vendredi 25 juin 2021

Quadrinhos. Langue (suite, oui oui, ça suit).


 En portugais BD se dit HQ, soit historias em quadrinhos et pour faire court : "quadrinhos". Un quadrinho, diminutif de quadro c'est un petit tableau. C'est qu'en effet la BD, quelle que soit sa terre d'élection ou de croissance et développement, se lit comme un tableau, ce qui est déjà complexe, mais en tant que bande et histoire, elle se lit surtout comme une suite de tableaux qui ont chacun leur perspective, leur angle, leur ligne de fuite . . . éventuellement, leur équilibre et leur graphisme, mais surtout-surtout, qui s'emboîtent dans une suite qui pourrait faire penser plus au cinéma qu'à la littérature si elle ne se figeait en plans successifs, en quelque sorte, en film décomposé presque image par image ou au moins plan par plan. Donc lire une BD, HQ en brésilien, c'est plonger dans cet univers nouveau, finalement peu connu hors du Brésil, immobile et mis en mouvement, analytique et successif, en pensant que l'auteur s'il n'y en a qu'un, scénariste et dessinateur tout à la fois, s'y est spécialement appliqué, a souvent longuement médité et travaillé sur cette succession d'images où le dessin importe généralement (pas toujours) plus que les mots et sur son rendu visuel de telle sorte que s'impose un sens de lecture, une vision neuve, un monde ou un petit univers personnel inattendu et parfois un message qui crève les yeux, d'autant plus qu'il a dû travailler dans des conditions souvent difficiles. 

Or, une anthologie qui essaie de rendre compte de la créativité actuelle d'un pays, c'est encore plus compliqué à monter, à ordonner, à mettre en oeuvre, quel que soit le pays et d'autant plus si la créativité de ce pays a été souvent brimée, bridée, bafouée délibérément. C'est pourtant le cadeau très réussi que vient de nous faire le collectif MARSAM, marsam.graphics, atelier international ayant son siège à Angoulême.

Surtout, reprenons, si ce pays en crise, au point d'être dépourvu d'éditeurs ou presque, aussi belle que soit sa langue, reste en dépit de tout et par force contraignante, un pays de " j e i t o" (mot intraduisible qu'il faut apprendre dés qu'on pose les pieds au Brésil, c'est le chemin, la manière, la voie astucieuse, l'issue prévisible ou non, et même parfois l'inspiration du dernier moment, fondée sur une longue pratique et la débrouille du savant bricoleur (mot non péjoratif, soyons clair, Claude Lévi-Strauss disait comme Gaston Bachelard que l'invention est bricolage et il aurait fallu voir Picasso "bricoler" avec les arrêtes du poisson sorti de la mer qu'il venait de manger à Vallauris)  ne manquant pas de génie).

Or, nous y voilà, ce recueil de quadrinhos jailli d'expériences diverses, a capté des voies multiples de la création contemporaine dans ce pays-continent de tous les excès de richesse et de pauvreté et réussit précisément à mettre sous les yeux du lecteur francophone une explosion de "jeitos", intimistes ou tendant aussi bien à l'universel qu'au particulier révélateur, 

en s'ouvrant sur les aventures ultra-synthétiques au graphisme minimaliste du bien triste héros qui, sous la plume ou le pinceau de Stêvz, se nomme Brésil comme le pays ou, prononcé en brésilien "Brasiou",

 et se clot . . . ou s'ouvre à nouveau  à la fin, en feu d'artifice cosmique, éblouissant de noirs illuminés d'éclairs, chez Mateus Acioli dans "Sans Titre" *.

De quoi faire une expérience, un parcours, une plongée de lecture d'une surprenante vigueur.

* Note en tout petit et purement privée : incroyable mais dans ce dernier magnifique graphisme, j'ai cru reconnaître, en détail d'image, le pilier d'une maison oui en effet incroyable où j'ai vraiment vécu, ou alors ça y ressemble assez, au Leme, quartier emblématique de Rio, il y a maintenant . . . 50 ans.

 

lundi 21 juin 2021

Langue.

 En une seule profération, mot étonnant, impressionnant, mouillé et tellement premier, modulé, venu du plus profond, organe et produit, arme cachée, trésor, patrimoine pointu, transmis, liquide et souffle joueur de sons, orgue, organe du goût, contact, tendu, labiales, dentales, voyelles coulant, pont.

Langue de sable, prendre langue, apprendre des langues, elle a roulé sa langue dans ma bouche, langue qu'on peut tirer, telle une limace ou rendre agile, dressée, courante, véloce plume cursive, sentir étrangère ou maternelle . . . enrichir, expurger, fluidifier, chevaucher.

Bien qu'ayant vécu souvent à l'extérieur de l'Hexagone je sais peu de langues et finalement les entend mais, sauf une ou deux, me sens coupable de les pratique assez mal. Eviter à tout prix de les écorcher. S'abstenir, écouter. Ou prendre plaisir à s'y rouler vif une fois franchi un seuil d'agilité.

Faute d'avoir passé son doigt au bon endroit, c'est la faute au toubib qui a aidé ma mère à me mettre au monde dans sa maison, loin de l'hôpital, comme on faisait autrefois, à domicile, je suis resté longtemps avec, au sens propre, un fil attaché, indocile, ou du moins une partie de fil sous la langue, peu bavard, ce qui ne m'empêchait nullement de prononcer bien et personne ne s'en apercevait, si ce n'est un dentiste qui, plus tard, s'en avisant y a remédié et a tranché dans le vif, habilement, comme on tranche un fil de bavette d'aloyau. Mais j'ai toujours du mal avec le double R espagnol, langue que j'aime pourtant, peut-être est-ce sans rapport, je le crois, même maintenant que je sais que Cortázar le grand, l'inventif, le traducteur polyglotte, inexplicablement, ne les prononçait pas.

Peut-être, mais . . . je ne sais, est-ce pour compenser ce mutisme des premiers jours qu'il m'a fallu ensuite m'engager dans des métiers de verbe, discours, plaidoyer, raisonnement, rhétorique, cours, vers, métiers de paroles, aphorismes, commentaires, contes et calembours. Qu'il m'en est resté si fort, trop fort peut-être, ce désir de participer, de parler.

Mais, oui,  je sais pourquoi j'aime la langue portugaise du Brésil.

Comme si nous n'avions pas assez de travail en prépa, on nous autorisait à apprendre, avec cours facultatifs dispensés en petit comité, une langue supplémentaire s'ajoutant à celles que nous avions choisies, latin et castillan pour moi. Il se trouvait que la prof de portugais était plus qu'attirante et charmante et c'était une raison suffisante pour la choisir, cette langue, en matière d'option et loisir. Je n'imaginais pas la suite de cet engagement que je croyais subsidiaire. Ensuite tout s'est enchaîné, Camoens, Pessoa, cinéma brésilien au moment du Cinema Novo, coup de foudre, jeune fiancée rencontrée à la fac de Toulouse et amoureuse de lusophonie, poursuite, rupture puis poste au Brésil, macumbas, candomblés, sambas, charme et langueur, violence crue de cette capitale des moiteurs avec ses nuits secrètes et aussi ses classiques, c'était une très grande époque, Jorge Amado, l'Orfeu negro de l'autre Camus, Vinicius de Moraes bien bien sûr, un des pères de tout ça, vieux déjà, chantant et parlant avec son verre de whisky sur scène, tous ces chanteurs inspirés du peuple riant et souffrant, bercé en douceur, sans illusion, Gilberto Gil, Toquinho, Chico Buarque, Maria Bêthania, cris et frictions de la cuica et bien d'autres, chanteurs du Nordeste ou du semi désertique Ceara.

Cette chaleur lourde de Rio ou Salvador, cette langue douce, liquide, directe, raccourcie, économisant la fatigue, faite pour danser, le tour était joué, j'étais ensorcelé. J'aurais dû rester à Rio encore capitale de fait, plus longtemps. 

Une capitale où on pouvait se promener en maillot de bain, peau à nu, indifférent aux tenues, impudique et cruelle, étouffante, infernale, labyrinthique et ouverte. Accent carioca à nul autre pareil, ville où se trouve le plus émouvant temple positiviste que j'ai connu. A deux pas de la plage, un grand noir porte une bouteille de butane sur la tête, pauvre, athlétique, désinvolte. Le bus est bondé, le chauffeur est ivre de fatigue, les voitures foncent comme au Grand Prix. 

samedi 12 juin 2021

Sale Huppe ! Magnifique messagère entre le roi Salomon et la reine de Saba.

Ce matin, combat de huppes en l'air, 

antiques guerriers casqués de cimiers, rustiques, vigoureux et magnifiques, là-haut,

profil en peintes poteries contrastées du Péloponnèse volant haut.

Tout ça pour pousser un upupa bien mâle et diffusé sans possible dupe, là-haut,

cri et nom latin, nom imité du cri, venue d'Afrique

s'imposer en haut, tout là-haut du plus haut perchoir.



L'une plus jaune orangé que l'autre, plus grisée et légèrement plus petite, vouée

 pour l'instant à déchoir,

dessin noir et blanc plus éclatant sur les ailes du guerrier le plus coloré, 

crête de plumes redressées, franche, belliqueux,

menaçant, attaquant et poursuivant, coups d'ailes, au loin, en vol, son vassal, voleur, velléitaire.

Tout ça pour la possession provisoire de la cime du vieux cèdre et de son fief aux grands alentours et

tout ça malgré machines et constructions nouvelles détruisant son territoire ancestral autour.

Jusques-à quand?

Note : Allons-nous un jour être dépouillés de ce puant porte-bonheur à réputation de mal odorant,  dénommé salle huppe ou même salope parfois . .  . si aimé ailleurs et si beau là haut, si surprenant au sol, gobant lézards, fourmis, vers, grillons, criquets, escargots ?

mardi 1 juin 2021

Feuilleton (qu'est-ce qu'un ?).

 Bien malin qui le dirait. Mais c'est impossible.

Car un feuilleton a d'abord été avant tout un truc collé en bas du journal comme un appendice.

On sait bien que ces feuilles pliées en feuillet, en petit journal ou mini-livre (quelquefois collées au bas des cartes) comme complément que le lecteur, qu'il soit littéraire, juriste ( ah . . déjà dans le code civil les notes minuscules ayant trait à la jurisprudence, quelle affaire !), critique politique (à l'affut des histoires annexes) ou guerrier (dans le cas d'une carte militaire stratégique méritant inventaire complémentaire des forces en présence ou des mouvements secondaires des troupes non inscrits sur la carte), pourra prendre un plaisir marginal, ajouté, rapporté, à lire "en supplément", par surcroit, ce truc en rab.

Mais ces feuillets qu'on feuillette en feuilleton ont peut-être aussi à voir avec la menuiserie, le bois devient papier et s'effeuille, est-ce une affaire ? la patisserie, ah ! le mille-feuilles de mon enfance est lié au souvenir du sacré saint-honoré du dimanche que j'allais chercher en même temps que les tickets du cinéma . . . , la zoologie ou l'étude des roches, la nature est un livre, air connu, si on se rapporte à l'usage extensif du mot.

On voit la surface occupée par la métaphore au-delà du pur littéraire et d'ailleurs elle a gagné aujourd'hui, sous un autre nom, après avoir perdu bien des batailles sur le champ de la littérature pure et populaire, l'espace fascinant et non moins répandu et envahi du cinéma sous le nom de séries.

Impossible donc de définir simplement un tel dragon renaissant,  multiforme, envahissant.

Je m'en tiendrai à la première intuition :

Un feuilleton c'est un truc qui est collé en bas du système, un truc réputé un peu inutile, ou totalement superflu, hors de propos dans la plupart des cas et ressemblant à cette petite queue enroulée comme celle d'un cochon qi se tient au bas de l'intestin humain, cet "organe" dont on ne sait presque rien depuis Aristote ou Darwin, sauf qu'il est peut-être un résidu d'une époque où le pré-homme était herbivore, mangeait parfois et faute de mieux des écorces d'arbre, déjà bien avant d'en faire des livres, et que tout bien pesé, il vaut mieux, quand on le peut, ne pas l'enlever . . . même et surtout préventivement bien qu'il puisse provoquer on ne sait trop pourquoi, dans certains cas,  une crise infectieuse grave, auquel cas . . . .

Et voilà qu'on lui subodore aujourd'hui plus qu'autrefois des vertus immunitaires de réparateur d'attaques microbiennes . . . 

Bref ce truc est un truc plus que bizarre, absolument contradictoire et qui parfois se donne plus d'importance qu'il n'en a.

N'insistons pas, car je ne suis pas sûr qu'un feuilleton "littéraire" (disons qui se voudrait tel avec toute l'ambiguïté nécessaire et voulue) ce soit un truc, drôle de truc, pas si différent du dit "appendice" éternel objet des conjectures des biologistes aussi bien que provocateur . . . d' appendicites.

Note en bas de page : imaginez donc mon réel à moi, mon exil de chat perché, écrivailleur maladroit et orphelin, n'ayant lu qu'un peu Tintin et Bibi Fricotin, toujours un peu à côté sinon réellement ailleurs, mon "vécu" et mon "ressenti" d'adopté bien qu'hors de la couvée, puisque je me suis compromis, ignorant tout de ce cercle et de son exubérante générosité, à être feuilletoniste bénévole et appendice, à raconter mes histoires qui n'ont rien à voir, sur un média-atelier où n'apparaissent par appel et vocation que des gens d'une toute autre espèce, graphistes, scénaristes, critiques, créateurs, historiens, quelquefois tout à la fois, de ce huitième art qui implique au plus haut le dessin que je ne pratique pas.