle fut.

Voguer sans se boucher les oreilles au chant des sirènes. Revenir à Ithaque après avoir fait plusieurs tours et franchi les colonnes d'Hercule.

Rompre avec les liens contractés. Les voir comme possibles morts, tués, morts nés.

Retourner mais renaître. 

Reconnaissance.

Rompre avec un côté du monde.

Choisir.


A écrire : Rupture, Linéaments, Poux, Esprits faux, Chienlit, Amours, Idiosyncrasie, Lourd.

 Dans le tamis de l'oubli beaucoup de mots passent au travers.

samedi 9 janvier 2021

(L')Architecte inconnu.

 Vous connaissez mon goût pour les maisons.

J'en ai habité et visité tellement que je m'étonne encore de n'avoir pas réussi, sans doute par excès de mobilité et d'incertitude, en tant d'années, à en faire construire, avec un ami architecte et un autre maçon, une selon mes rêves. Je sais très bien ce qu'elle aurait dû ou pu être. Bâtie sur un terrain avec vue, la mer au loin, cubique et refermée néanmoins sur une galerie avec fontaine jaillissante dans un patio carré. (J'ai eu à occuper très provisoirement des espaces qui s'approchaient de cet idéal, bien que trop traditionnels ou trop marqués par la modernité et sans cette vue mer au loin, indispensable, dans l'ère luso-hispano-latino-mauresque). 

Mais c'était une proposition un peu vague et grandiloquente pour juste y attirer quelques oiseaux.

Pourtant je suis heureux de n'avoir pas été moi-même architecte-bâtisseur, concrétiseur de songes, comme je suis heureux de n'avoir pas été peintre de fresques en anamorphoses  ou classé parmi les psychanalystes néo-lacaniens de la sixième exégèse du maître, voies que j'aurais pu envisager en rêveries éveillées à mes risques et périls, y compris d'y échouer totalement, de ne pas m'y retrouver, de m'y perdre dans l'inachevé, dans le balbutiement encore prometteur mais sans plus, au moment où tout s'est décidé si vite et sans aucun regret rétrospectivement, vers mes seize ou dix-sept ans et bientôt confirmé.

Psychanalyste patenté, encore eut-il fallu à cette époque-là être d'abord médecin et psychiatre, ce qui était au-dessus de mes forces vu mon goût relatif pour la biologie in vivo et mon premier rapport au peuple des vrais fous en stage accompli comme étudiant en HP, j'aurais, au bout du tunnel, véhiculé et projeté comme tant d'autres mes propres incroyables aliénations et acrobatiques déséquilibres sans pour autant être utile forcément aux autres, imposant sans doute avec l'autorité du sachant ou croyant savoir, doublé de l'expérience acquise sur des cas accumulés par centaines, mes dérangements partiels et propres délires désentravés.

Peintre, je n'aurais pas su atteindre à la force et à ce point où arrivent sur une surface toute plane trouée de pâte, d'aplats, de traits, de touches et parfois de simples éclats de lumière et rainures ou rayures, ceux qui nous contraignent ou nous invitent, après eux, dans leur fenêtre tendue, redressée, à voir le monde autrement.   

Je suis également heureux de n'avoir pas été architecte.

Parce que je trouve qu'il existe déjà suffisamment de constructions anciennes, harmonieuses ou audacieuses, occupant la terre, éventuellement à réhabiliter. D'autant que les réalisations contemporaines sont souvent indignes de boucher encore plus notre espace; sont ou platement orthogonales sans charme, suivant des modes de fabrication à la fois archaïques et stéréotypés, guidés par l'économie et la rapidité, profitant d'une main d'oeuvre sans qualification quand il s'agit de l'extension des villes et villages planifiée pour être livrée a des particuliers ou sont, quand les moyens peuvent être mis à disposition du concepteur, par exemple dans les bâtiments publics, à la fois ostentatoires et faussement fonctionnels, sans souci réel de l'environnement naturel ou urbain. Sans souci de leur probable et extrême pérennité dans le paysage.

C'est vrai, je vois trop le désastre du fer à béton hérissant nos campagnes.

Je n'ai donc contribué, ni indirectement, ni pour moi ni pour la collectivité, même au travers d'achats ou d'implantations immobilières rénovées ou à peine transformées ici ou là, à enkyster des verrues dans le panorama qui nous entoure, n'ayant finalement essentiellement participé, culturellement, ou surtout indirectement contribué, dans mon travail, qu'à la naissance d'oeuvres éphémères.

En revanche, je porte beaucoup d'attention à ces édifices dont on a le plus souvent (bien que leur intérêt soit en train de réapparaître) oublié l'architecte. Par exemple, ceux bâtis dans les périodes transitoires où l'art ingénieux des grandes fabriques pouvait encore être glorifié sous sa forme naissante et porteuse d'utopies, années d'euphorie art déco ou modernistes créatives, recherchés dans le moindre détail de structure, d'orientation, de matériau et d'ornement, qui s'intègrent à un quartier ou au contraire en sont la perle rare, jusque dans de petites cités aujourd'hui désindustrialisées.

Et puis comme je ne suis et ne veux en rien passer pour "philosophe" patenté ou non ( il est certain qu'en aucun cas ne peut l'être celui qui se fait ou laisse désigner ainsi) mais bien plutôt, tant que ça reste un luxe accessible, voudrais simplement tenter d'ausculter ce créneau délicat où ne saurait s'attarder le regard (cette brèche du mur qu'il faut distinguer au travers des surfaces enduites et lissées) . . . . . . mettre mon œil dans ces enfilades et alignements qui n'apparaissent qu'en certaines conjonctions . . . . . . .  j'appelle, serait-ce tout autre chose ? pas vraiment peut-être, si l'homme va jusqu'à se prendre pour un dieu avec majuscule qui s'est incarné en tant qu'homme . . .  Architecte inconnu (il pourrait nous rendre bien modestes en tant que bâtisseurs, s'il existe, si on en émet l'hypothèse, s'il est en définitive ou pas  inclus et emprisonné dans la matière, sa structure, sa forme, sa teneur, ordre et arrangement enfoui) cette intelligence parfaitement cohérente cachée au creux du monde visible et invisible, à peine apparente sous les couches accumulées, et toujours apparemment mathématique, même si aucune formule connue n'en rend compte parfaitement, parfois d'allure poétique (on se demandera toujours si c'est par construction antérieure, intentionnelle, ou par simple projection de nos critères esthétiques du moment que nous la percevons comme telle, modifiant chaque jour notre approche) ou indisciplinée, désordonnée, vitale, adaptative et biologique et quelquefois facétieuse (en décèlerions-nous surtout les coincidences peu probables, étonnantes, qui nous rappellent nos hésitations et explorations ?) qui sous-tend  le monde tel qu'il nous apparaît, y compris dans les compartiments et les extensions, fruit de l'histoire et des délires du plus étrange bipède bâtisseur.

mardi 5 janvier 2021

C de citerne de pleurs et lenteurs.

J'ai déjà raconté cette affaire tellement de fois ! 

Mais c'est le jour où jamais. En ce jour des champions de lenteur.

Il était une fois un pays latino à hauts risques à l'époque, régions et sites interdits, attentats, enlèvements, bombes et bombinettes. Sans oublier le risque tellurique intemporel et en plusieurs sens : imprévisible et peu conjoncturel, toujours là depuis des millénaires. C'était en principe ce risque-là, le dernier qui nous préoccupait et méritait un changement structurel et donc pérenne. Mais ça pouvait aussi servir en cas de troubles de toutes sortes qui ne manqueraient pas, vu le contexte lié aux événements de l'époque.

De fait, il s'agissait de construire une grande citerne capable d'abreuver en eau potable la communauté française encore assez importante dans la capitale malgré ces événements, en cas de regroupement nécessaire successivement à des troubles graves.

Nous en avions discuté collectivement et en avions bien sûr informé Paris qui nous laissait prendre sur place la décision la plus adéquate et devait nous fournir, le moment venu, les crédits indispensables à la réalisation de ce plan de sauvetage prévisionnel, 

comme s'il était évident que le manque d'eau allait être le problème majeur, fondamental et unique, eu égard à tous les autres, nourriture, communications, mobilier d'accueil, protection, etc . . . , (mais sans doute à Paris, précisément envisageait-on tout cela . . . et tout ce qu'il aurait aussi fallu rapidement mettre en oeuvre pour compléter, si on voulait être cohérent et complet, ce petit élément du problème que nous allions  soumettre aux autorités compétentes et diffuses en charge de nous faire appliquer etc . . . ), 

comme si les événements imprévisibles et subits allaient forcément nous laisser les moyens et le temps de ce regroupement, il faut bien l'admettre,

comme si les habitants du quartier où nous allions organiser ce regroupement et ce réservoir allaient se contenter de nous regarder boire à notre soif en relatif petit comité 

etc ?. . . quant aux imprévus à peine envisageables . . . (sans doute en haut lieu avait-on continué à méditer, hésiter et envisager tout cela et plus) . . .

sans parler  du choix du lieu, puisque nous avions plusieurs implantations dans la capitale, l'Ambassade, la Résidence de l'ambassadeur, toujours un bâtiment assez immense, les locaux annexes du Consulat, réduits, pas de centre culturel comme dans d'autres pays mais plusieurs implantations de l'Alliance française, avec d'assez vastes surfaces, salles de cours, deux petits théâtres servant aussi de salles de projection ou de réunion, trois salles d'expositions, bureaux, bibliothèques, cours asphaltées où on pouvait organiser des refuges ou des bivouacs, cafeteria, etc . . mais là, quant à nous, nous étions fermes et avions tranché.

L'ambassadeur n'étant pas contraint de recueillir en son domaine ni toute la misère du monde ni tous ses compatriotes, notre choix s'était porté sur le local principal de l'Alliance qui comportait, dans un quartier aéré, de vastes toits plats où on pouvait envisager d'installer déjà une grande citerne à condition de renforcer ce toit dans un local sinon vraiment historique, du moins assez ancien et dont certaines parties étaient en ' adobe', cette boue séchée qui se retrouvait jusque dans les constructions officielles depuis quelques siècles et même, si on tenait compte des premiers occupants, depuis des millénaires. . .

Le dossier détaillé, illustré, garanti par des ingénieurs en hydraulique et ossature de constructions, argumenté en raisonnements clairs, fut établi et envoyé au Département comme prévu.

A ma connaissance et si je suis bien informé, des années après, plusieurs décades, dans un pays où les risques, relativement mineurs, de ' temblores' et, qui peuvent être très graves, de ' terremotos' , n'ont pas disparu (depuis tout le monde se souvient de la catastrophe de la région de Pisco), on en est au même point de suspension des crédits et de non décision en haut lieu.

Comment en être étonné sachant que nous avons souvent, au pays du Minitel, vivant encore sur la réputation indexée mais un peu entamée de Pasteur, Eiffel et Cyrano de Bergerac, persisté à être les derniers à instituer l'usage du fax (le conseiller commercial venait à la délégation en cas d'urgence, n'en disposant pas à l'Ambassade) puis ensuite du téléphone cellulaire (que nos amis canadiens et américains maîtrisaient depuis des mois alors que nous communiquions assez mal, chacun avec avec un énormes talky walky toujours allumé, et qui captaient des entreprises commerciales au passage, en changeant de chaîne souvent désespérément) dans nos missions lointaines où on s'obstinait (sauf cas d'espèce remarquables de décisions prises souvent sans l'accord de Paris vue l'urgence et justifiées heureusement par le cours des événements, et alors là . . . double coup de chapeau) à expédier, en cryptographe et système de télex, des "dépêches" arrivant toujours trop tard après la lecture de la presse commerciale déposée tous les matins dans tous les bureaux de la centrale à Paris.

Les exemples ne manqueraient pas de cette exécrable tradition de lenteur en cas d'urgence, nos réservoirs de haute administration en sont remplis à ras bord, de quoi remplir une grande citerne de pleurs et jérémiades.



dimanche 3 janvier 2021

Petite Maison.

 C'était sur l'avenue qui n'avait pas changé de nom, une toute petite maison grise au toit à double pente formant accent circonflexe en façade entre deux bâtiments plus hauts aux enduits repeints de blanc. Ma mère et ma grand-mère, veuve de guerre, avaient vécu là avec ma future tante et mon oncle futur encore enfants. Quand je passais, rarement, et depuis mon départ de cette ville, encore beaucoup plus rarement, devant cette maison, j'évoquais chaque fois dans ma tête le jeune fils apprenti menuisier amené à travailler très jeune, en partie à son compte, suivant les traces de son père mort (il réalisa dans cette période pas mal de meubles à décor sculpté restés longtemps dans le patrimoine de la famille) et les deux sœurs aux parcours dissemblables. L'une devait devenir, avec son nez pointu et sa vivacité primesautière, couturière et l'autre, ma future mère, avec ses grands yeux et son écriture dessinée et appliquée, bonne élève, boursière puis normalienne, allait pouvoir être assise un temps sur le même banc que Georges Pompidou, qui donc un temps très court, peut-être parce que son père à lui était professeur dans cette école de jeunes filles, y avait suivi, exceptionnellement, un temps de transition et déménagements, quelques cours. Elle ne manquerait pas, plus tard, quand celui-ci fut devenu Président de la République de lui écrire un mot.

Ma grand-mère qui avait été cuisinière dans de bonnes et même très bonnes familles locales, continuait à coudre, quelquefois pour les autres et élevait sa couvée avec une autorité matriarcale. Mais ce que j'aurais aimé imaginer, alors que j'imaginais facilement l'odeur des soupes, macaronis au gratin et choux farcis de ma grand mère, elle mettait beaucoup de talent et de saveur au moindre plat, c'était le petit atelier de menuiserie de mon futur oncle, derrière la maison qui appartenait depuis longtemps à des inconnus et où je ne suis jamais entré, avec cette odeur de bois si particulière et bonne, moi qui étais si maladroit dans ces travaux manuels qu'on nous imposait les premières années du Lycée.

J'y suis repassé il y a peu, étonnement, elle est toujours grise et là, témoignant, à mes yeux au moins, beaucoup mieux qu'un marbre de tombe.

Mais le plus étonnant dans tout ça, ces souvenirs qui remontent en bulles, accrochés ou pas à des images rétiniennes ou photographiques, réellement vues ou transmises en minces pellicules et papiers jaunis, et ceci n'a aucun rapport, c'est que quelqu'un (sur bonobo.net) que je connais (c'est beaucoup dire, je ne le connais que très peu) à Angoulême, au même moment ou presque, était en train de parler lui aussi de la "petite maison" qu'occupait sa grand-mère après une autre guerre, la suivante. 

La cartographie de ces réminiscences sans plus de lien que les monades de Leibnitz, isolées et reliées par une étrange et exacte concomitance, serait difficile à établir, en épaisseur spatio-temporelle et plus si échanges numériques.

vendredi 1 janvier 2021

Vœux.

 Cette année est particulière, comme chaque année. Mais celle-ci est tout à fait particulière.

Je souhaite en un premier temps, en ce premier de janvier de deux mille vingt et un, comme suite à cette année de monstrueuse disgrace, maudire l'année écoulée, ce 2020, an foiré, an pourri, an nulé, an perdu en vaines polémiques et gesticulations pendant que disparaissaient, comme chaque année mais un peu plus, nettement plus, les faibles, déjà malades et fragilisés, les vieux au bout du rouleau, l'espoir de plein de gens et la chance d'arriver à survivre de plein d'autres et gigantesques populations déjà misérables, pendant que s'enrichissait sempiternellement une faible population de magnats sachant manier leur manne, pendant que se déployaient ferme les dominations spéculatives, économiquement accumulatives et redondantes et les stratégies politiques déjà dessinées et fermement orientées vers la guerre, l'invasion et le pillage.

Pendant que chacun vaquait à ses occupations, à ses préoccupations, à ses obsessions, soucieux de son seul bien, de sa survie, de sa peau et de sa pomme.

Donc cette année dont nous ne savons rien, pas de vœux.

Et d'ailleurs, à quand remonte cette coutume ?

 . . .  ce ridicule aveu d'impuissance et de s'en remettre par des vœux aux dieux cruels (assyriens, romains, pré-vikings ? jeu inventé par un poète argentin ?)  qui joueurs au casino olympique, sur des machines et tapis verts, s'amusent à parier sur les faibles mortels et leurs malheurs inévitables, et . . . eux qui, félins, pour prolonger leur jeu, prolongent, juste pour voir, la survie de l'espèce la plus absurdement déviée de sa nature animale pour tenter de les imiter, ces foutus dieux mutins ?

Non cette année, pas de vœux.

L'homme est (avec la femme ou la femme avec l'homme, ou ce qu'on voudra comme combinaison y compris la solitude) trop boursoufflé, révolté, excentré, exalté, trop absurde, trop compliqué dans ses humeurs, trop imprévisible et coutumier d'ornières, trop ambitieux et aveugle, pour être capable d'atteindre autrement qu'en rêve fou et oeuvre éphémère (non essentielle) un semblant de sérénité.

Pourtant, rien ne nous empêche d'y croire si vous voulez . . . et de jouer le jeu.