lundi 31 janvier 2022

Merle.

 Eh bien ça y est, ou du moins, c'est parti.

Certains jours de très léger redoux 

il avait déjà chanté quelques trilles.

Ce matin, c'est décidé, il faut se préparer

à l'encore si lointain renouveau, 

les bourgeons sont prêts et nous ?

J'avoue que ce rythme régulier des quatre saisons, si long et scandé malgré le bouleversement climatique amorcé, ne m'a jamais manqué,

d'ailleurs remplacé qu'il était par d'autres, de chaleurs humides, moites, de pluies et orages quotidiens ou de disparition brutale du ciel irrémédiablement bleu, comme à Dakar, à peine un seul mois de l'année avec inondation des rues 

ou cette apparition du Christ du Corcovado dans les nuages, tout ou presque le court hiver du mois d'août à Rio, 

ou ces 14 juillet glacés si on restait dehors trop longtemps à Lima, et ces changements de saison et de climat dont on pouvait profiter en descendant si rapidement des 2.850 mètres ou plus 

dans les nouveaux quartiers de Quito 

jusqu'à l'océan aux allures caraïbes,

non, ce rythme tempéré ne m'a jamais vraiment manqué et je le trouve 

ce rythme "tempéré", d'autant plus long maintenant 

en règne médicalisé et covidé, 

étiré en temps interminable, 

dissolvant tout allant, 

paralysant comme un carcan et néanmoins raccourci 

de nos vies diluées aussi et

en attente de changements reportés

et ressassements du passé sans surprise.



dimanche 30 janvier 2022

E de Escobarder.

 Comme le fait remarquer Littré il a fallu qu'on ajoute un D à ce pauvre Escobar pour faire un adjectif escobardé tiré d'un verbe, par exemple chez Diderot ou D'Alembert

ou même un T chez Pascal  qui le cite dans les Pensées et 66 fois dans les Provinciales pour faire escobartin / ine.

Sous cette espèce à peine génétiquement modifiée je vous incite à réhabiliter cette petite série de termes très injustement tombés en désuétude.

C'est à dire qu'il faut le faire et ça le fait très bien pour renvoyer à un être, un jugement, une action  qui se rapporterait non pas à Pablo (Escobar), celui qui posait devant la Maison Blanche et avait construit un zoo dont les hippopotames échappés ont envahi maintenant les berges et le lit du rio Magdalena en Colombie au point qu'il a fallu décider de les stériliser, mais au Jésuite du même nom,  prénommé Antonio, contemporain et tête de turc de Pascal, Blaise, qui voit en lui un père majeur du discours jésuitique et casuistique au sens de fallacieux, mensonger, excessivement laxiste au point d'en devenir coupable et d'inciter le pécheur à pécher, voire le criminel à persévérer dans le crime.

samedi 29 janvier 2022

La piste de celui ou celle qui laisse des livres neufs.

 Je suis sur la piste de celui ou celle qui laisse des livres neufs dans la boîte à livres.

Nous faisons un potlatch. Je décharge beaucoup ma (mes) bibliothèque(s), actuellement.

Il / elle lit aussi un peu tout et n'importe quoi. Y compris des livres de recherche universitaire, mais ce qui m'étonne, il ne les garde pas (je parle de ceux-là, certains livres inoubliables, justement il les aurait trop lus ?), même les textes fondamentaux, les éditions critiques annotées, il vient de laisser un magnifique ouvrage sur L'interprétation des Rêves de Freud.

Est-ce elle / lui qui a été en vacances en Irlande récemment ? Il a laissé un guide joliment annoté au feutre. Ecriture sympa très lisible.

vendredi 28 janvier 2022

Incroyable labyrinthe des chemins de Garrigue.

Au hasard d'explorations fantasques j'aime aller bien au-delà du très noble jardin de la Fontaine.

J'aime parcourir à pied ou autrement, des chemins de garrigue, raccourcis invraisemblables, connus seulement des riverains, vrais chemins de petite montagne, inattendus, entre les collines et entre les grands axes de circulation qui coupent la ville en étoile à six braches, chemins secrets qui mènent à des résidus de bois et maquis peuplés, un peu comme sur les hauteurs de Sète mais beaucoup plus étendus, ne dominant ici que des vallons et la plaine bleue au loin et ces tours disséminées autour de la ville, résidu de l'accueil des rapatriés d'Algérie accueillant, depuis et toujours, la foule des migrants qui n'ont pas manqué de suivre, lieux perchés mais très habités, humanisés depuis longtemps, extension de la cité ancienne depuis l'édification  de ces cabanons des artisans, ouvriers, chasseurs, gagne petits, menu peuple laborieux, il y a cent ou deux cents ans, qu'on nomme ici mazets, entourés de tas de pierres et parfois de plus anciennes constructions en pierre sèche aux toits vouté destinées à protéger  des violents orages des olives cueillies ou quelques moutons. Pendant ce temps la ville continue à étouffer un peu, à construire de nouveaux logements, à s'étendre dans et  surtout autour de son "écusson" (les boulevards qui ont remplacé comme ailleurs les remparts médiévaux) malgré les nombreuses coulées d'eau,  petites cascades, places et placettes, édifices étendus sur plus de deux millénaires qui modèlent un espace bien structuré et arboré, patiné, blanchi et bichonné par les restaurateurs en quête de reconnaissance universelle pour ce patrimoine.

Ainsi il m'arrive d'échapper des premiers et longs chemins encore et plus que jamais limités et encadrés de bordures de trottoir, hors agglomération, quand il n'y a  plus pourtant ni égouts ni éclairage public, ni réel trottoir, tels qu'ils m'ont toujours paru être, absurde, incommode et dangereuse gabegie de travaux inutiles réalisés pour ne satisfaire qu'en apparence les rares promeneurs excentrés.  

En effet, ces bordures délimitent et amputent la route souvent déjà trop étroite pour que se croisent deux véhicules, leur interdit d'empiéter sur le bas-côté, à plus forte raison d'arrêter un quatre roues, même si ce n'est pas un énorme engin, sans obstruer le passage complètement, même pour les deux roues, sans pour autant délimiter un espace piéton ou cycliste utilisable. Inégaux, remplis de végétation, de gros graviers, de trous, de boue, de poussière, ces espaces  rognés sur les chemins sont       de trop.

Il m'arrive donc, en zone encore à demi urbaine, d'échapper à ces semblants d'urbanité . . ;   


. . . mais le sommet de l'exploration et de la découverte, c'est un peu vrai, car j'ai pour plusieurs raisons réduit mon champ, passer, une fois perdu ou privatisé le chemin                  déjà perdu, y compris du côté du promontoire où subsiste encore un pan du rempart romain, car les maisons romaines allaient bien au-delà des quartiers du Moyen-Age, c'est remonter ces oueds à sec mais envahis de buissons et taillis qui relient  les anciens chemins charretiers entre les collines et retrouver, au débouché d'un semblant de barrage ou de fosse de retenue des eaux, la piste envisagée. 

On peut même y , dans tout ce labyrinthe proche, observer au retour dans la cité, ou y pratiquer, d'antiques politesses de conducteurs qui se garent dans les entrées de maisons ou de jardins pour vous laisser passer, dans l'interruption provisoire des bordures, ainsi que des fous qui y courent en rallye improvisé au risque d'y écraser des vieux ou d'y enfoncer les portes ou les grilles des jardins, d'où peut-être la nécessité, aujourd'hui, temps de surpression et stress des villes, des bordures. Allez-y après tout roulez à fond et évitez de taper vos conjoint/e/s.

Tiens hier même le minibus qui passe sans arrêt à vide toute la journée, ne transportant pourtant des enfants qui vont à l'école que le matin et ne reviennent qu'en fin d'après midi, personne d'autre que je remarque et sache, m'a quasi arraché la joue de son rétroviseur en passant si vite, était-il en retard sur son imbécile horaire ? alors que j'était bien plaqué contre un mur de ciment peint et à moitié protégé par un poteau téléphonique en sapin.

lundi 24 janvier 2022

C de calamités prévisibles ou pas.

Calamités, ruptures du rythme et déconvenues, le quotidien en est tissé. Autant s'y préparer. On nous en promet quelques unes. De plus, elles sont souvent imprévisibles.

En ce qui me concerne, autant dire et pourrait-on croire à première vue que je les ai cherchées, allant dans les pays où j'allais. 

Qu'on ne me prenne pas pour autant pour une sorte de chercheur de typhons, de tempêtes ou de cyclones.

(D'autant que n'étant pas fils d'archevêque, malgré mon irréprochable tableau d'honneur, j'avais tendance, sachant qu'il n'y aurait pas d'autre offre, telle est la dure loi, à prendre ce qu'on me proposait comme lieu de parachutage.)

Pas vraiment, non, pas vraiment storm hunter,

j'ai cherché plutôt à éviter l'ennui répétitif de nos pays supposés tempérés et policés, tout en passant entre les gouttes brûlantes, explosives et les bourrasques les plus cinglantes, rudes et glacées du temps, curieux d'expérimenter cette liberté qu'on pouvait peut-être trouver dans ces foutus pays-volcans, pays non éteints, déployant des énergies et des  audaces perdues sur la croute de notre vieille Europe cacochyme et repliée sur les plaies à peine sèches de ses petits et grands malheurs.

A vrai dire quand je suis parti, accompagné de femme et enfant, au Brésil pour un poste à Rio j'ai peut-être fait des envieux mais on ( on : ma grande famille enracinée, mes collègues, mes amis assez nombreux dans la ville où j'étais implanté, sauf mes proches les plus proches) m'a le plus souvent demandé ce que j'allais faire dans un pays aussi incertain, chaud, insalubre, sauvage et déraisonnable en résumé, déraisonnable comme j'étais sans doute moi-même de vouloir partir alors que j'avais une "carrière" ou du moins une voie, et ma compagne aussi, toute tracée et jugée un tant soit peu (promesses ! promesses !) prometteuse dans la France profonde et somme toute privilégiée où j'aurais pu construire filière et chaumière et m'enkyster . . . ; 

mais c'était justement cette énorme et fluctuante folie qui m'attirait, hors barrières et prévisions, qui nous attirait, ma compagne et moi, une sorte de trop plein d'espoir sans doute.

Alors à ce jour, je ne sais pas où nous allons en termes de cataclysmes annoncés ou préfigurés, ni ici ni ailleurs, mais voilà, entre mille fluctuations, entre craquements annonciateurs, sans vouloir jouer les Cassandre nullement, le pire n'étant jamais sûr et les prévisions toujours à côté de la plaque tectonique, 

voici ce que nous avons déjà vécu par exemple à Lima, capitale développée, équipée de toutes sortes de services, de traditions originales, tête d'un pays démocratique, pourvue de brillantes universités, d'un peuple  multiculturel, patient et travailleur, ayant supporté déjà de terribles bouleversements, aspirant à la paix, producteur de richesses en tous genres y compris sur le plan des arts, des lettres et subtils ou surprenants divertissements. . . .

. . . et en rupture totale avec la tranquillité relative ou apparente en surface, déjà très relative avec ses coupures géantes d'électricité, ce plus ou moins lointain fond très inquiétant et inextinguible de luttes révolutionnaires nées des, reproduites depuis la conquête et aggravées, inégalités, dans la Sierra, les forêts et vallées perdues exploitées comme colonies, qui parfois se rapprochait des centres de décision finalement mal protégés, enfoncés dans le souvenir d'un Pérou riche et idyllique n'ayant jamais vraiment existé (voir Sébastien Salazar Bondy) tranquillité reposant sur le mol oreiller de l'économie anémiée par la difficulté des importations, mais subsistante en survie et sur le champ miné des énormes problèmes sociaux, structurels, architecturés, énormes à l'échelle de tout le continent mais ici exacerbés, envenimés par mille tentatives putschistes et  populistes.

Cette image de deux revues de l'époque rend  très vaguement compte, par exemple, de deux événements déstabilisateurs :


La première est l'image d'un défilé organisé dans l'espace même de leur lieu de détention et en uniforme spécial de parade, des membres de Sentier Lumineux incarcérés et supposés surveillés par une élite de gardiens, dans une prison de très haute sécurité saturée et réservée à ces captifs spéciaux accusés d'attentats et assassinats, sous le règne de Fujimori. (parenthèse : le même phénomène s'était déjà produit lors du premier règne d'Alan Garcia qui, déjà, pour bien montrer qu'il était maître de la situation et ceci pendant une réunion de l'Internationale Socialiste au Pérou où se trouvaient présents quelques éminents responsales français, avait fait ou laissé intervenir  (il niera toujours le fait d'avoir été le commanditaire de cet acte) un corps spécial de l'infanterie de marine pour assassiner, certains d'une balle dans la nuque, les mutinés).

La deuxième essaie de symboliser et manifeste en revue-objet l'une des phases de l'inflation atteignant, mais ces chiffres ne sont rien comparés aux déflagrations sociales produites chez les miséreux déjà laminés,
au point de pratiquement puis réellement démonétiser l'Inti, pièces et billets 
(ici un vrai billet signifiant bien l'abandon et le désastre de toute "économie" au sens de possible mise de côté de maigres réserves pour affronter le lendemain, est collé sur chaque couverture de ce numéro du 31 juillet 1989 passé du prix de quelques intis à la valeur plus symbolique que réelle de 5.000 Intis, dans une époque où la valeur accolée aux objets n'avait plus aucun sens) . . . 
et pour être précis :

inflation calculée au taux de 2.776 % en 1989, 
                                              7.649 % en 1990.

P.S. : Le directeur de la Banque de Lima, notre principal sponsor pour quelques activités culturelles de niveaux variés, dont un tout petit livre d'exercices de français adapté au public local, intitulé "Vitamines" et publié par nos( nos = sous l'égide des meilleurs grammairiens présents parmi nous, connaisseurs aussi des subtilité du parlé local) soins ( de quel dérisoire souci pouvait alors relever la volonté d'apprendre impeccablement le français ? . . . mais légitime désir, sinon d'expatriation, au moins d'ascension sociale, dans les classes moyennes spoliées d'avenir, principale "clientèle" demanderesse de ces cours ! ), banque alors sous la coupe de la BNP française, m'avait dit en guise d'ironique clin d'œil : -  "vous qui avez vécu l'inflation au Congo-alors-Zaïre, vous allez pouvoir nous donner quelques conseils".
En effet je lui avais raconté comment l'action culturelle mais pas seulement !  toute transaction et paiement de salaire, au Congo avait dû survivre en utilisant des billets en très petites coupure de monnaie en "Zaïres", unité monétaire nationale, d'une valeur de quelques centimes, seuls billets, les plus petits, non démonétisés, emportés dans de grosses valises, puis finalement dans des sacs de jute, en attendant l'impression de la nouvelle monnaie, toujours à l'effigie de Mobutu, pendant toute une période allant de Noël à Pâques, l'opération de démonétisation de tous les billets supérieurs à 1 Zaïre ayant été décidée dans le plus grand secret à Noël pour prendre de court les gros investisseurs dans le pays, absents pour les fêtes . . . selon le discours officiel du régime.

Post- P.S. : J'ai gardé de cette époque, autant par esprit de collection que par goût des vanités et surtout pour conforter ma réputation d'expert (critique) en économie non productive quelques liasses  démonétisées bien que quasi neuves et donc non utilisées d'Intis et de Zaïres au fond de mon armoire. Si  "L'Horreur économique" est le titre d'un livre qui finalement m'avait peu marqué et déçu c'est bien pourtant, pourtant ! une réalité bien tangible.

dimanche 23 janvier 2022

Défaut d'escalier.

 Ce matin je me suis réveillé après avoir été assez surpris de trouver, 

dissimulé derrière un vieux mur en ruines, sur la terrasse formant un beau plateau au sommet, dans cette tour, immeuble en partie troglodyte où je me souvenais être monté par l'extérieur, très périlleusement, escaladant le mur à pic mais plein de trous et bosses de sa façade arrondie en  demi-cercle d'un côté et vaguement triangulée du côté où il rejoignait le roc auquel il était accolé, m'accrochant  sans trop de difficultés, cependant, aux reliefs que formaient les pierres, quelques briques et quelques rochers rouges affleurant, sur une hauteur vertigineuse, en surplomb du paysage fait de marais, 

un ascenseur.

Si j'essaie de distinguer les bribes de souvenirs qui ont été utilisés par cette mystérieuse machine intérieure à imaginer que nous portons tous en nous, en ce sens ni plus ni moins exceptionnels que bien d'autres êtres vivants sauvages ou domestiqués, c'était, cette tour qui n'existe pas, un édifice manifestement construit, mais pas seulement, avec des images et impressions issus de diverses forteresses longuement visitées. Tour du chateau du Suquet dominant le musée archéologique et la baie superbe qui fut celle d'un petit port de pêche où j'ai souvent traîné, tour Carbonnière près de Saint Laurent d'Aigouze,  si singulière dans un paysage plat à perte de vue d'où ont disparu  depuis si longtemps les craintes d'invasion hostiles par terre ou par mer et sans doute aussi d'autres lieux plus difficiles à identifier mais enfouis depuis huit décades dans cette mémoire qui encombre et nourrit mes rêves.

A y réfléchir, rien d'étonnant à la matinale irruption de ce rêve dans ma conscience éveillée. 

Il moque, ce rêve bien loin de la réalité - je ne fais et n'ai jamais fait d'ascension mains nues de monument public - mon absurde nature de trimeur, bosseur capricieux et infatigable. Toujours prêt, et quelquefois au prix d'efforts inattendus, à rêvasser hors sol, à trimarder dans les marges, les blancs, les à côté, les sentiers peu fréquentés. pour y transporter  une quête . . . on dirait aujourd'hui d'improbable, je n'aime pas ce mot, disons de surprises.

Par ailleurs et jusqu'à un âge avancé, encore aujourd'hui parfois, il est vrai que j'ai toujours aimé gravir des collines à marche forcée, prendre l'escalier plutôt que l'ascenseur, couper à la scie et à la hache plutôt qu'à la tronçonneuse. . . . ,  question de bruit de moteur, mais pas seulement, aller à pied plutôt que prendre le bus ou le métro, recopier à la main plutôt que faire un coupé-collé. Ainsi le veut ma nature et mon humeur de forcené. Je me trouve bien dans la rage, l'effort, hors du tout cuit.

Quand les gens s'en aperçoivent . . . ils ont tendance à ne pas comprendre après avoir souri et même à se méfier de moi. Ils ont bien raison ceux qui réagissent ainsi à me fuir. Seuls mes amis, de vrais amis,  soient ils lointains, jamais vus, jamais rencontrés, supporteront cela. Car ce n'est pas seulement une bizarrerie. C'est plutôt un être profond, une sorte de fonctionnement sui generis ou si on préfère me classer parmi les êtres dangereux, un modus operandi.

vendredi 21 janvier 2022

Photos.

 Les gens qui sont nés un portable à la main, à l'œil ou à l'oreille ne comprendront jamais.

J'étais né à une époque où les gens qui faisaient de la photo, prise de et développement, choix du papier, achat de liquides et d'appareils  d'agrandissement dans un cagibi aménagé à cet effet, n'étaient pas légion.

Mon père, lui, avait commencé avec des photos sur plaques de verre dont il ne reste pratiquement rien, dommage. Ensuite, marié et membre d'une famille tentaculaire et ramifiée il s'est adonné aux photos de famille et nous en a gavés lors de grandes occasions et grandes réunions, à partit de l'existence du super 8 et des diapos. Il était  devenu le cinéaste et l'archiviste des  visages et aptitudes à se laisser capter par l'objectif des cousins, cousines, petits cousins.cousines et membres  multipliés de cette famille franchissant régulièrement les étapes de la vie, naissance, présentation du bébé, baptême, communion, mariage, et reproduction du cycle. 

D'où peut-être, opposition œdipienne classique, maladresse devant les objets techniques de précision et  beaucoup plus tard, sinon rejet du moins éloignement de la famille, de ses rites et cérémonies ou haine du touriste dévastateur et pilleur d'images, un appareil à lunette comme un fusil sur le ventre, et  . . . en fait je ne sais vraiment quelle cause expliquerait le mieux le fait que malgré mes voyages et sujets d'émerveillement, j'ai fait, réussi et gardé peu de photos, du Corcovado, du Pain de Sucre, des danseurs de capoeira, des portraits de Mobutu affichés dans les rues,  des temples maya du Yucatan réenvahis par la forêt, des îles Bahamas  en plongée, ou de Sainte Lucie survolée en bimoteur, du marché Sandaga, des pêcheurs en pirogue de Saint Louis du Sénégal, du lac Rose hypersalé,  des oiseaux du Djoudj, ou des gorilles du Kivu.

De même, ne fétichisant guère que l'image des ou devenues oeuvres d'art, j'examine cette collection réduite, abimée par le temps, la lumière, la chaleur, l'humidité et les transports, de toutes façons sans aucun intérêt artistique, qui me reste, si mal rangée dans deux ou trois albums incomplets et quasiment en vrac dans boîtes et pochettes disparates et rarement datées, n'ayant perdu aucun moment à y mettre de l'ordre, la sachant d'un intérêt limité au simple remonte mémoire  maladroit et minimum de mes pérégrinations et lieux de travail excentrés. de ma patrie en Méditerranée.

Hier donc, pas pour les ranger mais pour y trouver quelques béquilles à mes souvenirs, j'ai fouillé dans le tas.

Rien de nouveau, mais quand même quelques émotions de retrouvailles à partager.


mercredi 19 janvier 2022

Pourquoi.

 Oui pourquoi cette vaine dépense ?

Ecrire, parfois chaque jour et d'autres non, selon la pulsion, la nécessité ? mais de quelle nécessité on parle là ? On se demande un peu.

Rien de grave.

Ni pour publier, ni laisser une trace, ni prétendre dévoiler quoi que ce soit de nouveau. Rien ici d'important, de fondamentalement utile à l'humanité ou à quelque petit groupe aussi restreint qu'il soit.

Même pas ma famille si je n'écris pas sous mon nom de famille.

C'est étrange.

J'écris  c'est très simple pourtant, parce que je l'envisage depuis toujours sous cette forme. 

Toujours s'est présentée à mes yeux cette image d'un homme coupé en deux, lui faisant face, cette autre partie de lui qu'est une feuille blanche ou maintenant qu'ils l'ont en fin de compte inventé, un écran où se projeter en partie,  en morceaux, en matérialisations alphabétiques, en traduction verbale, miroir partiel modifié, recréation fausse, réplique autre.

Ainsi compléter son moi en face à face m'est toujours apparu comme une nécessaire forme de lucidité.

Rien d'objectif ou de scientifique. Rien de psychologique et de projectif. 

Simplement poser devant moi, déposer ce qui se passe et s'est déjà passé dans ce corps ou du moins sur sa trajectoire minuscule. Rendre compte d'un fonctionnement comme d'autres passeront leur vie à peindre une vague ou les changements de couleur du ciel ou de l'océan.

Ne pas laisser dans le vague, le flou, ne pas laisser place à ces vapeurs, à ces spectres, à ces brumes à ces borborygmes.

Souci de la pierre, du paysage, rendre compte des principaux traits du panorama et mettre en forme ce qui est et fut

clair élan, saut, tentative, acte naissant, raisonnement,

impression, sentiment fort,

ne pas laisser ça en bouillie et en compote, en pelote et embrouillamini.

Arriver à inscrire comme d'autres gravent ou dessinent habilement de leurs crayon en main.

Faire une esquisse qui aussi contradictoire, multiple et répandue en recherches diffuses qu'elle ait pu être en vrai, dans l'acte de vie, devienne au moins  ici, sur cette surface nette un rapide croquis.

Non, non, rien d'un testament, d'une sculpture de vanité creuse, juste des petits poèmes crachés.

Des parodies rendant compte d'un élan souvent tronqué ou déçu.

Donner à voir, à percevoir, à qui veut ou voudra.

Pochades à effacer.

Ecritures dont ne resteraient que quelques signes dressés, dont le sens aurait disparu.

Incompréhensibles.

Trêve de vertiges,

accepter de devenir vestiges, os, squelette dur 

et trouver au bout, tant qu'on est en vie, avant ce dénuement, ce dessèchement, ce raclement de peau et de chair, ce désincarnement plutôt que désincarnation, abstrait et générique, ces autres, tant d'autres qui peuvent éventuellement au bout des autres mondes où ils sont eux-mêmes nichés, éventuellement  . . . de mondes lointains répondre, répondre eux aussi de leur existence.


mardi 18 janvier 2022

Aventure et incompétence.

 Quand j'y pense . . . c'est avec délice.

Après tout la vie c'est peut-être ça. Qui a dit qu'une fois qu'on avait appris à vivre il était déjà trop tard ? C'est au moins encore ce malin matois de Montaigne, pour sûr.

Mais moi je dis qu'on n'apprend jamais rien et surtout pas à vivre. On reproduit, on reste coincé, on avance à cloche pied sur les cases semblables  ou qu'on croit reconnaître et on ne change que par hasard,  en quelque sorte par erreur. Et ceci n'est pas peu puisque c'est ce qu'avaient bien vu Epicure et Lucrèce. Les atomes tombent en gouttes de pluie  aux trajectoires parallèles et ne s'agrègent que par déviation fortuite, inexplicable. 

On en reviendrait à la formule de Paul Klee cité par Perec : "Le génie c'est l'erreur dans le système". Là nous parlons des phares de l'humanité.

Prenons les choses autrement, à l'envers, par le petit bout et par ce qui en résulte; pour le commun des mortels qui n'a rien inventé, n'inventera rien que sa propre, infime, absurde, inutile dans l'univers, trajectoire.

Il y a ceux qui hésitent, se rongent et regrettent et sont forcément pris et empêtrés dans le courant général et ceux qui foncent assez stupidement, yeux ouverts et cerveau bouché - sans savoir d'où ça vient, sans savoir ce que c'est, le sachant d'autant moins qu'en général ça se produit à la suite d'une erreur infime - dans leur propre direction. 

Jusqu'à un âge presque avancé, emporté par le courant, hérédité, milieu, éducation, respect des hiérarchies et des normes, je savais déjà ce que je voulais pour des choses essentielles, choix d'études, choix d'une filière, d'un métier (à dix-sept ans) et même choix d'une compagne pour la vie, passion immédiate et jamais démentie (à vingt-et-un ans ), malgré un parcours parfois chaotique, plein d'obstacles, mais en quelque sorte prédéterminé, car dés qu'il s'agissait de sortir de là, de voyager, de rencontrer de nouvelles gens, de bifurquer dans l'ordre des habitudes acquises et du milieu, plus encore de changer de métier, j'avais du mal. Je me préparais, faisais tout pour y arriver puis renonçais. 

Jai failli, ainsi, étant déjà recruté, vendre des assurances à Toulouse, j'ai été très brièvement, avant d'en être dégouté, concepteur rédacteur chez Publicis à Paris, sans parler de mes études complémentaires aux principales, prolongées très tôt au max que je pouvais atteindre tout en étant déjà marié et père,  un dit 'institut de préparation aux affaires', au sein de la Fac, au cas où j'aurais trouvé l'occasion de changer de voie, puis études statistiques, puis cursus de droit à Montpellier plus tard et même avant psychanalyse et théâtre en même temps que mon premier poste à l'étranger, toujours en restant enseignant  . . . puis . . . mais . . .  d'un coup, la chance, le hasard, après 68, date fatidique  d'un semblant de révolution, d'engagement social et politique . . . .  légère déviation et finalement conversion complète,  . . . 

. . . comme j'avais postulé pour être détaché à l'étranger on m'a proposé successivement de partir au Viêt-Nam, au Tchad, pour créer une section lettres françaises contemporaines, puis ensuite à Dakar comme attaché cultuel, nom mystérieux d'une fonction hybride mal définie où il faut faire n'importe quoi qui n'a absolument rien à voir avec l'enseignement et qui est un pur détournement traditionnel des "détachés" qui ont résisté au choc de la transplantation. 

. . . . peu de temps après . . . .

Le ministre de la Culture du Sénégal avait fini par trouver que j'avais un nom (ceci à partir de mon vrai nom qui a des consonances grecques) donc bel et bien un nom (dans ces nouvelles circonstances) aux syllabes et voyelles africaines;

évidemment j'avais été jusqu'à organiser pour lui, en son nom, c'était un personnage épatant, chaleureux, plein d'humour, des concours et des spectacles dépendant de son ministère dans plusieurs villes du pays car ses adjoints nationaux n'avaient ni la volonté ni les moyens de le faire, en effet il fallait téléphoner et se déplacer sans arrêt 

et j'avais même réussi à convaincre la douane du port de Dakar, après maintes négociations, amicales menaces et promesses, palabres sans fin, de laisser rentrer du matériel et des véhicules devant être exploités dans la toute jeune SNCS, société nationale de cinéma du Sénégal, la douane du Sénégal étant la plus tatillonne et  retorse d'Afrique à ce moment-là, . . .  d'ailleurs c'est simple j'avais dû moi-même attendre plus de quatre mois avant de pouvoir en extraire ma voiture personnelle  immobilisée sur les docs, malgré mes titres diplomatiques accompagnés des droits statutaires afférant. à cette importation.

Même prof d'ailleurs, déjà, vous y prépare-t-on vraiment , . . . on vous lâche comme un torero et parfois comme un taureau sortant aveugle de l'obscur toril au milieu de l'arène, face à un jeune public avide de spectacle cruel.

[Je raconterai un autre jour comment j'avais pu - sortant des salles "dédiées" ou plus simplement en bougeant les meubles - dévier tout à fait ou ne serait-ce qu'un peu (au moins à en rendre le contenu  un peu vivant) le processus et le questionnement du cours normal des cours guidés par le parcours obligatoire et programmé jusqu'aux examens. 

Ah le saint programme intouchable  et cependant changé chaque année des examens sacrosaints !]

Alors  pour en venir à la question du hasard qui fait dévier l'atome, attaché culturel c'est quoi ? 

J'avais tout juste vu, bien sûr,  comme tout le monde, le film trépident de Christian Jacque : le Gentleman de Cocody avec Jean Marais, . . . attaché culturel particulièrement agité à Abidjan, mince préparation.

Je dirai c'est se lever tôt, recevoir dans son bureau n'importe qui, organiser, organiser, téléphoner, téléphoner, être invité à des cérémonies absurdes, voir tous les spectacles qui sortent, se taper le plus de cocktails possibles, jusqu'à quatre par jour, tout ça pour être informé, faire le quatorzième à table chez l'ambassadeur pour éviter d'être treize, demander à Paris d'imposer des décisions qui ne peuvent être prises que sur place, mais surtout ne pas donner l'impression qu'on profite de la distance pour créer une vice-royauté indépendante, préparer des discours pour ceux qui parlent au nom de la France, informer Paris, informer Paris et bien donner l'impression à l'ambassadeur qu'on suit ses préceptes, quels qu'ils soient, entachés de racisme, d'homophobie, de préjugés sur les femmes ou . . .  autres grands principes sous-jacents et inanes, puis se coucher tard.

C'est d'ailleurs là que j'ai appris à tirer un dithyrambe d'un simple petit Larousse (Internet n'existant  pas encore il fallait aller très vite au plus "classique" dispensé par la semeuse), à faire la sieste pour  compenser la fatigue et la tension et résister et à écouter un peu, hors des tréteaux officiels, les voix de ceux qui ne pensaient  pas du tout comme nous et souvent dans des langues différentes.

Autrement dit, comme me l'avaient annoncé mes chers élèves et étudiants de Rio 

qui étaient venus à la petite maison de Urca, sous le Pin de Sucre, me souhaiter un bon départ précipité (j'avais failli, à force d'attente de mon billet et de ma nomination officielle, par désynchronisation des services officiels, rater le poste) le jour même de mon déménagement, selon le dit et fameux Principe de Peter,  le livre venait de sortir dans toutes les langues, 

j'allais devoir aller au bout de mon impréparation et plus gravement peut-être, moi qui ai toujours détesté l'administration, les budgets au centime près, la gestion recommandée et normée des ressources humaines, l'inauguration des chrysanthèmes, les ronds de jambe et de flanc,  de mon incompétence.

lundi 17 janvier 2022

Aventure spatiale.

 . . . . (c'est beaucoup dire pour l'instant . . . ) il y a des moments où je me dis que je devrais abandonner sur MARSAM cette histoire de personnages un peu pieds nickelés (qui se souvient encore du Petit Suisse et de cet ancien agent spécial qui profitant de notre immobilité sur des sièges d'avion, fait sa présentation et son article ? ) au moment où elle est arrêtée, déjà depuis un moment, en route vers le Kazakhstan - avec tout ce qui s'y passe aujourd'hui d'autant plus ! - et d'autres moments où j'ai vraiment envie d'aller y voir, d'aller expérimenter cette station spatiale qui vient au bout et en prime ou alors, je ne sais pas, avec un départ pour une capsule concurrente, on ne peut pas savoir, ça bouge tellement là-haut dans l'espace qui nous enveloppe et parfois beaucoup plus loin  aussi, faut surveiller ce remue-ménage . . En tout cas nous  (celui des deux compères qui va m'accompagner et moi, . . . devinez lequel) n'irons pas jusqu'en Chine. Pas question pour l'instant. Le peu que je connais du monde asiatique ne m'y incite pas pour l'heure. 

Mais sait-on jamais ?

Après tout Saint AF quand il écrivait des aventures extraordinaires et aussi bizarres, mystérieuses et rocambolesques que les miennes, voire plus, (. . . bouffée de nostalgie . . . ) était bien allé dans un tout autre climat, en Orient extrême, sur les plus incroyables hauteurs du Tibet ou de la Mongolie . . . ou je ne sais plus . . .  en tout cas un coin fabuleusement mythique que personnellement je ne connais pas, n'ayant fait que survoler plusieurs fois l'Acungagua ou plus bas encore le volcan Misti.

samedi 15 janvier 2022

Yuyachkani.

Soit en quetchua :

je pense, je me souviens,

est le nom d'un groupe théâtral apparu en 1971 à Lima, à une époque où la résistance au climat de guerre civile et de désastre socio-économique en avait fait surgir une bonne dizaine d'autres plus ou moins militants. 

Yuyachkani, toujours actif aujourd'hui, est resté un groupe de réflexion politique engagé dans lequel le jeu théâtral en communauté s'inspire de mythes et traditions populaires. Il a traversé les année noires et son travail critique est loin d'être terminé.

Je me souviens lors de mon arrivée au Pérou, dans ces années d'insurrections et de répressions, de massacres en masse ou ciblés, de l'extraordinaire force de ces spectacles collectifs, dans une mise en scène dépouillée, de ces rappels historiques et crus de l'origine du mal, séquences éblouissantes, où explosait terrible, terrible de colère, de misère, de douleur, ce cri que le pouvoir aurait voulu oublier.

Qui se souvient et connait aujourd'hui ce mouvement théâtral nommé YUYACHKANI hors de certains cercles politiques et hors du Pérou ?

Pourtant, revenons aux sources.

En prolongement de son travail d'écrivain et de metteur en scène, 

Miguel Rubio, l'un des principaux fondateurs de ce courant remaniant le théâtre et le rôle qu'y joue l'acteur  depuis cinquante ans de militance artistique, à partir des analyses enracinées dans le monde d'Arguedas, l'un des plus grands et difficiles écrivains aède des cultures andines, aussi bien que dans l'oeuvre de Grotowski ou de Brecht, 

infatigable, continue à scruter, maintenant avec un visage tout cerné de blanc, barbe et cheveux courts, l'évolution de la société, la misère croissante des démunis et s'exprime sur ce travail, chez lui à Lima, ou dans les provinces reculées de son pays ou dans les grandes métropoles américaines ou européennes (récemment à Berlin ou à New-York par exemple dans L'Institut hémisphérique de performance et politique). 

Son constat actuel  (il le dit en termes modérés entremêlés de réflexions sur le rôle possible des acteurs et du théâtre pour incarner, donner à voir le réel, de sa voix douce, posée, déterminée) parle essentiellement de cette "crise de représentation" qui caractérise selon lui le monde actuel. 

Après les années terribles de massacres, plus de 50.000 morts parmi lesquels un très grand nombre de paysans, pendant l'interminable affrontement Sentier lumineux / mouvement Tupac Amaru / forces gouvernementales, après l'ère du flagorneur dictateur élu par le peuple, temps de nouveau terrible de l'escroc Fujimori, l'arrivée soudaine et mondiale du Covid aurait pu donner à voir ce qui est. 

Mais au lieu de produire un effet de conscience accrue et de solidarité internationale comme le disent et voudraient le donner à penses les instances internationales, le Covid 19, minuscule astre éclairant  multiplié, a révélé et renforce la présence écrasante des  injustices, des impuissances, des inégalités.

Car, quel peut être le sens  pour les peuples maintenus en état de pauvreté et de chômage total, voués à l'économie "informelle" (travail clandestin, commerces  non déclarés,  petits boulots pratiqués à la sauvette) des mesures plus ou moins adoptées à l'échelle planétaires, soutien des entreprises officielles,  primes pour travailleurs déclarés ? quel soutien pour ces plus faibles marginalisés  qui sont légions  dans les campagnes et tout autour des mégapoles dans les favelles en extension croissante, qui n'ont guère accès aux soins de toutes façons impossibles à pratiquer dans l'état où sont les centres hospitaliers étatiques, quel impact peuvent avoir les décrets de confinement inapplicables dans les logements exigus et surpeuplés, quelle absurdité représente même l'impératif de désinfection des mains pour des citoyens n'ayant pas accès à l'eau ?

Je me souviens de ce repas que nous avions pris ensemble dans un petit restaurant du centre ville bourgeois de Miraflores, où il y a maintenant plus de trente ans je l'avais invité pour avoir le temps de parler un peu, après avoir déjà évoqué certains de ces problèmes et envisagé une invitation d'une partie de sa troupe collective en France ou dans mon prochain poste, ce qui n'eut pas lieu, nous avions terminé, tombant d'accord sans ambages, par un gateau meringué garni de compote de chirimoya, un fruit délicieux particulièrement bien utilisé à Lima dans la patisserie traditionnelle, faute d'actes momentanément plus constructifs.

mardi 11 janvier 2022

O de ostensiblement.

 Beaucoup de mouvements se font derrière la scène du théâtre du monde sans être forcément malhonnêtes ou répréhensibles ou en quoi que ce soit "obscènes" (à ne pas montrer au spectateur selon les normes classiques), ou forcément secrètes.

Ainsi la plupart des recherches, des calculs, des prises de décisions, des actes intimes, des pensées, des sentiments, des associations d'idées, des  éclairs ou retournements de conscience, des nostalgies ou des auto-reproches, sans parler de tout ce qui fait que le monde tourne, change, suit sa pente, évolue, pousse, se déploie et se troue et s'use et se retourne, tout cela se fait  "derrière", en coulisses, dans le noir, l'ombre, la méconnaissance de la grande majorité des yeux et des sens ouverts aux affuts et pourtant prêts physiquement à en capter les signes, des signes qui même perceptibles n'ont aucun sens pour la plupart d'entre nous, signes qui n'attirent en rien notre attention ou que nous interprétons très partiellement et de travers.

Ainsi par exemple nous pouvons qualifier de beau, en tant que spectateurs passagers, comme spectacle naturel romantique, un iceberg qui fond et s'effondre en cascades et en bombe dans la splendeur d'une lumière arctique, alors qu'il pourrait signifier pour d'autres regards, catastrophe climatique et biologique, disparition de vies, d'espèces, rupture des équilibres, épuisement des courants, dégradation des climats qui nous baignent et nous portent. 

Ainsi  . . . mais ça n'a rien à voir, Descartes notait, 

lettre à Pierre Chenut, ambassadeur et ami de longue date,  le 6 juin 1747, à peine quelques années avant de partir à Stockholm pour y mourir bientôt de froid :

" . . . lorsque j'étais enfant j'aimais une fille de mon âge qui était un peu louche . . . "

et aussi :

. . . " nous avons raison de préférer ceux à qui nos inclinations secrètes nous  joignent ".  .  .

Certes, nos très étroites priorités éphémères ou nos tendances enracinées dans la prime enfance  (comme ici cette fixation amoureuse sur le strabisme), nous éloignent  - par une liaison qui s'établit en surface ou en profondeur de notre conscience aigue - d'une observation et d'une conduite rationnelle,  largement informée, largement étalée dans le temps et dans le spectre de la lumière.

Cependant . . . 

Que voilà un bon départ pour le "Traité des Passions" de notre homme donnant lui-même tant de grain à moudre à l'Ethique de Spinoza (pourtant rédigée "more geometrico", que ce rapport aux femmes  !

Femmes qui vont, par les questions qu'elles suscitent, subconsciemment ou par explicite questionnement épistolaire, ce sera le cas de la Reine Christine de Suède qui voulait à tout prix savoir ce qu'était réellement l'amour et avant elle de la Princesse Elisabeth de Bohème, faire avancer le schmilblick !

Ostensiblement  . . . celui dont quelques obtus mal intentionnés ont cru pouvoir faire un monstre froid de rationalité (pensez-vous  ! . . . il traitait les animaux et aussi les hommes en fin de compte, de machines !), assumera  son impétueuse nature, au point d'aller philosopher, à pieds refusant le carrosse, si fier chevalier, à cinq heures du matin (car elle est très occupée tout le jour) avec Christine, la très jeune et très savante reine, indépendante, sportive et impérieuse, "au pays des ours" (dont elle voulait faire "une nouvelle Athènes"), lui, qui , bien que cavalier et militaire, auteur d'un traité d'escrime, aime les chambres bien chauffées et qui toute sa vie s'est levé tard, paressant et rêvant dans son lit, bien qu'il n'en ait pas moins eu l'impression, à plusieurs moments de cette existence aventureuse, que le monde lui appartenait.

N'en suis-je pas, toutes proportions (infimes, renvoyant à l'infinitésimal en échelle graduée) gardées, moi, faible raisonneur, radoteur pacifique, qui dormais si bien le matin à me lever aux aurores maintenant, en fin de vie, pour l'amour d'une insomniaque ?

dimanche 9 janvier 2022

O de oiseaux.

Pendant que je cherchais sur le site de la BN le fac-simile ou du moins limage reproductible d'une première édition d'une traduction en français du PPP, le  Projet de Paix Perpétuelle de Kant, édition de Königsberg, 1796, je regardais par la baie de la pièce qui me sert de rangements de documents secrets, de lieu d'auto-analyse (avec canapé), de dépôt de mon vélo d'appartement à crampons et de stepper  à grand guidon . . . de confessionnal public et de bureau,

le mouvement incessant des oiseaux, agités après une pluie nocturne, dans le jardin dont hier, homme de bonne volonté écolo (autant aller à l'écololo et même à l'écololol), j'ai un peu remué la terre

et me disais que comme l'enseigne qu'évoque Kant au début de son ouvrage, motivation chez lui  de la recherche d'une autre paix, celle d'une auberge intitulée "A la Paix éternelle" . . . 

. . . illustrée de la représentation incongrue d'un cimetière, 

ce ballet gracieux, de recherche de nourriture, que mènent pour nos yeux émerveillés les petits volatiles accrochés à nos activités, n'était qu'une guerre comme les nôtres, une guerre entre eux et aussi contre les fouines, les belettes, les écureuils, les chats, quelquefois les stupides chasseurs locaux, défoulant leur frustration de proies plus conséquentes sur leur malingre présence, se terminant assez rapidement, sans compter le froid, les maladies, les pièges, les pesticides, en paix éternelle.

Ne serions-nous pas prétentieusement inaptes, pour eux et pour nous, en quête, utopie contemporaine contradictoire et difficile à concocter, doux rêve de développement durable désarmé, nous qui n'avons su l'ériger à l'échelle des nations purement humaines, d'une société des nations de tout poil, d'une ONU des bêtes et des hommes à l'échelle du vivant ?

samedi 8 janvier 2022

O de objets.

Non, la philosophie n'a rien d'abstrait.

Voici une première liste qui me vient à l'esprit :

 . . . .  / . . . . ces philosophes qui purs romanciers, peintres, expérimentateurs, poètes, aventuriers, espions parfois, ont eu besoin beaucoup plus qu'on ne le croit, de se raccrocher au monde concret et aux objets qu'on y produit ou y rencontre, avant de se lancer dans des discours beaucoup moins abstraits qu'on ne pourrait l'imaginer : 

(en vrac)

. . . . . . /

une étrange enseigne d'auberge hollandaise qui représentait un cimetière

le bruit de la mer, que je n'entends pas encore et que j'entends tout à coup au bord d'une falaise

des lunettes " renversantes " qui remettent en cause tout le processus de notre perception

la table un peu folle qui danse l'étrange chorégraphie de la valeur et de la plus value

ce marteau qui permet d'écouter les bruits du monde qui change

un pied de femme dont le mouvement à chaque pas est très particulier et spécialement érotique

une femme qui louche

une machine à produire des arc en ciel

un caillou

un banc public

un triangle dessiné sur le sable

etc . . . 

( ceci n'est pas un poème extrait d'un quelconque "nouveau roman" focalisé sur la froide invasion des objets, non,

ces objets et bien d'autres sont situés chacun

dans une oeuvre précise dont tout le monde connait au moins le titre ou l'auteur, chacun est le point de départ d'un raisonnement qui dépasse de loin nos préjugés habituels )



mardi 4 janvier 2022

Larvatus prodeo.

 Voilà une formule du sieur Descartes aussi rabâchée en son temps (le temps où les Européens parlaient latin entre théologiens et savants, mais aussi et encore bien plus tard, rabâchée par les érudits et gloseurs se donnant des airs de . . . 'je le cite donc je le suis', doctement codifiés) et presque aussi banalisée que le fut plus tard le "Tout ce qui ne tue pas rend plus fort" du si iconoclaste, sulfureux et souvent si fâcheusement détourné, Nietzsche. Et n'y allons pas par quatre chemins, tout aussi en surface, fautivement et frauduleusement.

Quand Nietzsche parle de "philosopher à coups de marteau" il ne se prend pas bêtement pour un banal briseur d'idoles. Le marteau dont il parle est celui que les médecins de son temps utilisaient pour ausculter le corps, spécialement le buste et ses cavités cachées en tout patient. Il veut dire non pas qu'il faut casser de grands bouddhas vieux de plus de 1600 ans, mais qu'il faut savoir écouter les bruits souterrains qui se propagent dans nos civilisations, accoucheurs d'avenirs ou pas.

De même pourrait-on croire qu'il est facile d'interpréter le " j'avance masqué " de Descartes et déjà, ce disant, en le traduisant ainsi on s'engage sur une voie de sagesse - et peut-être de garage - très ordinaire du type "pour vivre heureux vivons caché". Mais faut-il vraiment se creuser la tête jusqu'à aller beaucoup plus loin ? Nietzsche si on le lit au lieu de le citer hors contexte, nous explique son propos et la formule frappante, provocante certes, s'éclaire à merveille comme celle, non d'un travailleur au marteau piqueur, mais comme celle d'un mélomane attentif aux sonorités et aux rythmes de son époque.

Dans cette affaire du larvatus, Descartes nous aide d'autant moins, lui qui est réputé et réellement si clair sur tant d'autres points essentiels, que ses dits "écrits de jeunesses" recopiés (sauvés) par Leibniz lors d'un voyage à Paris et retrouvés en Allemagne, que sont les titrés Olympiques et Cogitations privées, sont vraiment privés au sens de notés pour soi et ne visant à aucune confrontation publique.

Alors qu'en est-il ? Léon Brunschvicg, engagé dans la lutte pour le suffrage des femmes et époux d'une femme qui devint ministre, lui-même philosophe irréprochable auquel nous devons, entre autres clartés, ce merveilleux petit livre "Descartes et Pascal lecteurs de Montaigne" jette-t-il en 1942 un pavé dans la mare quand il lit dans le " prodeo " de la formule un Pro Deo" ? Un pro Deo à entendre subsidiairement et à peine caché comme un "devant Dieu" ou peut-être même au sens du latin familier et parlé d'une certaine "élite intellectuelle" européenne au XVIIe siècle et plus tard, comme un : je le fais ou je le dis "gratuitement" sans y chercher de bénéfice (nous dirions "pour la gloire") ?

Voilà une première entrave à l'interprétation devenue habituelle, bien liée au contexte (oui, là au contexte réel !) réduit de la formule qui semble renvoyer à la littérature, à la poésie, au théâtre, - et nous savons que Descartes emporte avec lui, dans sa bibliothèque de voyage, un  gros recueil de poèmes - à l'image du jeune homme qui veut entrer dans le monde comme un acteur masqué sur une scène de théâtre antique.

Mais il y a mieux, c'est justement le larvatus.

Larvatus peut bien évidemment vouloir dire, en fin de course et d'usage : caché, masqué, mais . . . 

Mais ce participe passé signifie d'abord chez les meilleurs auteurs que Descartes a connus et fréquentés comme tout collégien de son temps : halluciné, délirant, comme un spectre, 

larva désignant d'abord le squelette, le revenant, bref le zombi . . . avant de désigner le masque.

Bref, bref, le larvatus prodeo, cache bien son jeu encore.

Et quand on sait que l'hyper-paradigmatique discours de la Méthode, parangon de clarté et d'évidence, commence par la très fameuse plaisanterie : Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée . . . formule quasi directement empruntée à Montaigne (même les fous croient qu'ils en ont) et qui fera dire à Pascal : "ce serait être fou par un autre tour de folie que de n'être pas fou".

Pourquoi ne traduirait-on pas à peine masqué par une bienséante et assez classique formule :

Halluciné devant Dieu !

Serait-ce étonnant que le jeune Descartes, qui avait déjà en main son doute tous les éléments fondateurs de son parcours, son cogito et sa mathesis universalis, après ou déjà avant ce rêve extraordinaire qu'il a fait dans sa chambre surchauffée de Neubourg sur le Danube, qui sait qu'il va devoir passer par l'hypothèse du Dieu trompeur, qui imagine littéralement les passants qui marchent sous sa fenêtre comme des spectres cachés par des chapeaux et des manteaux, ait voulu allusivement et pour lui-même, private joke, se moquer de lui-même devant le chemin apparemment inversé, absurde (démonstration par l') et fou qu'il allait, pour devoir démontrer sa thèse et trouver à sa manière de solides vérités, emprunter ?