lundi 28 septembre 2020

Surnoms

 Comme beaucoup de plus très jeunes et même sacrément vieux de plus en plus étonnés d'en être arrivés là après un chemin si long dont vous n'avez évidemment même pas idée malgré le peu que je vous raconte, ayant entre temps un peu outrepassé les limites de la bienséance imposée et du bien se conduire en apparence au niveau des consignes communément admises et des normes établies, il m'arrive souvent de dérailler exprès ou pas, de sortir des conventions et donc des rails en ce qui concerne l'aspect sacro-saint  du respect des noms. Qu'il s'agisse des noms des gens connus ou pas. 

A vrai dire, je ne me souviens pas de tous ces dérapages involontaires ou pas (( en revanche et par parenthèse double, sachez au passage que mon nom actuel de narrateur échappant depuis vingt ans maintenant à toute notoriété hors un cercle restreint d'amis et connaissances finalement très étroit, n'est qu'un surnom adopté par vaine et auto-ridiculisée gloriole du type appelé bizarrement pseudonyme )).

Tout à l'inverse mais parallèlement et conjointement, il se trouve que, par paresse facétieuse, j'ai commencé à imposer à d'autres dont le nom était présent sur toutes les lèvres, en jouant sur contrepet, lapsus ou calembour ou simple déplacement et interversion ou interpolation de syllabes - et ce dans certaines conversations ou au pire, par système, dans divers écrits non publiés ou lancés sur la toile ou presque absolument confidentiels - en les galvaudant dur. 

Peut-être, autant qu'il m'en souvienne, ai-je commencé effrontément, inconsidérément, par le Dalami Là-bas de Lassa que j'ai pu dire aussi en plus court  Dalahu de Là-bas que tout le monde reconnaîtra facilement et qui m'a valu quelques déboires justement avec un éditeur sans doute lui-même converti au bouddhisme qui publiait en tout cas ses écrits, ce que je n'ignorais pas.

Mais ça avait dû, ce tic verbal encore mal maîtrisé, commencer beaucoup plus tôt avec l'ancien président, le Comte Briscard du Destin, et peut-être même bien avant, dés ma jeunesse railleuse, 

avec le Marquis de Pubfol, Salvalor Dady dont j'ai suivi attentivement et sur place la carrière depuis les figuiers mous et les cerisiers passés au dénoyauteur, 

et un peu plus tard aussi dans une nouvelle difficile à qualifier, écrite entre utopie et pamphlet, publiée dans la presse locale d'une grande ville du centre de la France, avec ce surnom laborieusement construit de celui qui deviendrait lui aussi président, alors premier ministre, Jacot de Corps (à l') Aize et du Chateau Carich.

Sans parler, beaucoup plus tard et entre autres têtes exposées faisant les frais de ce jeu de massacre amusant et facile, du fameux président débragué sinon débraillé, Bill Climb on

ni du brillant et cinglant "escroc", le Professeur Lancan-Aillé (c'est lui qui insistait sur l'aspect escroquerie parfois efficace de la pratique mise en place par l'écoute freudienne) toujours là quand, arrivant en carrosse doré, la langue faisant corps, l'œil noir et lèvres en lippe, il assénait ses phrases codées par lui-même . . . notre fumeur de cigares torsadés.

dimanche 27 septembre 2020

F de Froid.

 Je n'ai eu de cesse que de me mettre à l'abri du froid. Le pire étant le froid humide sous le crachin. La Bretagne, pourtant si belle et pas si glacée m'a contraint pour y survivre à m'inscrire successivement à deux mouvements subversifs et parallèlement à amorcer un travail bénédictin de thèse. L'exploration des criques, plages, caps, îles et cromlechs, presque déserts à l'époque, ne suffisait pas à me faire oublier ce froid (relatif) et humide (terriblement) qui perce le corps et l'imprègne de nostalgie, de regrets, de légendes, au travers des plus imperméables anoraks et cirés. 

J'ai quand même aimé le ski à l'occasion dans les Pyrénées mais pas supporté longtemps l'afflux des gens. 

Seule concession au froid, le bain et j'aime le bain froid pour nager aussi loin que possible.

Là je suis encore plus obstiné que dans ma fuite des courants d'air froids, des routes enneigées et verglacées. Je me suis baigné au Portugal ou à l'extrême nord de l'Afrique, en revenant des tropiques où l'eau à 27 ou 30 me ravissait, entre novembre et février dans des eaux où il n'y avait pas un chat où l'on me surveillait de peur que déjà avancé en âge je disparaisse dans l'Atlantique à 13 ° ou peut-être moins ce jour là après une averse glacée, avec de grosses vagues et une eau trouble. 

Préférant des parages naturels je peux presque tout aussi bien prendre un plaisir purement physique à faire des longueurs dans une piscine même glacée si les transparences m'y incitent mais je suis un espion venu du chaud. J'ai tout essayé dans les eaux poissonneuses et coraliennes. Là le corps renait et s'étire en déroulé et flexibilité. Mes meilleurs bains : Cayenne entre deux moments difficiles pour mon travail et une nuit en vol de nuit, dans une eau rouge de boue restant collée en croûte à la peau, îles du Rosaire en Colombie sur un îlot désert, dans une eau cristalline et peuplée de vie, juste avant le bombardement de l'Irak qui allait faire le tour du monde sur CNN, déclanchement de la première guerre du Golfe, enfin, dans la Mer Rouge, à la frontière Egypte-Israel, dans cet aquarium géant aux poissons multicolores qu'Allah ou/et Jehovah se sont peut-être après tout entendus, pactisant avec Dame Nature, à placer aux confins du désert.

En hiver, j'ai donc quelque plaisir à remettre des gros pulls et même un vieux et grand manteau d'alpaga que j'ai fait tailler au Pérou, mais cette impression de disparaître en tant que corps ne me quite pas. Alors je marche pour exister encore. Je fais de la gym, me suspends au portique. Je soulève des poids et je coupe du bois.


mardi 15 septembre 2020

Façons (de voir le monde).

 C'est le hasard d'une programmation d'Arte qui m'a remis face aux Andes chères plusieurs fois à mon cœur (dont une lors d'une visite au moment critique, on approchait de la fin du Chili socialiste, où le MIR risquait de mettre le Président Allende en danger face aux menées de la CIA occupée à "faire crier l'économie chilienne" ) . . . (à mon cœur d'expatrié volontaire, sortant à peine, bien que le temps soit déjà passé, des exaltations de mai 68 en France et désireux d'aller y voir de plus près ailleurs et plus loin) face à ce troisième volet du documentaire réalisés en 2019 par Patricio Guzman. Ce cinéaste chilien vivant à Paris après avoir quitté son pays d'abord pour Cuba puis pour l'Espagne, et après être passé par le stade fameux et les prisons de Pinochet en 1973, qui a produit là, sous le titre La Cordillera de los Sueños (Œil d'Or au Festival de Cannes) une prodigieuse façon de voir le monde.  

Certes sa vision est parfois apparentée à celle de ses prédécesseurs et amis, Chris Marker et Joris Ivens, en images surprenantes ou en beauté onirique. Mais sa quête intemporelle, en plans larges très larges ou très rapprochés, en montage et raccourcis télescopés, incorporés d'interviews de personnalités fortes, produisent un tissu de paysages, matières, lumières, qui donnent librement à penser et n'appartiennent qu'à lui. Rappels, nostalgie, irruption de l'actualité dans le panorama immobile, jeux profonds de la mémoire, images jamais oubliées  mais rares, débusquées et jouant sur le sens à donner au présent, irriguées parfois de sa voix claire, mélodieuse, détaillant précisément, en diction un peu lente, parfaite, le réel, sans emphase ni jeu inutile où tout est éclairé et articulé d'un mouvement qui renforce, reconstruit et fonde les impressions. 

Saisissement de ces images agrandies, gigantesque de la cordillère, peintes dans le métro où, plan rapproché, passe la foule aveugle, indifférente, tête basse, à ces beautés en arrière fond.

Tout militantisme est absent de ce discours beau et fluide qui démonte sans démonstration la présence et l'avancée continue de la dictature du général disparu ayant détruit la démocratie populaire et ouvert la voie où triomphe le libéralisme féroce.

Le plaisir et la réflexion du spectateur sont ici appelés, sans recours à l'image d'Allende-martyr, par la vision du poète qui - comme le sculpteur qu'il interviewe et le peintre, enracinés tous deux, mais aussi, comme lui, exilés au pied de cette barrière de montagnes, si large, si longue, infranchissable - "se sent adossé aux Andes" dans ce qu'elles ont, juge ou témoin impartial et muet, icone imaginaire impassible, rêvée, de majestueusement plus fort que l'histoire dramatique des hommes.

 

jeudi 3 septembre 2020

I / E de Inspirer / Expirer.

Inspirer c'est parfois l'être, oxygéner la productivité, souffler sur le feu créatif.

Expirer c'est rendre l'air qu'on a pris et parfois l'âme ou son dernier souffle si l'on préfère.

Dans ce cycle où les poumons font office de ventilateur et de forge, rien ne nous appartient en propre, nous avons tout emprunté. Du point de départ, de l'idée à mettre en oeuvre au trépas. Faut-il y voir la vie même ? qui n'a rien d'un rêve, ni d'une illusion mensongère, mais qui incontestablement est comme un souffle ou peut-être un halètement ? un "je prends, je rends", je ne suis que le respir, le phrasé et l'haleine du grand tout matière lourde ou légère, infinie, qui m'a éjecté et produit, petit monde, microcosmos, reflet, rythme, buée effaçable du souffle universel.

Anaximène disciple d'Anaximandre voyait dans l'élément air le principe - chercher le point de départ, une idée d'Anaximandre (ci-dessous vu par Raphaël. L'Ecole d'Athènes)


- , la substance primordiale, capable d'exhaler le feu, l'eau et la terre, par contraction et condensation; rien de plus radicalement idéal et élégant que d'imaginer le monde naissant du souffle, de l'air, d'un état gazeux qui précipité doit disparaître et de là faire renaître en permanence d'autres univers.


mercredi 2 septembre 2020

P S de Planète Sauvage.


Quand le film de ce nom La Planète sauvage, réalisé à Prague par René Lalou avec des dessins de Roland Topor en papier découpé à partir du roman de Stefan Wul, est sorti en 1973 j'avais beaucoup aimé. Essentiellement parce que j'aime l'humour toujours poétique et surprenant de Topor.
Il va sans dire que j'aimerais qu'il m'advienne des rêves aussi forts, légers, colorés, fluides et beaux.
Au cours de réveils nocturnes il m'arrive cependant, faible rêveur, d'avoir de bonnes surprises quand je capte juste avant qu'ils disparaissent des petites bribes de films que mitonnent mes yeux fermés, mon cerveau encrassé et mon inconscient surchargé d'images superposées en couches surdéterminées recolorées et redessinées sans aucun travail apparent.
Ainsi hier je suis allé me balader ou plutôt j'étais jeté là sur un autre continent, presque une autre planète et c'était si fort que je m'en souviens encore comme si j'y étais. Je m'y vois bien. Ce n'était pas cette ville inconnue au bord ou pas trop loin de la mer qui n'est ni Barcelone ni Buenos Aires qui ont une certaine parenté, ni Rio l'unique, ni Lima la brumeuse du Pacifique, ni Naples ou Athènes, villes sudistes que j'ai beaucoup arpentées, puisqu'elle est sur une falaise abrupte, noire et ocre que je n'ai jamais vue en vrai, ni ces paysages africains de savane ou de forêt dense que je connais bien et où j'ai réellement marché de temps à autres et qui reviennent parfois, matins du monde, force de la terre où l'homme a laissé encore plus de traces symboliques que destructrices, intactes à nos yeux pollués et urbanisés, dans quelques rêves peuplés de foules bigarrées et de bêtes inconnus. C'était une impression tout à fait nouvelle, très étrange, et je ne saurais dire si, au vu de sa force et de sa teneur sauvage, elle était située en une Afrique inventée ou possible ou en quelque sorte "surjouée" par ses protagonistes.
Dans un premier temps nous traversions dans nos véhicules tout terrain un peu brinquebalants, ma compagne, quelques amis et moi, une grande ville très peu encombrée de piétons et de véhicules, dans ses avenues occidentalisées et obscurcies par la hauteur des gratte-ciel malgré un soleil de plomb puis après avoir eu du mal à trouver où faire le plein de carburant, à la sortie de banlieues interminables, bidons-villes vides et gris étirés sur la terre rouge, était-ce  après une guerre ? une épidémie ? une crise économique sans précédent, tout autre fléau ? . . . nous débouchions rapidement, sans autre transition, dans une savane vide d'humanité, sèche, sans arbres, puis au rebord du plateau qu'elle formait, sur une vision qui est restée photographiée sur ma rétine, malgré l'absence d'image extérieure correspondante dans le réel du monde que je connais. 

D'abord, ce qui frappait la vue, du haut du point de vue en surplomb où nous étions arrêtés, c'étaient les arbres, des arbres immenses, au troncs massifs et extrêmement puissants enfoncés dans les hautes herbes. Ensuite c'était les trous énormes dans leur troncs, des sortes de cavernes d'où s'échappaient par une action de forage intense, des débris, des copeaux, de la sciure en très grande quantité, le tout projeté loin dans l'air. En fixant notre attention sur ce spectacle finalement inquiétant, de très beaux arbres millénaires ravagés par des excavations dont nous voyions l'avancée désastreuse, nous finissions par distinguer de temps à autre, des êtres courbés en avant qui sortaient des cavernes à reculons, ni singes ni chiens, dont nous percevions de loin les mouvements puissants de grattage et de balayage et la croupe musculeuse, une espèce inconnue de nous dont nous ne pouvions encore percevoir la tête et les yeux, ressemblant cependant à des mammifères au dos puissant et au pelage obscur. Des canidés, des ursidés, des félins ?
La pensée que ces grimpeurs creusaient des trous profonds pour y enterrer leur nourriture ou leurs proies plutôt que pour se nourrir de vermine et de sève ou de pulpe végétale me traversa l'esprit pendant que j'en examinais un particulièrement actif à la jumelle.
Plus tard, descendus à mi-pente de la route qui après avoir parcouru le plateau, s'étirait dans la plaine sèche et buissonnante, nous étions accueillis par des gens amicaux qui peut-être nous attendaient, ils n'avaient pas l'air surpris de nous voir, cependant leurs sentiments et leurs intentions à notre égard n'étaient pas clairs du tout et nous échangions peu de paroles, des paroles qui auraient pu nous rassurer ou nous faire au moins saisir dans quelle situation nous étions tombés et si même il fallait accorder une importance à cet arrêt improvisé au moins de notre côté. 
Puis, tout aussitôt, nous nous trouvions en train de nous promener à pied sur la large route de terre par laquelle nous étions arrivés. Nos hôtes étaient-ils présents avec nous dans cette promenade ? nous avaient-ils avertis de quelque chose ? Je ne sais plus. Y avait-il un danger imminent ?

C'est alors tout à coup, il y avait une coupure dans le film, pendant que nous nous posions trop de questions, que s'avançant comme des animaux domestiques au milieu de nos pas, ces très grands félins arboricoles, ces chats soyeux géants sortis d'un cauchemar, aux yeux de panthères, fouisseurs de cavernes surélevées au dos si long et si large, êtres incongrus dans leur comportement, ni ours ni chien mais léopards gras au corps chaud et au pelage obscur, de très près on pouvait voir les taches ocellées, sont venus frotter leurs muscles et leur museau plat, montrant, entrouvert, des dents en sabres éloquents, à nos mollets et nos cuisses et nous donner des coups de tête à hauteur du bassin ou du plexus et de la poitrine pour les plus petits d'entre nous.
Fallait-il prolonger l'expérience ? Je ne sais car je me suis réveillé plutôt heureux que peureux, heureux de les avoir vus de près, ces monstres au pelage luisant, peut-être aussi d'être encore là.