mercredi 22 décembre 2021

Canard.

 J'ai quelques histoires d'oies et de canards sous la main ou plus exactement, figuration d'un lobe cérébral ? dans le corbeau gauche, dénommé Munin, qui m'accompagne et vient faire son rapport sur mon épaule, celui qui représente la mémoire. Non je ne me prends pas pour Odinn ou Odin, le dieu des dieux irlandais, mais suis, ancêtres nordiques, un peu à son image, venu du grand froid, guerrier fourbu et amoché, à l'écoute de ce que parfois transmettent les bêtes ou les profondeurs des rêves et du corps après ou avant de décisives batailles).


C'est la gaie Lucette qui la racontait cette histoire que, corbeau moi-même, je transmets à votre oreille. Après un repas fait de multiples plats que chacun apportait pour payer son  écot (égo sans écho) dans ces réunions nautiques qui avaient lieu en petite navigation de crique en crique, j'en profitais toujours pour nager d'un bateau à l'autre, petite armada de plaisance, entre La Escala et Cadaqués, d'où quelquefois nous poussions jusqu'au Cap de Creus, un jour où nous étions tranquilles, presque assoupis, par mer d'huile, à nous laisser griller au soleil, nous étions ce jour-là sur le bateau de son compagnon, un grand costaud qui engloutissait, on se demandait comment, nourriture et boisson sans presque piper mot, aussi silencieux qu'elle était bavarde, sa petite voix s'éleva sur fond de doux clapotement de la mer.

Donc, cette femme qui avait été institutrice et esthéticienne et avait eu plusieurs maris et était encore terriblement vitale et qui aimait lire et raconter, disait :

Un jour c'était dans la maison de campagne de mon premier mari et à l'époque, pendant qu'il chassait  avec des copains et le gardien, je lisais au soleil nue pour bronzer intégral; il y avait dans cette vieille ferme où vivait donc un gardien d'un certain âge, lui aussi parti à la chasse avec son vieux fusils à deux coups, toute une basse-cour autour de la mare noirâtre, des poules rousses ou blanches dont une blanchette familière qui venait picorer dans la main et une famille de canards dont un mâle à miroir bleu sur les ailes et parure verte sur le col, un gros mâle de quatre ou cinq kilos.

Ce qu'elle racontait ensuite, je ne l'aurais jamais cru si je n'avais de mon côté vu, vraiment de mes yeux vu, un canard s'échapper et courir sur presque dix mètres après que ma grand-mère lui eut proprement coupé le cou au hachoir, quand âgé de cinq ou six ans, je suivais ses occupations dans le jardin.

Vous savez tous, disait-elle, que cet oiseau palmé, est doué d'une force et d'une libido peu communes, mais de là à en arriver à ce qui m'arriva . . .

Au soleil depuis un moment et crémée d'une senteur qui peut-être a réveillé ses sens, le fait est que sortant de sa mare il a sauté sur moi et j'ai eu beaucoup de mal à m'en débarrasser. Que voulait-il ? Il semblerait que c'était clair à entendre ses râles et à voir son obstination à approcher de mes cuisses.




mercredi 15 décembre 2021

Viande.

 Le mot viande vient de loin car tout peut faire et a fait viande, des racines de certains légumes au saumon, de l'eucaristie au bouillon ou à la crème en passant par les viandes noires (gibier), blanches (lapin, poulet) aux viandes grandes (boeuf ou mouton), sans omettre aucune nourriture source de vie ou de survie. Ce n'est qu'au XVIe siècle qu'apparait  en français le sens restraint d'aujourd'hui, celui que les Catalans appellent précisément et grossièrement carnica

Les meilleures viandes que j'ai eues à croquer et sucer, je les ai eues en charcuterie ou volailles dans mon enfance, puis en Limousin  où existait un élevage exemplaire, beaucoup plus tard - à Limoges on peut encore  parcourir, étroite dans le centre, une rue dite des bouchers - et bien évidemment surtout en Argentine ou en Uruguay, où consommées avec des frites coupées et cuites de telles façon que au lieu de frire en se racornissant elles gonflent délicieusement, du moins, la première fois où j'y ai été dans les années 70 du siècle dernier, avec des jours avec et des jours sans, règlementés par décret, veda, puisqu'à cause d'une grande crise économique il fallait la réserver, cette viande quotidienne pourtant si nécessaire et en abondance pour tout travailleur gagnant son pain dans une hacienda étendue sur des kilomètres dans la Pampa, à l'exportation pour y gagner les devises, dilapidées par les gouvernants, déjà.

Feux de sarments, grils en plein vent, le sud pour moi est plein de cette odeur de bêtes grillées les jours de fête.

Disons, raisonnablement, ce n'est pas tout à fait gagné, que me voilà peut-être moins carnivore et carnassier.

Parcimonieuse et restrictive modernité. Voilà qu'elle entrerait peu à peu dans mes veines, aussi hostiles sois-je, ai-je la chance de pouvoir être, aux régimes et aux prescriptions diététiques, par chance de complexion.

Quand je relisais récemment l'histoire de Robinson Crusoé dans toute son extension, avec son lot d'aventures extérieures au récit le plus connu, ce que je n'avais jamais fait que par bribes jusque là, c'est ce comportement du marin anglais perdu sur son île oubliée, bel échantillon de cette humanité conquérante qui a fait la richesse destructive de l'Occident, méprisant et châtiant durement les sauvages attachés au cannibalisme, 

et pour son compte ne considérant l'animal, même domestiqué, même apprivoisé, que comme outil ou viande à extraire et exploiter en disposant à volonté de cette réserve inépuisable où il est livré à l'humanité.

Comment ne pas faire le lien entre boucherie et massacre, élevage et camps d'extermination, plaisir à mordre dans la viande juteuse et cannibalisme, éducation des hommes à la cruauté et à la jouissance indifférente aux souffrances du vivant, guerre contre notre ou les espèces et abattoir, entraînement de la conscience au non respect de la vie ?