jeudi 30 juillet 2020

H de Hommes.


Z. Icône des cours de philo, il était étudiant intermittent, boxeur au nez cassé et surtout très remarqué de nous, dans l'ensemble petits bourgeois rivés au texte et à la chaise. Il venait aux cours en Fac quand ça lui chantait. Il racontait ses combats de gamin, mi-gitan mi-berbère, il avait toujours aimé se battre pour se battre, tantôt du côté des Gitanos venus de Barcelone ou d'Andalousie, tantôt du côté des Arabs et Marroqui  dans le quartier St Jacques de Perpignan. Se situant bien lui-même sans erreur comme un marginal ayant peu de chance de réussir comme fort en thème, il portait des jugements sur tout le monde avec le culot de sa gouaille et de son expérience non livresque du monde; était-ce parce que je lui avait prêté ma turne un week end où j'étais absent, pour qu'il y couche sa jeune conquête, une fille adorable un peu garçonne à la Jean Seberg ? il m'avait à la bonne. Un jour même il m'avait défendu aux poings contre deux fachos, lors d'une manif où il était venu plus par curiosité que par conviction. C'est lui qui m'a fait faire un peu d'épaulé-jeté avec un essieu de voiture qu'il avait traîné là et qu'il maniait dans le local de banlieue qu'il squattait. Si je le retrouvais, à Perpignan ou ailleurs, je le saluerais comme un héros de cette mythologie que je traîne.

L. J'ai pas mal crapahuté avec lui dans les Pyrénées. Nous partions avec un sacré matos. Cannes à pêche pour la truite dans les lacs bleus entre les cimes, alevins dans des bulles de plastique, gnôle de prune locale, sacs de couchage, pain-miche, petit jambon à l'os, etc . . . Moi j'avais en sus une boussole de marine et un opinel que j'ai encore, reliques. Je l'avais bizuté en prépa et nous étions restés liés d'amitié un temps pour nous fâcher radicalement ensuite. Sa fiancée faisait les Beaux Arts et essayait de le modérer mais lui était complètement ravagé mais pas ennuyeux avec sa petite tête sculptée en creux, son front plein de bosses, son regard aigu et un peu buté, ses oreilles chiffonnées et pointues. Il m'a donné le goût d'écrire au stylo plume un temps qui n'a pas duré et indéniablement l'impression que, depuis ce temps, rien n'arrêterai mon désir de marcher, de monter des pentes en penchant vers l'avant, pieds écartés, souffle rythmé.

M. Celui-là, mon pire ennemi, aurait pu être mon supérieur s'il avait su s'y prendre comme l'avait fait son prédécesseur dans un poste où je voyais passer les diplomates subalternes, ambassadeurs, missionnaires de tous corps d'Etat et autres, alors que ma propre mission était d'implantation de plus longue durée et que je commençais à avoir l'impression de devoir me résigner à me transformer en guide face à des institutions, des coutumes, des gens qui pour eux étaient pur mystère alors que parfois ils arrivaient sans être capables d'aligner deux mots dans la langue et alors que je n'étais moi-meme perçu dans le pays que comme gringo. Il me semble que notre rivalité avait dû commencer sur un campus d'université d'agronomie où, en visite un peu protocolaire et formelle, nous avions été assaillis de demandes d'aides matérielles exorbitantes et attaqués par des abeilles hébergées par l'institution mais pas encore dressées à l'accueil des visiteurs étrangers. Déjà de mauvais poil, le cuir tendu par l'outrance des demandes à prendre sur des fonds dont nous ne disposions pas, ni lui ni moi, il avait geint et pesté après avoir reçu une piqûre au-devant de l'avant-bras bras alors que j'étais resté de marbre malgré une double attaque au crâne dont me restaient deux aiguillons. Arrivant d'Amérique du Nord, il avait du mal à comprendre les réactions, les maladresses, de gens qui démunis de notre technologie, pouvaient se trouver face à nous en demande d'aide pour toutes leurs activités. Par la suite il n'a eu de cesse que, par jalousie pure, de réussir à me nuire.

F de Femmes.

E. Elle avait connu la guerre mais du mauvais côté dans une grande ville d'Allemagne. Elle ne disait jamais laquelle ni ce qu'avait pu y faire sa famille. Elle se plaignait des terribles bombardements américains et du rationnement de nourriture dans son enfance jusqu'au moment où se rendant compte qu'elle parlait devant des Français ou des Anglais, elle s'arrêtait de geindre. Elle avait lu et continuait à lire beaucoup de littérature diverse, mêlant prix Nobel et auteurs contemporains qui lui étaient recommandés par ses nombreux amis plus ou moins lettrés, elle lisait toujours ou regardait les films en version originale car elle avait appris beaucoup de langues et avait été traductrice ou au moins secrétaire multilingue, mais elle ne pouvait ni conduire, ni monter à vélo, ni accomplir certaines tâches trop techniques qui créaient dans son esprit une panique ou une confusion irrépressible, tellement elle avait été traumatisée par cette guerre vécue du mauvais côté. Au milieu de tout ça elle avait gardé des opinions assez traditionalistes et même admirait les régimes autoritaires, elle ne détestait pas l'islam mais abhorrait les Gitans, Tziganes, Roms et gens du voyage assistés selon elle en pure perte. Dois-je regretter de l'avoir perdue comme amie ?

N. Née au Sud de l'Amérique dans une propriété gérée par un intendant elle avait été violée par cet intendant séduisant et beau parleur alors qu'elle était la très jeune fille du propriétaire latifundiste et s'était crue à l'abri de ce genre de traitement réservé dans toute l'histoire universelle aux indigènes ou aux gens de peu. Son père ne l'avait pas crue quand elle avait dénoncé l'intendant abusif. Elle avait dû s'enfuir et mener seule et très jeune sa vie. Si bien qu'elle était maintenant une femme libre, responsable et engagée. Elle aurait pu militer avec des féministes mais n'avait jamais parlé à personne de son drame d'extrême jeunesse, préférant les milieux intellectuels et artistiques qui étaient soupçonnés de soutenir le combat des révolutionnaires alors à l'oeuvre dans le pays, armés jusqu'aux dents d'autant qu'ils s'emparaient d'arsenaux et casernes avec audace, réfugiés dans des coins perdus de la sierra, noyautant les prisons où ils étaient enfermés quand ils étaient pris et fréquentant de temps à autre la capitale pour y retrouver des amis, s'y distraire, et y mener des actions violentes et spectaculaires ou simplement y organiser en toute impunité de très courts défilés auxquels personne n'osait s'opposer. J'apprends que maintenant, beaucoup plus âgée, elle fait partie d'une organisation défendant les femmes exposées aux violences et aux abus de toutes sortes.

O. Nous avions pris contact à la sortie d'un restaurant populaire à Paris, elle était avec une amie qui parlait sa langue et je me rendis compte que malgré son long séjour elle avait gardé un très fort accent latino. En marchant elle avait l'habitude de regarder de temps à autre derrière elle. Parfois - elle connaissait parfaitement Paris - nous passions sur sa demande dans des ruelles étroites, prenions des escaliers transversaux permettant de changer de palier et de rompre la linéarité de la promenade, ou elle nous faisait emprunter des passages un peu obscurs et sentant l'urine entre deux places que, bien que promeneur acharné, je n'avais jamais explorés. Ainsi elle ne cachait nullement son passé de passionaria habituée à ruser avec la police ou les forces armées dans le pays d'où elle venait, ni sa peur d'être, encore longtemps après, retrouvée par les sbires des milices qui l'avaient contrainte à fuir et à obtenir un statut de réfugiée dans notre pays. Un jour elle me révéla qu'elle avait eu beaucoup de mal à ne pas accepter et à ne pas se remettre, malgré - mais comment cela aurait-il pu en être le but ? - une longue psychanalyse, d'avoir échappé aux chiens enragés et vicieux au service de la clique militaire au pouvoir, qui avaient pris par erreur sa sœur, bourgeoise "désengagée" un peu naïve et innocente de subversion, par pure précipitation et confusion (ressemblance autant que nom de famille) avec elle militante, qui l'avaient torturée jusqu'à la mort et dont le corps comme tant d'autres, n'avait jamais été rendu à sa famille.

mardi 28 juillet 2020

G de Gafarot.

Gafarot est un très beau mot et pratique. Dans ce cas je n'utilise que ce mot occitan (prononcez le T à la fin, c'est important). Dans le cas où toutes ces sortes de graines pleines de vouloir vivre s'accrochent à mes basques, à mes chaussures, à mes lacets, à mes fonds de pantalon, par leurs multiples crochets, gaffes et ventouses ou scratch quand je jardine ou simplement passe dans mes sentiers entrecroisés qui bifurquent en fonction de mes tâches, entre toutes sortes d'herbes que je laisse pousser parce qu'elles veulent bien dans ce pays où presque tout crève sous le soleil de plomb de la lourde mais sèche saison d'été.
Dans ce pays de sècheresse et de pierraille où rien ne devrait pousser, où Dieu ou la Nature ou une Force réellement diabolique immanente à la contrée et toute une équipe de chercheurs et ingénieurs au service de l'Un ou de l'Autre ou du Diable incarné, semblent avoir bossé dur pour inventer, en compensation de l'infertilité des sols et du mauvais accueil que fournissent le vent violent, l'air chauffé à blanc et caniculé et parfois, en balance absurde et insensée, les pluies torrentielles, ces graines de toutes sortes d'herbes remplies de multiples systèmes de crochets.
Mais cette fois, il se trouve que je travaille en short, les pieds dans des sandales ou des tongs ou chaussures "bateau" type mocassin indien, comme tout l'été où je ne mets plus une seule fois de falzar long ou de jean, même en tenue de soirée, . . .
. . . voilà qu'ils sont nouveaux ceux-là, ou du moins je ne les avais pas encore remarqués, ils sont verts, pas encore desséchés comme tous les autres types de gafarots, ils forment une petite boule justement genre pompon de mocassin, mais une boule très petite qui s'accroche en paquets dans mes poils de mollets ou de cuisses et piquent comme des puces.

J'en ai examiné un à la loupe, il a des rangées de dent et de piquants impressionnants bien qu'à l'oeil nu il n'y paraisse pas.


lundi 27 juillet 2020

Mondes multiples.

M. M. Comment ne pas être surpris qu'il n'y ait qu'un seul monde ?
Presque tous les penseurs sauf l'obstiné uniciste Aristote, l'ont pensé.
De Pétrôn d'Himère le Sicilien présocratique au sage et vertueux Emmanuel Kant de Königsberg et jusqu'aux malins et moqueurs magiciens ou physiciens contemporains.

D'où ces efforts de l'humanité pour s'arracher au seul monde connu. Voyez l'illustration du Man in the Moon de Francis Godwin (1649) , ci-dessous l'homme emporté par des oies :



Faudrait-il croire que dans cet univers inimaginable de dimensions et bourré de foutus trous noirs, naines brunes, galaxies, soleils à l'infini, planètes géantes ou errantes, il n'y ait qu'un monde constitué de vie organisée faite de matière sensible et pensante, qu'un seul micro-îlot archi-minuscule de poésie, d'art, de bimbeloterie, calcul mathématique et tentatives infructueuses de comprendre . . . fait autant de connerie et tyrannie ou illusion et façade de démocratie que de sagesse imaginaire dégénérée en folie ?

Retour aux origines, avant Giordano Bruno, Nicolas de Cuse ou Lucrèce, j'aime bien l'hypothèse pétrônienne selon laquelle il y a exactement 183 mondes.
Voyez plutôt :
Quand on ouvre la formation triangulée du grand monde, dont chaque côté en compte de nouveau soixante petits, il faut encore en ajouter un au sommet de chacun de ces côtés.
Vous suivez ? 60 x 3 soit 180 + 1 + 1 + 1.

C'est beaucoup plus amusant et concret à voir et explorer que ces plurimondes ou plurivers dont on nous parle de plus en plus sous prétexte de lecture de Jorge Luis Borges ou de théorie quantique à la noix avec ces mondes dédoublés, empilés, feuilletés ou mis en miroir et multi-focalisés ou simplement possibles et science fictionnels plus que sérieux . . . dont on nous abreuve aujourd'hui.

samedi 25 juillet 2020

Covid..

Autant dire qu'on ne sait rien.
Case objectivement vide.
Des stats qui tournent autour du globe, on dirait une enseigne lumineuse de bastringue du désastre annoncé ne permettant aucune prévision ni rémission, déjouant les plans dont on se demande s'il faut les appliquer, des frontières ouvertes puis fermées, des précautions respectées à moitié, des labos sans résultats, des discours à l'infini n'exprimant rien que craintes, bravades, demi-mesures fétiches, naïveté désarmée, cynisme renforcé, accommodements avec la case vide que seuls remplissent les cas avérés ou définitivement résolus par trépas.
La machine emballée ne s'arrête pas, un semblant de normalité l'anime, elle grince, freinne et geint, manège qui tourne à vide.


jeudi 23 juillet 2020

Changement.

Et même, grand Changement, Chamboulement total, grand Chambardement et grand Charroi.
L'initiale est donc CH et non simple C.
Ce matin, comme tous les matins ou presque, envie de grand changement, non pas que ma vie ne soit pas en grande partie heureuse, comblée déjà et multiple plus que triste ou monotone, mais si je vis ma vie si miraculeuse et 'improbable' (mot à prendre avec des pincettes) comme disent un peu facilement certains qui croiraient peut-être échapper aux statistiques et aux aléas de la variable aléatoire, c'est que mis en route et déterminé par une permission (terme militaire) de mon père en temps de guerre, c'était difficile de faire mieux dans le réel . . . improbable, assez inattendu et de tomber dans un plus grand trou des courbes démographiques (d'ailleurs dans le village nous n'avons jamais été que deux de cette classe d'âge dont le maire honoraire que j'ai été revoir il y a quelques années en souvenir de nos vaches gardées ensemble et de nos cerisiers géants escaladés), et hop, me voilà mis en route et puis là, mouflet déjà, enfant de la guerre qui allait durer encore, emmitouflé de gants et de bas de laine tricotés par la mère qui m'avait enfanté, en galoche et content, courant sur ce plateau venté, un peu ingrat et nu, ne produisant que des vaches et du blé, et mêlé à ces gosses rudes qui m'ont entraîné tôt à ne craindre ni le froid ni le chaud - ça m'a pas mal servi mais maintenant ce n'est plus le cas, quoique, encore . . . - et donc encore aujourd'hui c'est avec enthousiasme ou rien, espérant tous les matins découvrir quelque chose qui vaudra la peine, en cherchant volontairement ça arrive parfois qu'on trouve des choses incroyables, y compris qu'on trouve ce qu'on ne cherchait pas mais qui l'était encore plus, étonnant, renversant, inoui, ou bien que le hasard se joue de nous et qu'on obtienne après des plombes, des lustres, des siècles, ce qu'on ne cherchait plus, bref, je suis au moins autant que vous une machine désirante comme l'avait bien formulé ce sacré Deleuze Gilles, allié à Guattari, Félix de son prénom, dans les années 70, j'avais alors à peine 30 ans, c'est-à dire, c'était hier pour moi . . . mais en fait ça fait un demi-siècle !
Donc, bien que si bien ici dans ce mas dingue où j'ai fini par me fixer des tâches bien terre à terre, scier, sarcler, tondre, tailler, arracher, cueillir, semer, planter, regarder pousser, depuis des années je rêve et je cherche parfois un autre point de chute. Mais ce n'est là qu'une partie du deal.
Partir à deux avec celle, compagne de toujours, habituée à mes lubies, et seulement une partie des impedimenta, ustensiles, outils, robots, peu de machines, collections, livres, souvenirs, bribes et bibelots pas encore abolis, vers une avant-dernière demeure (la dernière étant de granit, de marbre ou de simple glèbe et gravier sableux pour le cercueil en carton).
Non, je n'imagine pas qu'on va brûler mon corps ni celui de ma bienaimée.
Ni par notre ou sa ou ma volonté, ni contre, sans doute suis-je athée marqué de formation chrétienne,  de fresques édifiantes et troublantes, trop impressionné par ces flammes soufflées au chalumeau géant du brûleur d'incinération, si puissantes, si bruyantes, convoquant l'enfer ou de plus effrayantes pratiques terrestres, évocations lugubres sur fond, en sourdine douce, de musique lénifiante,  néant violent des horribles crématoires . . . . visions et auditions, crissements et souffles des avancées, poussée sur rouleau de ce cercueil de sapin ou de chêne qui renferme quelque compagnon tombé en route et que j'ai pu accompagner dans cet au-delà où pourtant . . . il semblerait qu'on ne peut ni souffler, ni penser, ni rêver (oh ! diable . . .que tous les dieux du ciel ou de la terre nous en préservent, passer toute sa mort à rêver comme le croyaient les Anciens, quand on voit ce que les rêves ont d'absurde, de purement insignifiant et parfois de bêtement pénible et obstiné, de pur hasard, comme le dessin des roches ou des pierres, rarement assez intéressant pour être collectionnés - et là à propos des rêves quotidiens je rejoindrai plutôt Caillois, collectionneur d'écritures de pierres que Freud exégète prophétique du moindre récit de rêve - ce serait un bien triste et mesquin cauchemar, car je souhaite comme l'ont fait les plus sages, que tout s'arrête là d'un coup, repos, si la mort n'est rien . . .  (hors l'angoisse et la souffrance qu'il nous faut tant se peut éviter) et ne puis envisager ni l'errance des fantômes ni les morts qui nous parlent fût-ce par les coups d'une table qui frappe, ni la promesse fallacieuse d'une vie éternelle, euh, dites-moi . . , race mortelle et imparfaite, . . . en quoi mériterions-nous l'éternité ?),
donc reprenons, je voulais encore après cette longue halte et regroupement de mes affaires, je trie, je trie, changer de maison.

samedi 18 juillet 2020

Fibre 3.

Ainsi donc la Fibre arriva. (Suite et Fin, toujours provisoire dans ce genre de cas, ça a l'air plutôt fragile ce genre de truc)

((D'autant que comme vous aller voir, c'est totalement ubérisé autant que numérisé)).

Rendez-vous était pris, 8 heures du mat ils avaient dit;
pas de problème, quel que soit la saison, le mois, nous c'est avant 7 heures que nous sommes debout, dispos, heureux de nous lever pour dissiper toutes ces ankyloses et déplier ces muscles et nerfs rouillés, presque bloqués à force de se retourner sur la couche à dormir à moitié, pire que quand nous allions forcés, turbiner et marner au boulot sans être vraiment réveillés, les yeux pas en face, dans notre retraite où d'ailleurs nous avons tellement à faire en si peu de temps, et même, depuis peu, plutôt à 5 ou 6 heures du mat, d'autant que le petit matin au travers des branchages de notre nid de pierre, en ces jours est si beau, si frais, si rouge et blanc avant que le soleil perce au ras des lauriers odorants.
Lui, le plombier matinal, exact, était là (voir l'épisode précédent) mais pas le mec de la Fibre low-cost, faut être honnête, c'est pas le plus cher des fournisseurs d'accès que nous avons pris, mais films avec my canal et chromecast ou autre balanceur de série, tant de sources, et tout l'Internet en personne et annexes, couci couça, de toutes façons, je vous l'ai dit, c'est le quartier excentré qui veut ça et l'état des fils de cuivre qui barrent le ciel tout au long de ce foutu chemin de campagne maintenant tout habité de nouvelles maisons, tout ça marche à peu près quand même et le portable aussi, pour le même prix, en Europe sans frontière, dans son entièreté.
On attend donc, puis finalement on appelle un numéro qui sonne là-bas si loin, en Chine, au Vietnam ou au Maroc au moins, ou en banlieue de Tunis, on ne sait, et au troisième coup, pendant qu'on entend cette voix qui parle un admirable français empesé et scolaire, bien appris, plein d'égard pour le client, il apparaît ici, il va apparaître à la porte on nous dit, chez nous, aujourd'hui, personne n'avait prévenu, c'est, dit la voix qu'on sait lointaine mais si proche, trop polie pour ne pas être dressée à cette contrainte, que le mec prévu n'a pas pu venir (ah . . . . ces raccords et ces ponts de congés, pense-ton ! mal intentionnés) et la voix dit qu'ils envoient un autre mec plus tard, cet après-midi.
Rapide réflexion immédiate. Ouh  . . . là là ! nous pas crédules pour un sou, 14 juillet aidant, demain c'est foutu on pense . . .  et peut-être faut s'attendre à attendre encore; report de date, temps perdu, oubli, nécessaire rappel et si difficile et long d'avoir un interlocuteur . . .
mais non, à 4 heures de l'aprem, il appelle, lui en personne, l'homme du chantier, le Messie de la Fibre et dit qu'il arrive et ne se perd pas dans les garrigues et les chemins pas toujours bien indiqués et les GPS qui fourvoient, c'est que c'est un malin . . . et justement le voilà devant chez nous, pile.

Il est jeune, mince, agile, fait quelques grimaces, on ne sait si c'est à cause de l'heure ou du chantier en prévision.
Il me dit :
 - Bien ce quartier, c'est là que mon beau-frère a failli acheter un terrain.
Puis alors aussitôt il m'embauche et je lui apporte ma grande échelle - lui aurait dû revenir à l'atelier en chercher une car il a été saisi par la peau du cou pour le coup par son chef employeur, normalement il avait fini sa journée et il rentrait chez lui tranquille mais pour se faire bien voir il a dû accepter, un peu fatigué quand même mais plein d'allant, encore, et gentil, de bonne humeur.
Les minutes passent et les heures, nous travaillons ensemble - normalement pour faire ce boulot faudrait être au moins deux - à tirer les fils de la rue dans mon chez-moi, en utilisant une "aiguille", vous savez ce fil qu'on attache au fil existant pour tirer un nouveau fil dans la gaine en général étroite et un peu bouchée qui traverse mon devant de porte, où il faut mettre du savon et de l'eau pour faire glisser en tirant comme des malades et comme il se trouve comme de juste que lui doit surveiller pour pas dépasser la longueur exacte du fil, ne pas rater le bout, c'est moi qui tire, dedans puis après dans la rue au soleil, il crie :
- Tirez encore !
Et je tire comme un malade, j'en ai mal partout même aux mains de tirer comme un galérien, moi avant tout bon à rien et pas doué ni entraîné manuellement, sur ces aiguilles et ces fils coincés dans la gaine étroite et un peu tortueuse ou bouchée de terre, de sable, que sais-je ? . . . puis après faut raccorder au sommet du poteau à une sorte de pince puis de boîte et c'est lui qui y monte et comme elle est pas assez longue cette échelle, ma grande échelle, il la monte et la juche sur mon mur d'enceinte - j'habite une vraie forteresse entourée de ces murs de pierre si coquets, fait de ces pierres qu'on trouve amassées en couches et en strates, toutes préparées sans besoin de tailleur de pierre, dans la garrigue au point qu'elles remplacent la terre et pour qu'au moins ils servent à quelque chose ces ramassis de pierrailles, on en fait des murs de pierres, des cabanes de pierre appelées ici "capitelles", des tas énormes de pierre entre chaque  propriété appelés "clapas" et là, une fois en tas, ça sert de carrière pour faire d'autres murs de pierre.
Donc après avoir tiré, poussé, sué, tenu l'échelle, plié l'échelle qui renâcle, dont un barreau est cassé, fait arrêter les rares autos dans la rue, tiré des fils, raccordé au poteau suivant, au moins à 30 mètres de la maison, nous y voilà, il raccorde à la boîte plus grosse qui dispatche le truc. Il a de la sueur qui lui tombe dans l'oeil, l'homme de Meknès qui a 38 ans et un accent de banlieue de par-ici, et trois enfants, et qui bosse dur pour en sortir, car on a eu le temps de parler un peu, et même du 14 juillet qui n'aura pas lieu cette année et du coup je sais qu'il a la fibre aussi peu militaire que moi . . . car il est presque huit heures et au premier essai de connection ça ne marche pas.

Entretemps, un peu épuisé moi aussi quand même, je lui avais dit en rigolant :
- Vous savez mon âge ? La fibre exploite les jeunes et aussi les vieillards. c'est honteux !
Il m'avait répondu :
- On va leur demander un salaire pour vous, promis, avec une prime spéciale.
Mais ce n'était plus le moment de rigoler.

Oui, nous en sommes là, il me dit après un appel ou deux à la centrale, qu'il ne peut pas continuer, qu'il doit partir, qu'il reviendra. Je vois qu'il est mal. Et je comprends ça.

Mais nous avions eu le temps un peu, entre deux efforts et interpellations au bout de ces fils transmetteurs de fibre (la Fibre ça s'appelle ainsi car c'est constitué quand on coupe le fil et qu'on la déploie, de réseaux de toutes les couleurs de l'iris en ailes de papillon éclaté) de parler des 70 portes du rempart de Meknès, des colonnes de Volubilis et de son fils ainé qui voudrait bien être ingénieur ou s'occuper de préserver la nature, il ne sait pas trop.

Alors je lui dis OK, mais on fait un dernier essai, si on revenait voir la boîte de l'autre poteau, j'ai vu que le branchement était compliqué et qu'une goutte de sueur vous est tombé dans l'oeil.
Il me regarde un instant.
Il rit, et c'était ça.
Un petit coup d'échelle et ça marche après vérification de ç'te p *** de fibre !

mercredi 15 juillet 2020

Fibre 2.

Le 13 arrive au matin tôt le plombier. Le 13 juillet de l'année Covid, c'est à dire hier ou avant hier.
Il était grand, il était gros, bien moulé dans son maillot, muscles tatoués  débordant de toutes part, il avait garé son énorme fourgon dans notre enclos, bien au milieu, ainsi personne pendant l'opération à suivre n'aurait pu sortir, il avait aussitôt attaqué le béton de sa grosse foreuse sous le tableau distributeur pour raccorder le nouveau cumulus électrique en remplacement du vieux chauffe-eau tout gaz dont le ventre s'était ouvert à force de services rendus à plusieurs familles et générations; bien avant midi il avait fini, balayé, remis tout en place et l'eau du gros nouveau chauffe-bains tiédissait déjà quand le temps était venu déjà de cuire les plats du déjeuner de midi, mais voilà les plaques refusaient de chauffer. Il a fallu ensuite manger froid et trouver l'endroit où l'alimentation de la cuisson avait été coupée, mais comme tout est bien qui finit bien, nous étions assez contents, en ce 13 juillet d'une année pourrie où, vraisemblablement, à moins d'une seconde vague de méchants virus suractivés ou mutés tout commencerait à aller moins mal.
C'était sans compter sur l'arrivée de la fibre.

mardi 14 juillet 2020

F de fibre.

En ce 13 juillet précédant une fête nationale d'autant moins militarisée (malgré notre chant patriotique si sanguinaire et guerrier) que la mise au pas des citoyens pour cause sanitaire d'épidémie mondiale y avait conduit, ici comme ailleurs, le pays tout entier à être régenté manu militari, confiné, surveillé, traqué, sévèrement contrôlé, à l'exception de quelques prisonniers qui eux avaient dû être élargis pour éviter leur contamination en masse dans les prisons surpeuplées, chacun s'apprêtait sans bal et sans feu d'artifice, à vivre une morne fête républicaine désembastillée. C'est en ce jour morose qu'on m'a proposé, incroyable magie du chiffre 13, et de venir changer un chauffe-eau mort de sa belle mort et de venir me raccorder à la fibre. Diable, on ne renonce pas à pareille aubaine, le chauffagiste-plombier ayant d'abord envisagé de me faire attendre encore après la Fête et l'ADSL de mon quartier pourtant peu excentrique bien que boisé ayant presque rendu l'âme à force de faiblesses, de coupures et de halètements dus aux lignes aériennes maintes fois sectionnées, renouées et corrodées, composées de fils téléphoniques hors d'âge qu'elles étaient et sont encore.

dimanche 12 juillet 2020

J de jardin.

(Ne sachant pas, plus . . . si j'ai déjà fait un bout de post sur jardin, j'y reviendrai sans tarder, ma vie est en pointillés et reprises entre-coupées de jachères et de jours jamais refermés, surtout maintenant que je dors bien mais peu, j'essaie d'y mettre un ordre dans l'après coup du jaillissement.)
Le rapport que j'ai au jardin est tout aussi libre, paresseux, tronçonné, inconstant et apparemment dévoyé que ma façon de raconter tout ça. Ne vous y fiez pas, ça relève bien d'un rêve, d'un projet  naïf et grandiose, d'une prétention inouïe, d'un risible désir d'infinitude. Et tout ça doit, devra bien, se raccorder un jour bon gré mal gré (conscience obsessive mais pas angoissante de ce terme ultime) ne serait-ce que par interruption et abandon volontaire ou non. Grand risque d'être emporté ailleurs et peut-être sous terre ou déjà réduit en cendres par le feu infernal et crématoire. (Je l'ai pensé et dit plusieurs fois, fantasme de me voir enterré en squelette ou en poudre au fond de mon jardin.)
C'est dire que chaque jour où j'y suis (encore) présent, dans ce jardin clos de murs de pierre, ouvert sur un côté vers le fond, j'y vais, généralement - généralement très tôt le matin, dans la fraîcheur du vent - sans savoir par avance ce que je vais y glaner, creuser, désherber, tailler, empierrer, carrément couper, abattre, redessiner, cueillir, planter peut-être encore bien qu'il soit déjà bourré comme un dessin de fou, ou découvrir et voir ce que je n'y avais pas encore vu. Ce matin par exemple j'ai cueilli quelques touffes et branches de plans de lauriers, deux ou trois pieds qui sont allés fleurir et chercher plus haut, trop haut, la lumière, je ne vois pas bien tellement c'est enchevêtré ces bouquets d'un rose blanc rare, cachées derrière des bambous foisonnants, envahissants, eux-mêmes poussés derrière l'abricotier mort et bien mort et derrière son frère puissant, l'abricotier malade et retaillé très sévère qui nous a fait cette année au bout de ses branches sciées, dix abricots gros et terriblement parfumés, à côté du prunier sauvage qui lui aussi monté en l'air à côté du vieux cyprés déplumé, produit chaque année cinquante ou cent prunes qui ressemblent bien que trop acidulées, à de petites merveilles de mirabelles vermeilles.

vendredi 10 juillet 2020

S de show

Bien sûr dans la société de spectacle il était concevable et attendu que chacun allait faire son show.
Mais à ce point.
Que la modestie, l'effacement, l'enracinement dans la banalité quotidienne autant ou plus que l'insignifiance passe-partout deviennent des arguments de vente, de diffusion, de pub, pour le tout venant bâclé, c'était bigrement programmé.
Que l'hyper-flagornerie, la vulgaire imitation médiocre, la lourdeur répétitive triomphent c'était dans les normes de nos sociétés depuis l'invention du verre, des maisons à étage ou peut-être même du feu et ça évite maintenant d'écrire des dialogues puisque de toutes façons pour faire vrai on filme flou et on salope le son, de toutes façons n'ayant rien à dire.
Mais à quoi bon alors rendre spectaculaire le non-montrable ?
Grande lassitude du Show.
Je ferme les yeux et bouche mes oreilles et me fais moi-même rien dans le rien, seul moyen d'en réchapper.
N'ai-je pas pourtant encore trouvé le moyen, banalement banal, d'en faire trop ?