lundi 20 février 2023

Amis véritables, amis perdus. Un couple merveilleux.

 P, lui et B, elle, furent des amis véritables durant vingt ans au moins.

Je me revois en train de me brosser les dents dans la voiture de P, j'avais trente ans, lui vingt et quelques, jeune Volontaire du Service National hors frontières, en crachant par la portière sur la route de l'aéroport à Dakar et je le revois, lui, hilare et conduisant en prenant tous les risques, il y avait déjà du monde sur la route et encore à l'époque des carioles ou des groupes de piétons pas très disciplinés, pour essayer de ne pas me faire rater l'avion qui me ramènerait en France où j'étais appelé d'urgence pour une affaire de budget de mon service.

C'était souvent la corde raide pour boucler un budget alloué par l'Etat, gérer quelques maigres recettes de spectacles, redistribuer sur ces fonds quelques subventions locales, maintenir le service à flots avec employés nationaux payés au tarif local, entretien du matériel vieillissant y compris les véhicules et prise en charge de frais et dépenses nouvelles imprévus. En l'occurrence, j'avais utilisé une partie de la recette d'un spectacle - à succès pour une fois - pour envoyer hors toute voie administrative admise, des caisses de bouteilles d'eau minérale et diverses provisions et ustensiles introuvables sur place par avion, avec accord spécial des pilotes de la TAP, à un jeune couple avec enfant en bas-âge parachuté en mission par le Département pour y ouvrir le centre culturel tout neuf que nous avions créé avec la bénédiction du jeune et nouveau représentant du Portugal aux îles du Cap vert récemment libérées de la colonisation portugaise après la Révolution des Œillets à Lisbonne.

Car il se trouvait qu'au moment de leur arrivée en passant par Dakar, non seulement ils étaient venus avec une réquisition de chemin de fer (sans doute par confusion avec le Cap en Afrique du Sud si on veut à tout prix trouver une excuse à nos "services géographiques", car tel était leur nom authentique, chargés de la mise en route à Paris) mais surtout à un moment où ces îles indépendantes désormais, mais toujours arides et même désertiques, n'avaient plus une goutte d'eau à distribuer, encore moins aux nouveaux habitants non comptabilisés. Il fallait d'extrême nécessité que je justifie ces dépenses faisant apparaître dans les services que je dirigeais par interim après le départ de mon chef, au passage de peigne fin de la comptabilité centrale où ces dépenses n'apparaissaient pas,  une sorte de "caisse noire" injustifiable et évidemment considérée comme relevant de la criminalité budgétaire.

J'appris ensuite que j'avais été "dénoncé" par un adjoint jaloux, ce ne serait que la première fois que ça se produirait . . . et on m'envoya même ensuite un Maître de requêtes à la Cour des Comptes qui devint en tant que poète à ses heures perdues, lui aussi, un ami qui put rendre compte (effectivement) sur place, in loco, y compris de passage dans ces îles extraordinaires, en profitant juste avant sa retraite, d'un beau voyage accompagné de son épouse, du bien fondé de mon action tout en m'incitant par la suite à la prudence, conseil évidemment bien inutile au début de ma carrière qui allait être si à suspens et mouvementée.

Mais donc voilà le point.

Nous n'avions pas grand chose en commun avec P et B si ouverts et généreux. Tous deux issus de classes privilégiées et même à privilèges coloniaux, plus jeunes de dix ans, parisiens, introduits dans le Gotha, vaguement intéressés sinon acquis à nos idées "de gauche", ils s'amusèrent longtemps et beaucoup de ces aventures que nous leurs contions à chaque passage que nous faisions à Paris chez eux dans le quartier Latin, par la suite, retour de nos postes éloignés, ou invités chez nous dans nos cases de passage entre deux missions, en particulier je me souviens de ce séjour, le premier, en campagne gardoise où nous avions passé Noël torse nu pour les hommes sur une terrasse au soleil d'un mas perdu dans les pins et les garrigues.

Pourquoi cette distance ensuite ?

La vie. Oui la vie. Nous n'avions plus trop envie d'aller à Paris. Trop bien et confortables en "hideuse province". Nous les amusions moins sans doute. Finalement je n'étais qu'un prof "détaché" aux mauvaises manières, parfois et assumées, sans doute. Et puis honnêtement ils furent témoins malgré eux des drames de notre couple aussi mouvementé que notre vie, secoué par des ruptures avant retrouvailles, ce qui ne leur plut guère en tant que bourgeois catholiques au fond d'eux-mêmes, maintenant au moins les apparences de la famille unie et du ménage et mariage sans accrocs, on les comprend.

Mais de temps à autre un coup de fil les avertit que nous sommes en vie. Cette non parenté vaut bien d'autres cousinages. J'ai eu une grande famille que je n'ai plus. Une sorte de tribu dont je suis en partie renégat. Quant aux amis qui sont amis que vent emporte, la vie les remplace par des figures inattendues, nouvelles, encore plus éloignées de nous. Rien ne vaut la dissemblance. Sauf quelques rares fidèles de-ci de-là.



dimanche 19 février 2023

le Che ( III ).

 Plus tard, après cette approche d'intimidation, j'étais alors à Nîmes, entre deux "missions" - un bien grand mot qui nous amusait, nous les " attachés qui étions détachés " - la question du Che est revenue à moi par une approche nouvelle, un cheminement d'identification que j'ai pu observer directement sous mes yeux. J'y retourne pour vous raconter aussitôt après cette affaire entamée que je dois essayer d'éclaircir d'abord pour garder un peu d'ordre dans ce labyrinthe capharnaümnique qu'est ce récit entrelardé et coupé. 

Pendant un long moment j'ai tenté de comprendre ce qui s'était réellement passé lors de ce tour de cuadra (carré ou pâté de maisons à Lima, ville où comme partout en Amérique les maisons sont édifiées au bord de rues strictement à angles droits), durant ce tour contraint et inquiétant dans un pays ou l'imprévisible et le pire étaient particulièrement possibles. Un truc pareil ça ne m'était arrivé qu'à Kinshasa quand j'avais dû conduire mon chef venu de Paris, un ex-ambassadeur qui avait d'abord été prisonnier des Viets pour débuter sa carrière et qui gouvernait maintenant la coopération en Afrique, dans l'enceinte militaire où Mobutu, en train de régler leur compte à des délinquants de grand chemin qu'il allait faire exécuter publiquement et en transmission directe sur la télévision nationale, voulait le rencontrer. Quand deux grands lascars mitraillette au poing étaient montés dans la voiture pour s'y assoir avec leurs grandes jambes, derrière notre dos, nous poussant des genoux derrière les sièges, afin, au travers d'un dédale de hangars et casemates, de nous conduire à lui.

Mais revenons à Sentier. 

Voulaient-ils simplement m'intimider ? Manifester leur présence pour me dire en quelque sorte : "toi le nouveau, tiens-toi tranquille, ne viens pas faire semblant, présomptueusement et bien naïvement, de jouer dans notre cour", attitude aussi bien valable pour la police que pour les subversifs . . . si c'étaient eux. Nous avions, c'était clair, avec une activité intense appuyée par la francophilie ambiante établie depuis des lustres, depuis que l'amiral du Petit Thouars, de retour de Tahiti avait sauvé Lima d'une attaque de la flotte chilienne pendant la guerre du Pacifique en 1880. . . peut-être, . . . oh oui, sans doute, . . . dans ce pays en partie caché derrière les Andes, un théâtre, plusieurs salles de projections et de conférences, deux galeries, une de peinture, une autre de photographie, plus quelques actions à l'extérieur de nos locaux et tout un réseau de centres en province, une image à préserver avec toujours la chance ou le risque  de correspondances avec le contexte mouvant de l'actualité ainsi que donc de nombreux rapports avec des "intellectuels", des créateurs, des artistes, des dramaturges, auteurs, comédiens, plasticiens, musiciens, poètes, connus ou récemment apparus sur le devant de la scène, qui eux étaient, pour quelques uns d'entre eux, en rapport actif avec le Sentier lumineux ou le groupe révolutionnaire Tupac Amaru. Nous avions un public jeune en moyenne et plutôt populaire, qui nous poussait à rester ouverts à certains spectacles engagés ou critiques. A travers notre pignon sur rue, le visage de la France des droits de l'homme ne pouvait pas se montrer rétrograde, répressif ou conservateur comme certains dirigeants dans les milieux français locaux ou en haut lieu auraient voulu nous y inciter.

Sur ce plan là nous avions pu rester, aussi bien dans l'institution que chacun à titre personnel, hors enlèvement ou attaque et vivre dans un calme relatif. Si ce n'est une bombinette d'abord perçue comme un peu inquiétante mais imitant mal un vrai attentat (il venait d'y en avoir un contre notre ambassade), qui s'est avérée avoir été posée par un auteur metteur en scène dont nous avions repoussé le projet jugé, à tort ou à raison, non pas trop subversif mais médiocre.

En revanche, l'interrogatoire non menaçant de Sentier (admettons que c'était eux) a pris du sens quand quelques semaines après j'ai appris, toujours par la même filière de comédiens, qu'un ancien membre de l' ELN, l'armée de libération nationale de Bolivie créée par le Che en 1966, dont presque tous les membres avaient été tués au combat ou exécutés dés 1967 ou dans la guerrilla qui suivit en 1970, qui avait réussi à s'exfiltrer et qui cherchait à se faire protéger et à intégrer Sentier au Pérou voisin, avait été mis sur la sellette. Il était suspecté par le même Sentier, d'avoir révélé les positions de son propre groupe limité à une poignée de partisans après enquête menée au travers des divers réseaux révolutionnaires et groupes ou groupuscules souvent ennemis mais solidaires dans la chasse aux traîtres. 

Mon lien direct avec tout ça ? Je crois avoir au cours de la soirée "cuba libre" échangé quelques mots avec cet homme; son regard circulaire, son accent différent . . . , au cours de cette soirée où il était un peu perdu, il m'avait parlé de son pays, de ses altiplanos plus hauts encore qu'au Pérou . . .

Pour en finir avec le resurgissement de si vieux et lointains souvenirs, et cette fois en zone pacifique (l'Europe et la France d'alors, prétendument mises entre parenthèse comme si elles ne participaient en rien aux guerres lointaines), j'ai connu plus tard une sorte de faux sosie du Che

C'était un médecin communiste. Il avait au mur derrière son bureau une grande photo d'un homme debout portant béret, de trois quart, en taille réelle, dont on pouvait se demander si c'était lui ou l'illustre héro. La ressemblance était loin d'être totale mais cependant quelque chose dans la tournure intriguait. Durant des consultations épisodiques nous avions eu l'occasion de parler un peu. Un jour je lui ai demandé si c'était lui. Il m'a dit non celui qui est au mur c'est le vrai Guevara. Je vais revoir et explorer la région où il est mort chaque année. Ce sont mes vacances. Les paysans, les habitants des villages me le confirment : il a eu peu de soutien de leur part. Il a même pu être livré par l'un d'entre eux si ce n'est l'un des guérilleros qui l'accompagnaient, blessé, affamé, comprenant qu'il avait fait fausse route dans le choix de cette lutte désespérée. 

C'est vrai, la légende du Che doit beaucoup à son image, aux tirages qui ont été faits de ses portraits nimbés de lumière ou allongé sur son lit de mort comme un Christ de Mantegna mais c'était un homme. Pas une image. Un homme dont un jeune et très brillant intellectuel français en rupture de classe, les parents de Debray étaient profondément anti-communistes, ne pouvait que subir la fascination. Un homme exceptionnel, Sartre dira "l'homme le plus complet de notre époque". 





samedi 18 février 2023

le Che ( II ) la question était ouverte.

 Ce jour là je suis arrivé comme chaque jour à mon travail, à peine un peu plus tard, contournant le grand bâtiment de l'avenue Arequipa pour rejoindre par derrière le parking où j'avais ma place réservée, mais au passage devant l'entrée piétonne, le gardien m'a fait signe de m'arrêter et par la vitre ouverte m'a dit :

- Monsieur, allez vous garer, mais des gens de Sentier vous attendent ici - et il m'a montré du regard un gros 4X4 Toyota stationnée dans la rue dans laquelle il semblait qu'il  y avait deux ou trois types à ce que j'ai pu voir - ils veulent vous parler.

Ce gardien qui était par ailleurs, en dehors du fait qu'il y attachait encore, parfois, les éperons dont étaient pourvus les combattants, une autorité dans son domaine nocturne, celui des combats de coq fort populaires au Pérou, en lequel j'avais confiance, il avait déjà affronté toutes sortes de difficultés et de situations explosives ou délicates à l'Alliance et toujours venait me prévenir, s'il me disait d'y aller, ça parait absurde de s'en remettre à quelqu'un comme ça . . . mais c'est que je pouvais, c'est qu'il fallait y aller et je n'avais pas vraiment le choix. Si je ne me présentais pas ils m'auraient vite rattrapé, moi je n'étais pas un clandestin. De fait, en ce très court laps de temps, je ne me posais pas vraiment la question. Je revins assez vite.

Ils me firent monter derrière à côté du plus massif. Ils étaient tous à visage découvert. Ils étaient bien trois. La quarantaine bien sonnée. Tous plutôt costauds. J'étais, on imagine, en tension extrême.

Très rapidement, je me dis ce sont des flics en civil de la surveillance des étrangers ou de la secrète mais peut-être aussi des vrais de Sentier. D'autant que la veille j'avais participé à une fête chez une amie, une fête où il y avait beaucoup de monde, une fête où le Cuba libre (j'avais même aidé à presser les citrons au dernier moment pendant que les filles, des comédiennes d'une petite troupe, faisaient le mélange qui sentait si fort le rhum) coulait à flots et nous avions tous beaucoup bu. A la fin de la réunion la comédienne que je connaissais le mieux était venu me dire, avec peut-être une pointe de fierté :

- Tu ne t'en doutes sûrement pas mais il y a des gars de Sendero qui sont venus, ils viennent de repartir.

Bon, alors c'étaient peut-être les mêmes, oui des gars un peu différents des autres, vaguement aperçus dans la dernière danse à laquelle tout le monde avait participé dans la soirée, vers trois ou quatre heures du mat.

Bon ici je me dois de continuer un peu sinon mon coach qui ne m'engueule jamais et se contente en général de m'encourager, je veux parler d'Alain François que j'appelle parfois Saint AF car bien vivant pour d'autres à Angoulême, il plane comme une ombre bienveillante au-dessus de moi qui me refuse à aller le voir sur place et aussi parce que dans sa jeunesse il a participé à la mise en scène d'un Chemin de Croix artistique et digne de Pasolini, il faudra que je vous en parle un jour mais ce n'est ni le lieu ni l'heure, lui, donc, que j'appelle Saint AF aurait le droit de râler un peu . . .  

. . . alors, on y va de quelques halètements et soupirs de plus pour raconter encore quelques bribes.

Ce qui était incroyable, mais c'était logique, c'est qu'il n'ont pas fait de préambule. Ou alors je ne m'en souviens plus. Ils m'ont demandé direct de répondre à quelques questions sans s'être présentés.

- Vous arrivez de France. Qu'est-ce qu'on dit là-bas ?  Qui a été responsable de la capture de Che Guevara ? Et vous qu'est-ce que vous en pensez ?

Bien sûr, j'ai retenu mon souffle pour dire mes informations et mon opinion aussi posément que je le pouvais. J'ai dû avoir ce regard qui de temps à autre me plonge en moi-meme et m'enlève à la scène présente. 

C'était l'époque où plusieurs accusations, pourtant quelques années après, du temps était passé, commençaient à peine à sortir dans la presse internationale : la CIA, le KGB, les deux en accord implicite ou non, Régis Debray lui-même par imprudence ou sous la torture, ou encore Fidel Castro cherchant à se débarrasser d'un futur opposant déjà dissident, voilà les coupables de l'arrestation et de l'exécution du Che que désignaient les observateurs de l'histoire récente. (Je me gardais de parler des visites du Che au Vietnam et en Chine qui avaient pu déplaire à Moscou, ne sachant pas à quel genre de révolutionnaires j'avais à faire et ne sachant que trop que ceux de Sendero étaient pro-Chinois - et plus encore parmi  toutes ces idées flash qui peuvent traverser une tête en ébullition durant quelques secondes). Je dis d'abord que je n'avais pas de clartés particulières sur le sujet, mais qu'actuellement en France beaucoup de gens à gauche et ailleurs pensaient que Debray avait été au moins imprudent et que quant à moi je pensais qu'il ne manquait sûrement pas de courage, il l'avait montré, et que d'après ce que disaient les mieux informés ou qui semblaient tels, le gouvernement et l'armée bolivienne disposaient dés avant sa capture d'un faisceau de témoignages, de traces, d'indices et peut-être de trahisons, pistes qui avaient enfermé le Che dans un piège.

Ils me firent expliquer le mot "faisceau" que j'avais dit en français ne trouvant pas le mot en espagnol. puis, apparemment satisfaits de mes réponses, sans rien manifester me firent sortir de la voiture après avoir fait en roulant lentement le tour de trois ou quatre cuadras, ou si vous préférez, blocs ou pâtés de maisons, dans ce quartier plat de Miraflores où les avenues se coupent à angle droit..

En fin de compte, la question devenait, elle était maintenant : 

pourquoi cet interrogatoire ? A quoi ça rimait ? Que me voulaient-ils au juste ? Y avait-il quelque chose de personnel dans cette inquisition ? N'étais-je qu'un élément possible, porteur involontaire de la réponse qu'ils cherchaient pour résoudre un autre problème ? 




commençons par le Che (I).

 Mes rencontres avec ce personnage, ce héro légendaire et iconique sont à la fois très indirectes et très fortes.

Comme chez  tout un chacun dans le camp "progressiste de gauche" de mon pays du moins, il a joué dans mon imaginaire, venu à point après les grandes figures des "penseurs" du siècle, Malraux, Sartre, Camus puis Foucault, Deleuze, Derrida, Althusser, un rôle d'incarnation du Verbe. 

Avec, presque exact contemporain de ma propre existence, un admirateur, apôtre attitré, qui faisait pour nous des années 40, un impeccable et fascinant introducteur : ce Régis Debray, devenu écrivain prolifique, fils de bourgeois reçu premier à normale Sup qui avait dit non à la soumission au gaullisme bien avant la vague soixante-huitarde, qui, sitôt agrégé, était vite parti dans la sierra, armes ou stylo à la main. Pour ma part, moins brillamment, plus prudemment, marié, père de famille, je me contenterais d'être abonné à Granma, le journal de Fidel où je lisais le discours interminable sur la zafra del azucar, la récolte du sucre et le défi des dix millions de tonnes.

Ce n'est que quelques années plus tard, après avoir vécu en France mai 68, y avoir participé en "guerrier appliqué", avoir été déçu de la suite, des pesanteurs et de la retombée des événements post-barricades, pompidolisme, couve-de-murvélisme, que j'ai pu avec le désir de m'éloigner de ce que devenait la France bientôt giscardienne, rejoindre la Sudamérique d'abord à Rio et plus tard encore, après avoir travaillé à Dakar et Kinshasa, au Pérou en guerre, à Lima.

Précisément c'est à Lima que m'a été, dans un face à face brutal, posée la question qui parfois encore revient me préoccuper.

mardi 14 février 2023

Nietzsche et l'animal.

 C'est François Bon l'écrivain performeur, traducteur, pionnier de la littérature numérique, auteur en continu et éditeur militant passeur à bout de bras sur son site et écrivain chez d'autres éditeurs papier, créateur de ces chefs d'oeuvres que sont Autobiographie des Objets, Fictions du Corps, Paysage Fer, entre autres, qui dévoile cette histoire oubliée, rapportée par Malraux au travers du récit qu'en fit un contemporain de Nietzsche, ami de son grand père. Un récit presque inédit comparé à côté de celui qui a déjà fait couler beaucoup d'encre.

On y voit Nietzsche tout juste tombé en folie après ce séjour à Turin où il a cru trouver après Bâle, Sils Maria, Nice, Menton, Gène, le climat idéal.

C'est l'histoire, juste après, qui se passe dans le train où le philosophe est embarqué par ses amis, contraints de l'arracher à ces délices méditerranéens pour le reconduire à Bâle, en clique, voyage qui le ramènera bientôt vers sa famille et sa patrie, après cette scène terrible et fameuse où, imitant exactement un héros de Dostoïevski, il s'est interposé sur le pavé de la place, entre le fouet du cocher brutal et déchaîné et le cheval malade, épuisé, qui s'effondre. Scène quasi mystique, scène presque digne des stigmates imposés à San Francisco au mont Verna (l'Alverne), où il serre la tête de la bête contre lui et l'embrasse en pleurant. Contact plus qu'humain dont  hélas il ne reviendra plus parmi les hommes. Ayant perdu à jamais, durant plus de dix ans, jusqu'à sa mort, toute lucidité. 

Mais c'est donc une autre scène que nous joue dans une des dernières performances qu'a enregistrées sur son site, François Bon, de sa voix ironiquement sépulcrale et prophétique, 

celle d'après.

                        On y voit Nietzsche avec son fidèle ami et accompagnateur après le désastre, le peintre Johann Friedrich Overbeck, assis sur la banquette face à une paysanne, dans le train qui passe le fameux tunnel sous le mont Saint Gothard. Il y passe, du moins dans ce compartiment réservé à ceux qui ne peuvent se payer une meilleure place en meilleure classe, toutes lumières éteintes, dans le noir. Et là se produit un événement minuscule mais si énorme que le monde en semble retourné, inversé,

              l'homme visionnaire, hyper-critique et imprécateur y passe de la tentation, de la possibilité et de l'examen du nihilisme, il était à Turin pris en plein travail de réexamen (cet examen aura des retentissements si loin, jusqu'à Albert Camus par exemple et jusqu'à nous, dans les époques de remise en cause, de guerre, de bouleversements des sociétés) à une barcarolle sur Venise qu'il a lui-même composée quelques années plus tôt, . . . homme iconoclaste qui a renversé le bestiaire du christianisme, aigle, serpent, âne et bœuf (vache par dérision dans son oeuvre) . . . homme dénaturé

il se met, face à la poule enfermée au pannier sur les genoux de la paysanne, volatile qui de temps à autre sort la tête du pannier pour pousser dans le noir un cri de peur lui-même effrayant, 

. . . . lui Nietzsche, on l'y voit . . . quelle étonnante cérémonie, quelle étrange célébration, quel mystère !

dans le noir, qui se met à chanter doucement, lui l'homme qu'Hitler pour sa cause falsifiera, aidé des modifications apportées à ses écrits restés en souffrance par sa sœur acquise au nazisme, 

à chantonner dans le noir.

lundi 13 février 2023

encore ce sacré objet de nos discordes momentanées, parangon de confusion, le ou la (déjà le sexe) COVID

 morceau de note au vol et un peu à retardement : 

si je devais un jour très improbable écrire une pièce de théâtre sur les temps récents, petit désastre que nous venons de vivre, il y a peu, avant la guerre en Ukraine, il pourrait y avoir un personnage pris dans la foule de ses semblables bavards et aujourd'hui qui plus est devenus par-dessus tout militants, mi-savant mi-ignare, bref un demi ou faux savant exubérant, par exemple mon plombier, petit personnage rondouillard et très sûr de ses prérogatives, qui parce qu'à l'époque je portais le masque (chez moi, dans mes appartements, à sa venue) qui dirait ceci 

"  - Je suis contre le masque pour plusieurs raisons dont celle-ci qu'un chirurgien qui opère avec ces masques appelés chirurgicaux doit, s'il se frotte le nez une seule fois, . . . doit le jeter, alors combien de fois allez-vous vous toucher le nez avec un masque dessus tout le jour ? et aussi on m'a dit . . . j'ai lu . . ma cousine qui a fait médecine m'a dit que ces masques filtraient les bactéries et pas les virus . . .alors . . . je vous pose la question"

Réplique (qui pourrait être la mienne, celle d'un barbon grincheux, sévère, austère):

" - Mais mon vieux, on ne leur demande à ces pauvres masques de n'être là que pour que les gens n'oublient pas la situation en continuant à faire la fête comme si de rien n'était et évitent de se répandre en joyeux cris, rires éclaboussants et postillons et que d'ailleurs ces masques puissent retenir au moins quelques uns de ces postillons par où se répandent, croit-on, rhumes, grippes et covid !

Au passage, je ne me prends pas pour un chirurgien en train d'opérer risquant d'infecter les viscères mises à nu de son patient, je ne fais que protéger vos narines de ma toux ! "


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dimanche 12 février 2023

Le Che, puis ces amis que j'ai perdus et comment m'en suis-je retrouvé là, un paquet de questions.

 Bien difficile de prendre cette brassée d'éléments.

Aucun rapport bien sûr entre ceux de la grande Histoire ou  ces  résidus de bribes de ma minuscule vie telle qu'elle réapparait après coup sur ce fond de rêverie qui m'assaille chaque jour, d'écran de souvenirs déclenché au réveil ou plus tard, de projections hasardeuses que me réserve la machinerie de mon cinéma intérieur. 

Ces souvenirs flottants et "non résolus" n'en  forment pas moins des éléments actuels ressurgissant de ma mémoire avec autant d'incongruité ou d'absence de hiérarchie élémentaire que dans un rêve. Un rêve qui serait, mais il le serait forcément, totalement centré sur le point de vue de mon égo, sur les douleurs, les crampes, les traces marquées dans mon fonds le plus personnel et pourtant, je le sais bien, le plus commun à tous aussi.

Essayons de démêler.