samedi 29 avril 2023

Inventeur bâtisseur trop malin.

Les premiers explorateurs qui rapportèrent le fait ne furent pas crus. Même venant d'un oiseau qui chante KLI-KIAOU-KIAOU-KIAOU, expression que ne désavoueraient pas bon nombre de nos chanteurs professionnels.

Evidemment ça paraissait invraisemblable qu'un oiseau, même au grand pied levé (on l'appelle mégapode) invente tout ça. C'était sans compter sur l'expédition de Rheinwardt le grand savant hollandais qui vérifia tout ça à Java.

Il existait un oiseau de la taille d'une petite poule, ressemblant à une pintade, qui volait peu sauf si ça devenait vraiment nécessaire et qui construisait avec ses grosses pattes griffues des dômes de terre et de végétaux pouvant aller jusqu'à  plus d'un mètre de circonférence d'une hauteur égale à celle d'un homme.

Et ceci pourquoi ? 

il Duomo 

Pour fabriquer une couveuse artificielle, un incubateur capable de contenir ses très gros œufs caractéristiques de l'espèce.

Détail intéressant : étude sérieuse faite, le sexe de l'oiseau à naître dépend de la température de ce terreau pour la plupart des individus de cette espèce ou du moins pour tous ceux de la sous-espèce ainsi isolée et incluse dans les populations d'Australie, Nouvelle Zélande, Papouasie . . .

Voilà donc une méthode parfaite qui devrait nous rendre modestes, nous chercheurs-inventeurs dénaturés et sophistiqués capables de découvrir tant de secrets enfouis ou de fabriquer tant d'étranges machines, n'était (ou : sans compter sur) le dragon de Komodo qui, gros obstacle à cette stratégie de reproduction - la perfection n'existe décidément pas en ce bas monde - adore creuser pour les déterrer, ces friandises, et les avaler, comme le font depuis des millénaires les gastronomes autochtones.

samedi 22 avril 2023

Valse des écureux.

 Ce matin une petite femelle rouquine très rapide poursuivie du haut des branches par deux écureux (cela dit en canadien, esquirol en occitan) l'un à queue presque noire, brun roux soutenu virant au sombre au bout, l'autre à panache clair, châtain moiré et aux grandes griffes visibles aux jumelles, deux jeunes et déjà presque deux fois grands comme elle, fringants mâles. Pas de combat, juste tout à coup, descendue des cimes au bout des courses folles dans les longues branches piquetées du vert clair des aiguilles et des minuscules pommes naissantes du cèdre et des descentes en piquée-plongée, cette danse pour tourner comme des fous autour du tronc, se guettant. valse effrénée, valse à mille temps.

Jusqu'au regard face à face, yeux dans les yeux, avant la chevauchée à deux, ultrarapide, comme à peine esquissée, mais il est clair que pour l'instant queue claire châtain l'emporte. Pas pour longtemps.

De quoi rire, c'était archi-joyeux comme des danses russes ou tsiganes en beaucoup plus élégant, léger, tourbillonnant, emporté, folle nature, pulsions irrépressibles de printemps.

Même les oiseaux, ici deux fauvettes et un merle à plastron ébouriffé, en transit vers les hauteurs plus fraîches et encore un peu abritées du charivari des plaines, en train de boire et se baigner pour bien se décoller et dépucer les plumes en étaient un peu interloqués et même sidérés.

vendredi 14 avril 2023

Amis ( de prison cette fois, ou de cocon si vous préférez, suite ).

On le savait - mais on se rend surtout compte après - à quel point c'était décisif ces moments où ou (ou bien) déjà assez sérieux pour jouer les décontractés plaisantins, on s'engageait. Pour la vie, certes . . . certes.

Ainsi, la bande des quatre.

Nous étions venus des territoires adjacents, grande Occitanie (enfants de générations rares, vue l'époque, nés de / pendant la guerre, le babyboom ce fut plus tard) quatre pensionnaires survivants (au fait souvenez-vous on ne mélangeait pas garçons et filles et on portait la blouse grise, sans doute pour économiser un peu l'usure des vêtements . . . ), ceux qui n'avaient pas de relations dans la capitale régionale, pas introduits, pas issus de tribus huppées, connectées aux réseaux, après la première année de prépa qui avait été une année de défections, dispersions, plateforme d'envol de la plupart, fac de droit, affaires familiales, sciences po, reconversions, abandons, et nous étions sans illusions, sans attendre grand chose de plus qu'une fidélité aux apprentissages et le professorat avait encore un peu de prestige en ces temps là, nous les quatre entrant en khâgne, sachant cependant que le grand concours (Normale Sup) se préparait exclusivement à Paris et pas dans ces zones excentrées, dans cette deuxième année de prépa après l'hypokhâgne si rébarbative pour certains, si fructueuse pour nous avec malgré tout, malgré l'éloignement du centre métropolitain, le meilleur spécialiste de Corneille et l'un des meilleurs spécialistes de la Révolution française comme professeurs et héros, nous déjà presque anciens du lycée Fermat du quartier des Jacobins de Toulouse, la ville rose de Nougaro. Gardel et du grand psychiatre Esquirol, où nous savions depuis longtemps comment faire le mur par la zone des travaux entrepris justement dans l'église du palmier des Jacobins, voisine et attenante, il suffisait de sauter un pan de mur à peine caché dans un renfoncement de l'enceinte, de moins de deux mètres de haut, auquel se trouvait accolé un très commode échafaudage, assez rôdés déjà pour échapper au contrôle du matin parfois ou pour nous permettre de brûler des portes de vieux casiers, des morceaux de bureaux crasseux tachés d'encre, dans le poêle, quand manquait du bois et que nous avions froid en cette fin de période pauvre et post guerre où il arrivait que les canalisations de nos lavabos de dortoirs gèlent totalement. cette époque que j'ai toujours du mal / non que je souhaite faire pitié, non nous étions très joyeux et pleins de vie et d'espoir / à considérer comme celle des trente glorieuses comme on dit rituellement aujourd'hui, vue de loin par les économistes et pas de trop prêt ! / /  une étude sociologique d'époque le dit bien : pas encore de frigo dans les familles ni de salle de bain, on se lave dans la cuisine, alors "glorieuses" peut-être mais encore pouilleuses.

Donc quatre, assez pour jouer aux cartes parfois dans les longues soirées sauf que moi, trouble fête habituel, j'étais totalement allergique à tout tapage de carton ayant toujours mieux à faire et d'ailleurs dés que j'avais des cartes en main, je m'ennuyais et ça se voyait, solidaire récalcitrant.

Quatre très petits bourgeois disparates :

Le fils de mégissier qui avait un frère jumeau dans une prépa scientifique du même lycée qui nous racontait l'odeur infame de sa petite ville de traitement des peaux venues du monde entier et tellement de souvenirs du côté de sa mère et du pays basque espagnol, spécialement à San Sebastian, qui nous racontait les virées entre hommes et les exploits cachés de ses cousins, pour certains d'entre eux  militants séparatistes, préparés à demi-mots en tournures à double sens, en vantardises et fausses informations aussi, dans les bars où ils se retrouvaient.

Celui, qui se voulait sartrien avec une conviction de lecteur provincial, toujours peigné en pétard, toujours le même jean raide, coureur invétéré qui prenait souvent les initiatives du groupe, par exemple celle de contacter le gouvernement espagnol en exil à Toulouse pour contrer notre Maître à pensée imposé malencontreusement par l'administration d'alors, un thomiste intégriste formé à la faculté catholique de Lyon, soutien de l'OAS et mentor jésuitique de nouveaux cuistres casuistes, ou de faire venir successivement avant débat sur le sacré, un prédicateur catholique, un protestant, un rabbin, un imam, un représentant de "la libre pensée". Occasion pour moi de lire pour la première fois le Coran dans sa traduction qu'on dit orientée par un esprit voltairien, celle de Claude Etienne Savary, l'égyptologue mort du paludisme, hélas pour lui, dix ans avant l'expédition et les relevés de la mission savante de Bonaparte.


Enfin l'Auvergnat, le seul avec lequel j'avais quelques affinités, que son père poète avait formé aux réelles subtilités de la langue et des sonorités verbales, roi du caprice, de la fantaisie, de l'humour scatologique, lui aussi vrai don Juan des sorties hebdomadaires qui est resté ami longtemps, puis perdu, puis retrouvé au Sénégal et qui maintenant est loin, au bout du monde sur le caillou nickelé. C'est lui qui avait écrit pendant une campagne mouvementée (la France était plus que fracturée, déchirée) des élections ultra-politisées de syndicats étudiants, en grosses lettres capitales, sur le portes alignées des chiottes de notre bahut, reprenant le thème de la liste électorale que, dans un moment d'exaspération, non faute d'engagements mais par souci majeur d'éloignement des bagarres dégénérées, nous avions créée :    

                                                  VOTEZ PANTHEISTE.

Et enfin, enfin, moi, le plus discret des supposés apprentis en sagesse, déjà fou à lier sous une apparence presque placide, ma raie de coiffure sur le côté depuis toujours et encore, lecteur de Shakespeare in extenso la nuit et pendant les récrés, mirliton-poète en herbe et tenant son rôle, appliqué comédien . . . et pour l'instant, très scrupuleusement, la fonction de Grand Prêtre lors de la cérémonie de baptême où les bizuths, dans une salle à peine éclairée à la bougie, venaient me baiser le gros orteil droit de mon pied déchaussé.

Le quatuor ainsi formé par le hasard n'avait à vrai dire aucune unité réelle sauf celle imposée par la réclusion, les promenades en rond dans la cour agrémentées d'évasions et d'éventuels combats exclusivement défensifs avec les Cirards ou les Taupins (promis à des écoles militaires ou d'ingénieurs) qui avaient un goût du bizutage plus "rude" et corporel, voire punitif que les variétés du nôtre faites de grosses blagues et canulards au long cours, inspirés de la déjà longue tradition des toits de la rue d'Ulm ! et les virées au Petit Louis, sacrebleu ! au cœur des ruelles étroites et pavées du Vieux Toulouse, pour la tournée de verres de muscat avant séparation et découverte du monde en solitaires, aventuriers gauches et naïfs. Et aussi, l'échange en même temps que celle des gros dictionnaires, du tabac brun de pipe, des Gauloises ou Gitanes, seules drogues d'époque, au moins pour trois d'entre nous, le quatrième étant allergique aux fumeries et fumettes; mais nous nous serions battus jusqu'au bout pour défendre l'un de nos frère en réclusion.

jeudi 13 avril 2023

Amis.

 A de Amis ados.

Adolescent j'étais exalté, songeur et assez solitaire déjà. Ce qui ne m'empêchait pas d'avoir quelques amis et en particulier dans cette bande que nous formions, la bande des trois studieux, des trois secrets ennemis de la société dans ce qu'elle a de plus conventionnel  ou, si l'on préfère, la bande des trois timides impétueux. Car nous lisions beaucoup, nous voulions essayer de tout comprendre, nous avions plein de projets et d'illusions dans la tête, nous vivions sinon cachés du moins sans tapage et rien vraiment rien de ce qui prospérait et occupait l'espace, n'avait l'honneur de nous agréer.

Sauf bien entendu nos découvertes du moment qui pouvaient avoir ou n'avoir aucun rapport avec l'actualité de la guerres d'Indochine puis d'Algérie dans les Aurès ou avec Soustelle ou Edgar Faure aux commandes . . . ni avec "Dovima


et les éléphants" (une photo de mode à la Dior/Avedon au Cirque d'Hiver qui fit date en dit-on aujourd'hui rétrospectivement) : par exemple Ulysse de James Joyce que nous nous étions contraints à ingurgiter mot à mot dans la traduction en français datant déjà de 1929 (il n'y en avait pas encore d'autre comme c'est le cas aujourd'hui, bien tardivement et on comprend pourquoi), le Céline du Voyage ou de Mort à Crédit, ou encore,  en ce qui me concerne, Saint Jean de la Croix et là je n'étais pas suivi par mes copains. Mais je n'oublie pas non plus cette obsession passagère d'une femme remuant l'imagination des encore, plus pour longtemps, puceaux que nous étions, qui se promenait nue de nuit sur son balcon au centre-ville, tout prêt de la Préfecture, et qui disait-on était (quel joli mot !) nymphomane.

Deux mots de mes copains, parlons-en, K le grand K extravagant rouquin qui se flattait d'avoir des origines hongroises et pas italiennes comme la consonnance de son nom (hors l'approche orthographique) aurait pu le laisser croire ou le petit R si brun au nom bien français banal qui était notre homme mesure du retour au réel.
Le grand K jaloux comme un poux (il faudrait dire un poul en vieux français me souffle-t-on) m'avait accusé de l'avoir blessé avec une bouteille cassée lorsque ivres pas mal nous avions fêté un nouveau diplôme inutile mais bon prétexte, et plus tard se révéla vraiment jaloux de cette carrière excentrique que les circonstances m'ont permis de poursuivre en pointillés, lui qui était resté trop collé à sa ville et même à son ancien lycée, ne faisant que passer d'un côté à l'autre de la barrière éduqué/éducateur et qui, j'en suis sûr, s'était . . .  tellement il était bourré, rond, pinté, pété, . . . lui-même blessé, et salaud qui par la suite vola la fiancée du brave petit R. 
De R je ne dirai pas grand chose si ce n'est que lui, en revanche, me signala la présence d'une jeune fille fort belle - qui contera tant pour moi, je ne vais pas vous raconter toute ma vie - et qui était ma presque voisine de chambre d'étudiant et que décalé comme j'étais, au bout d'un mois de présence, je n'avais jamais remarquée parce que levé très tard et couché très tard, j'étais plutôt sécheur de cours et noctambule de films, de réunions politiques, de discussions à perte de vue (j'ai bien changé) , je ne l'avais, elle étudiante modèle, rangée et respectueuse des rythmes imposés, je ne l'avais . . . c'était difficile et quasi impossible, effectivement jamais rencontrée.

dimanche 9 avril 2023

M de Maître à penser (un).

 Nous l'appelions Le Pech. Ce surnom était une partie de son vrai nom. Il était grand, raide et un peu figé derrière ses lunettes qui faisaient loupe sur ses yeux, il était surtout sourd d'une oreille et préférait donc que les grands gamins du dernier rang parfois carrés et moustachus (au moins deux d'entre eux) comme des hommes, nous étions en terminale et il y avait une petite brochette de redoublants virilement (c'était bien avant la mixité dans les lycées) planqués aussi loin que possible du premier rang, se mettent au fond de la classe et en haut s'ils y tenaient, mais plutôt à sa gauche, laissant vides les bancs de droite, dans la salle aux gradins en pente raide de théâtre grec qui lui avait été affectée pour son acoustique, on pouvait le supposer. De plus, cette salle avait son entrée dans la cour d'honneur ce qui aurait pu permettre au censeur chétif et rougeot, peu enclin à exercer des brimades sévères qui avait son bureau à deux pas, d'intervenir malgré tout, au moins de sa voix aigue et criarde, en cas de nécessité, ce qui ne fut, à ma connaissance, jamais le cas.

Un jour où il était en veine, lui habituellement peu enclin aux exhibitions personnelles de son passé, sauf si elles avaient une valeur de témoignage politique, nous avait expliqué de sa voix un peu trainante, cassée par les Gitanes maïs qu'il fumait en essayant de se restreindre, en reprenant son souffle encore haché par l'émotion, comment il avait perdu l'usage d'une oreille, enterré qu'il avait été à côté d'un obus tombé et explosé tout prêt de lui durant la guerre, l'avant dernière guerre, la Grande, celle de 14, de la boue, des massacres, des pacifistes fusillés et des tranchées.

Oui, il faut remonter le temps, je vous parle d'époques bien antérieures.

N'oubliez pas que le denier "Poilu" est mort à 110 ans à Paris en 2008 . . . et que donc en l'an 1958, cinquante ans avant, en cette époque lointaine où j'ai, avec ces lascars, passé mon bac, il avait comme mon Maître à penser, à peine l'âge d'approcher de la retraite.

Pourquoi vous parler de lui ?

Je lui dois beaucoup. 

Je lui dois concrètement, outre une vocation ferme, deux choses : d'avoir lu vraiment Spinoza et aussi d'avoir lu attentivement à la bibliothèque municipale de ma petite ville natale, les Temps Modernes, revue fondée par Sartre et Beauvoir avec une pléiade d'intellectuels dont Merleau-Ponty et Leiris. Pour Spinoza j'avais déjà commencé en classe de première sous l'influence d'un copain plus âgé, justement un de ses anciens élèves, si bien que quand il nous a proposé comme sujet un peu inattendu et ceci dés le premier trimestre "qu'est-ce que le panthéisme ?" je me suis plongé dans "l'Ethique" jusqu'à savoir bientôt y nager sans m'y noyer. 

Pour ce qui est de la revue des Temps Modernes qui dénonçait les tortures en Algérie et était de temps à autre interdite et saisie, elle m'a au moins je l'espère, une fois pour toutes (mais c'est là sans doute une vision bien optimiste de ma vie) ouvert les yeux.

Pourquoi vous parler de ça ?

Vous n'imaginez pas à quel point je me sens aujourd'hui, en exil et vieux, déjà mort à moitié, en ces jours de renaissance du printemps, de mémoire de libération de l'esclavage pour les juifs, de résurrection pour les chrétiens, de révélation et de jeune pour les musulmans, presque (le ressenti compte autant que l'exactitude) Mathusalem parmi vous, l'homme d'où naquit Noé et qui mourut l'année du déluge. Etant déjà tourné vers le lointain passé et moi-même anonyme et inutile rescapé d'époques, telles celles où était possible une revue telle ces "Temps (ou à d'autres moments le journal Combat de Camus), Modernes" relevant d'une archéologie des luttes et des idées, bien englouties et révolues. 

C'est sans doute que, vieillissant, le témoin comme l'enfant qui se souvient de ses premiers jours les grandit et voit (dans son effort de mémoire naif) les événements et les hommes qui les ont traversés comme des géants.


vendredi 7 avril 2023

Nosferatu nous ne te verrons plus.

 C'était un des rares restaurants de la cité des Antonins, les "cinq bons empereurs" de l'apogée de Rome (Antonin le Pieux étant issu d'une famille nîmoise, ceci dit par parenthèse purement didactique et pour flatter le chauvinisme de mes concitoyens) que nous fréquentions encore de temps à autre pour sortir de nos murs et de nos quartiers de garrigue, et de nos amitiés lointaines ou trop casanières, et y fréquenter épisodiquement, un peu des inconnus ou connus peuplant les réunions autochtones, hors de notre mas retiré et perdu. Un jour sous les voûtes de cet emblématique lieu nîmois, populaire, aux prix relativement calculés et compétitifs, voué aux tastevins et aux aficionados, aux murs dédiés aux croûtes en tous genres mêlant apologie de la barrique et du noble art de la tauromachie, nous avions eu l'honneur de déjeuner discrètement, après l'avoir salué comme de bons citoyens, à côté du maire de la ville devenu un vrai proconsul à vie, qui y prenait comme nous sa formule plat du jour+désert+verre de bon vin du patron propriétaire de vignes d'assez bon renom et même non loin de l'espiègle et gironde Bernadette Lafont, née et morte à Nîmes, une fois. 

Le maître d'hôtel qui avait été dans une vie antérieure grand picador de corrida nous saluait aimablement à sa façon, à chacun de nos retours, malgré son air rogue, sa grande taille et sa tête inquiétante de Nosferatu. Et nous avions fini par bien aimer, au long cours, ses gestes brusques et ses façons expéditives de déposer sur la table les assiettes de poisson, de viande en sauce ou grillée, si bien assaisonnées et servies assez généreusement pour nos appétits. Jusqu'à son accueil muet nous convenait. Et nous le saluions en le rencontrant dans lea rue parfois.

Mais là . . . 

Bien sûr, après Covid (non terminé), après Ukraine (guerre en expansion), après faillite de tant de commerces de bouche et même de vêtements et d'objets de première nécessité, nous n'attendions pas de miracle. Les prix évidemment n'étaient plus les mêmes. Certes, le vin était encore à peu près bon mais la soupe de lentille était digne de la charité d'un couvent espagnol après la ruine de la Castille, les trois bouts de porcs en sauce rescapés de je ne sais quel rôti refroidi et la vague sapidité diffuse de hachis de poisson mêlée aux épinards en brouet solidifié de farine, ne nous ont pas convaincus de revenir voir encore une fois avant sa retraite, le bien innocent de ces désastres, Nosferatu. 

 Nîmes, ce vendredi de Pâques 2023.