vendredi 23 juillet 2021

Vieillir (II) Puis tout à coup la plage s'anime.

 Il s'avère que les deux nouveaux salvavidas de cette année ne sont pas des gens d'ici. Tiens . . . il ne parlent pas catalan entr'eux. L'un deux parle de "bochorno" (canicule) cet après-midi, puis de lluvia (pluie) mais au lieu de prononcer les deux L mouillés à la castillane il dit clairement chuvia avec un che che à la Che. Pas de doute ce sont des Argentins. Et d'ailleurs, il m'avait bien semblé qu'ils étaient moins raides, moins hautains, voire rogues que beaucoup de gens d'ici face aux gens qui passent dans l'escalier qui descend à la plage derrière leur dos,  d'ailleurs tous ou presque des étrangers (comme eux  en quelque sorte . . .mais diamétralement opposés dans leur position  de bergers et de troupeau insouciant . . . au moins provisoire dans leur position d'estivants), ils n'ont pas délimité la trajectoire du canot de sauvetage comme d'autres avant eux et le mettent face à eux certes, face à leur tour de contrôle et à leur cabane, mais en utilisant les espaces laissés par les gens avec parasols et serviettes au lieu de faire déguerpir ceux qui mal inspirés se postent dans leur ligne de mire et d'embarquement avec pertes et fracas éventuel; il m'avait bien semblé qu'ils communiquaient avec chaleur et même une fantaisie peu conventionnelle comme parfois les latinos. Et voilà que celui qui est perché sur son siège de surveillance explique en anglais à un touriste français les vertus du maté, pas de doute possible. Et le plus rieur et compatissant aide même une très vieille dame petite et ronde à ouvrir son parasol qui semble être passé par les mains de plusieurs générations, baleines déformées, fleurs fanées, et qui s'est diablement coincé. 

Du coup voilà, voilà, ce matin, je leur ai demandé quand ils le mettaient en place s'ils me prêteraient pour un petit tour le canot de sauvetage rouge gonflable quand ils le plaçaient à côté de moi et au lieu de me dire non, ils m'ont juste averti que le bout avait été choqué contre un rocher et prenait l'eau. Puis quand ils ont vu que je ne parlais pas trop sérieusement . . . eux je ne sais pas trop, nous avons parlé, peut-être par analogie avec le canot à moteur qui leur fait défaut, un peu . . . , la pente est venue comme ça, des catastrophes argentines, du moteur qui à chaque fois que le peuple reprend espoir après avoir élu de nouveaux dirigeants, s'étouffe et cale. Puis des vins et des films de ce pays fabuleux. Puis de Patagonie et de baleines (pas de parasol) d'où est originaire  ou pour le moins vit l'un d'entre eux.

Si bien qu'à la fin comme ils arrivent tôt avant leur service pour s'entraîner, chaque jour, pour nager dans l'eau encore vide et étale, les gens n'aiment pas les bains aux aurores et les vents eux aussi dorment encore au sortir de la nuit, dans cette mer encore belle comme un lac de montagne, ils m'ont proposé de venir nager avec eux, exquise politesse, et j'ai dû leur expliquer, car ils avaient fait semblant de ne pas voir mes rides et recroquevillements, que même si je faisais mine, mariol, parfois, de nager comme un maître-baigneur (il est arrivé en piscine, mais rarement et il y a longtemps, d'ailleurs je n'aime pas trop les piscines, qu'on s'y méprenne), que donc . . .  j'avais maintenant des raideurs et des crampes (rires) qui risquaient de les contraindre en m'accompagnant sur un trop long parcours . . de faire double journée de sauvetage (ils s'esclaffent) avant même qu'il soit l'heure de leur travail officiel.

mercredi 14 juillet 2021

Vieillir. (Faut-il ajouter "à la plage" ?

 J'ai été, la traversant sans m'y attarder, mille fois, le témoin involontaire, sur la plage, de dix-mille diverses façons de tenter de ne pas vieillir, enfin . . . de le croire. . . ou parfois de se laisser emporter dans l'eau profonde, écran circulaire, enveloppant, giratoire et kaléïdoscopé à l'infini de ces multiples images inventives de rides, douleurs, ravages d'un corps expansé en bibendum débordant de bedaines ou ratatiné en silhouette cassée, tordu et clopinant, plongé au sable mouvant qui empêche de regagner la stabilité du bord et de sortir des pièges de la mer, car la plage où je stagne peu après le bain, le temps de sécher, est un lieu où s'expose, évidence, l'humanité à nu. 

Et la plage attire à elle toutes sortes de beautés autant que de difformités.

Ce matin, tel une ondine homme, cheveux blonds dans le dos, le salvavidas a piqué sa tête et clairement fait, en arrivant sur son petit vélo, en presque simple appareil, juste avant de revêtir son tee-shirt rouge statutaire et de prendre son travail là-haut sur son perchoir à guetter les imprudents et les accidents presque toujours prévisibles, une belle démonstration de sa jeunesse, plongeant dans les vagues sans respirer sur plusieurs mètres puis émergeant pour nager un crawl super-efficace, coulé, fendant l'eau jusqu'aux bouées et retour, tout en énergie, vitesse et fluidité.

Habituellement il y a un coin de la plage superbement traitre et pourtant très fréquenté. Les gens s'y agglutinent croyant trouver là un échantillon de paradis, mini bout de Seychelles sans cocotiers penchés mais avec de beaux rochers ronds et posés en décor, où les peu sûrs de leur équilibre, flottant et tremblant sur leur arrière-train insuffisamment râblé quoique souvent hyperdéveloppé, s'affalent et attendent, au ras des flots enlisés, un secours bienveillant des voisins eux-mêmes à deux doigt des mêmes affres et avanies, pour sortir de cette masse de graviers et sables trop fins qui glissent comme une marmelade au lieu de vous soutenir, aux pieds de ces superbes rochers fournisseurs d'émotions et d'aventures. Mais ce n'est pas là le pire, pour les sauveteurs et les sauvés.

Le pire, là où succomberait, si l'indulgence nécessaire et généralement pratiquée n'y remédiait, toute dignité humaine, c'est, le plus souvent, dans l'acte au narcissisme outrageusement assumé et renforcé, d'immortaliser son portrait sur fond de vagues, du moins quand il ne s'agit plus de s'y tirer le portrait dans sa prime jeunesse au relatif resplendissement naturel. Là, en effet, généralement des dames et parfois aussi des hommes, se contorsionnent dans ce très délicat exercice, manifestement sans auto-retournement du regard  pour prendre des poses de cinéma limite porno dans l'espoir d'atteindre l'art iconique majeur des exhibitions facebookiennes. Pourtant là encore le renversement parfois se produit, miracle d'ironie et de parodie et la beauté surgit d'un professionnalisme de la pose, rare et élégamment assurée.  Et peu importe l'âge quand, de la naïveté ou l'extrême sophistication,  ressurgissent des allures angéliques ou tirées des supplices d'un enfer re- et surjoué.

Parmi les inventions et conditionnements de cette lutte avec la mort, je retiendrai deux exemples virils pour leur rendre hommage, d'autant que ce sont tous deux des lutteurs disparus.

Chaque année je voyais resurgir vers la mi-juin dans l'eau encore fraîche, le Ludion. C'est ainsi que nous l'appelions. Il nageait la brasse en coulées tellement profondes qu'à chaque plongée on pouvait se demander s'il allait réapparaître, si son petit crâne rond et chauve allait vraiment de nouveau refaire surface, fruit flottant propulsé en saccades. Il a jusqu'au bout essayé d'atteindre le maximum de ses forces n'hésitant pas à traverser l'espace de bain délimité de la plage en travers pour allonger les longueurs, même si du coup il coupait la route par surprise à pas mal de baigneurs n'ayant pas observé ses immersions et disparitions frénétiquement répétitives. Gloire à sa mémoire de combattant inflexible.

Mais le monument à construire, je le réserverai au Cygne pétaradant.

Ingénieux bricoleur il avait, le jour où ses forces ne lui permettaient plus de nager aussi loin qu'il le voulait, décidé de construire une machine simple et efficace pour aller pêcher quelque fretin un peu au-delà des eaux envahies de nageurs et de flotteurs à matelas, planches, petits canots et bouées. 

Quand il arrivait il mettait un certain temps à monter sa mécanique faite d'un grand cygne gonflable, sorte de petit bateau sans fond, d'un grand fusil arrimé au col et à l'aile droite de l'animal et d'un petit moteur à essence doté d'une hélice, emprunté à on ne savait trop quel engin qu'il fixait au fond de son appareillage, sans parler de son chapeau à larges bords et de plusieurs sacs qu'il attachait au flanc gauche de la bête. Il passait parfois encore plus de temps à allumer son petit moteur en tirant sur son démarreur à ficelle et ensuite à s'installer dans l'espace entre les ailes du volatile aquatique en attachant sa ceinture aux parois que formaient les ailes de part et d'autre de son corps.

Enfin ainsi harnaché, mi-homme, mi-bête, et aussi semi-machine, il démarrait en lâchant de la fumée de son teuf-teuf et partait vers le large d'où u jour on ne le vit pas revenir.