jeudi 21 juillet 2022

A comme Ardilla III.

 Il s'avérait que ce Valencien obèse, amateur de cuisine aux fruits de mer et de champagne, aux seins affaissés, aux bras un peu décharnés dont la tête grisonnante et ronde souriait beaucoup, que cet homme qui pouvait encore nager deux fois jusqu'à la bouée mais qui marchait dans le sable d'un pas lourd et incertain, avait été, vers onze ou douze ans, un très agile et léger petit élève pensionnaire des frères franciscains tenant, loin de tout, dans la montagne, un territoire attenant au monastère et qu'ils comptaient bien, grâce à leurs jeunes et acrobates élèves gavés de prières, de latin et de grec, le couvrir, peu à peu, par une méthode absolument écologique avant la lettre . . . le couvrir de bois et spécialement de conifères.

Ainsi Ardilla, l'homme écureuil, que personne n'avait encore commencé à appeler ainsi fut promu au rang de grimpeur-chasseur.

A cette étape de l'histoire j'avais bien peur que les moines cucullés, bafouant leur saint patron François d'Assise frère de toute vie, n'ait voulu simplement que les gamins qu'ils dirigeaient corps et âme capturent des écureuils pour le plaisir de les montrer en cage ou de les offrir et les vendre, comme cela se faisait encore, en guise de ménagerie domestique, dans les plus nobles maisons.

C'était sans compter sur le génie du supérieur du monastère, homme d'avant garde éco-responsable, qui avait décidé de fare capturer par sa petite troupe de  lestes bambins les écureuils qui attirés par l'homme, ses déchets, son environnement, s'étaient installés près des cuisines et du réfectoire et se faisaient régulièrement ainsi tuer par les chiens et dévorer par les chats, au lieu que, capturés et transplantés plus loin dans la forêt existante, ils allaient par leur habitude d'enterrer des graines et de les oublier, contribuer à son étendue dans tout le territoire.

Ainsi notre héros, aujourd'hui un peu alourdi et arrondi, avait-il quand il était svelte et athlète audacieux, été, grimpant aux arbres et aidé de ses condisciples suffisamment vifs, disposés autour en cercle, le meilleur ami de ces animaux qu'ils capturaient ensemble dans ce piège enfantin. 

mercredi 20 juillet 2022

A comme Ardilla II.

 Ce matin il était en verve après avoir nagé deux fois jusqu'à la bouée.

- Para mi es una pastilla, m'expliquait-il.

Il voulait dire qu'après avoir été gravement malade, et son énorme ventre couturé d'une grande cicatrice verticale en témoignait, nager jusqu'à la bouée était pour lui non seulement un exercice salutaire mais aussi une petit victoire d'un grand réconfort après avoir été si immobilisé et affaibli pendant des mois. Et de plus à son âge, le même que le mien.

L'ancien champion de natation qui, beaucoup plus jeune, m'avait expliqué hier ses secrets pour améliorer un crawl par la position des bras et des mains lors de l'attaque de l'eau et qui nageait avec de petites palmes très courtes mais apparemment très efficaces n'avait pas autant retenu mon oreille attentive à tous les discours.

Car il avait vraiment envie de raconter sa vie et il était, tant il y prenait du plaisir, avec sa sincérité manifeste, son souci poli de n'embêter personne avec ses histoires et ses yeux perdus parfois dans le passé, très attachant parmi tous ces bavards de bord de mer.

mardi 19 juillet 2022

A comme Ardilla, l'homme écureuil.

 Avant de rentrer bientôt pour rejoindre mon seuil, mes marques, mes repères, mes vieilles encyclopédies au papier gris, mes livres brochés, fripés, aux dos décollés, ou reliés de cuir, nimbés, aux pages ennuagées de vapeurs tropicales quand ils m'ont suivi partout, 

mes souvenirs de toute une vie et de quelques uns rescapées de ma lignée, ces images et objets relevant du culte des ancêtres, couteaux, haches, boussole-sifflet, et par ailleurs mes gris-gris multiples auxquels je ne crois plus, "pe de moleque" et balangandan du Brésil, 

aussi . . . portraits de mes saints préférés que j'admire hors toute foi, San Francisco l'universel et Santa Rosa de Lima, mes pénates et dieux lares nîmois purement symboliques et aimés comme tels avec les déesses mères, les dieux obscurs et souterrains suspendus sur le grand mur à côté de la cheminée où brûleront bientôt des tronçons de chênes abattus parce que contaminés de cet insecte qui profitant de et ajoutant à la chaleur pompe la sève du géant le plus combatif 

(faut dire je suis aussi, du fait que j'ai été, à l'emporte pièce ancien athée dés l'âge de 12 ans après ma communion solennelle, puis devenu un peu plus tard panthéiste en lisant Spinoza, fasciné, tellement fasciné, enfin multi-poly-déiste de foutaise ou de fantaisie et cependant fidèle au choix de ces saints admirables, si humains, souvent rencontrés au hasard de courses et trajectoires livresques ou bien d'incursions réelles dans le capharnaüm des cultes incongrus, des savantes et compliquées croyances locales, des . . .) , 

je ne parle pas de mes frères végétaux, 

ces pauvres plantes et jeunes arbres victimes de mes plantations qui ont dû subir déjà depuis plus d'un mois, le martyr et dont seuls les plus vigoureux ou les plus protégés par l'ombre auront survécu, 

mais aussi de cette émouvante exposition Viallat-Saytour qu'il me faudra à tout prix rejoindre, à peine à quelques milles romains de chez moi, dans ce village d'Aubais qui me tient doublement ou triplement à cœur . . . donc avant de rejoindre tout ça . . . 

et même le souvenir d'amis perdus en route . .  et les vivants absents qui ne seront pas rentrés, pas encore revenus en terre de garrigue et de vignes à sec sur terre grésillée de cailloux, fuyant la canicule qui ici gagne des championnats, 

dans une ville un peu écrasée où le touriste 

venu souvent de loin - des Japonais l'an dernier m'ont demandé comment attraper un taxi pour rejoindre la gare, épuisés, totalement perdus autant que d'autres à Tokyo - chaque année une foule en piétaille sèche debout en masse, en Juillet-Aôut et même avant, depuis Juin, en cohortes, écrasé d'histoire, 

d'autant plus qu' il s'acharne à lire des guides tout en marchant et en montant vers la Tour Magne. . .



samedi 16 juillet 2022

Reprendre.

 Je dois moi-même m'encourager à reprendre cet Alpha-machin, cet interminable alphabet en désordre, cette autobiographie découpée en lamelles et semi-effacée, parfois détournée vers des réflexions anachroniques, non synchrones, décousues, détournées vers des fins de mince réflexion comme si j'y avais gagné plus de sagesse alors que c'est l'inverse, l'occasion d'y manifester aux yeux de tous ma fragile et finalement peu fructueuse folie.

Ainsi quand je cherche un titre moins alambiqué ce que je trouve à mettre en avant c'est "écrits à Volo" * un endroit où je n'irai surement jamais vraiment vivre  ** malgré son quartier de maisons 1920 ou 30, construit au moment où Nabokov y écrivait à l'Hotel des Thermes - pour une cure de l'appareil digestif, du foie ? - "La Défense Loujine" (son roman "le plus chaud" dit-il, alors qu'il y est question d'échecs, jeu abscond pour la plupart de ses lecteurs).

Quand on écrit il ne faut pas trop réfléchir à ce qu'on écrit, il y a quelque part, sous terre et qui passe parfois dans mon corps, au bout de mes doigts dans le meilleur des cas, un courant souterrain qu'il s'agit de retrouver et de chevaucher , de capter, de tenir comme le sourcier tient sa baguette de coudrier qui se tord sous ses doigts sans faire appel à sa volonté d'homme irrigué ou traversé, pour ne pas tomber dans le top écrit, trop médité, trop apprêté, trop orthogonalement sec


* Volo, étymologie incertaine et nom de lieu correspondant en français à Le Boulou, connu autrefois pour ses fabriqies de bouchons de liège et plus tard pour ses embouteillages, dernier paiement de l'autoroute en France avant de passer la frontière espagnole.

** J'y ai des amis qui m'inciteraient, dernière folie ? à y acheter une de ses maisons croquignolettes et charmantes.

Dakar.

Quand nous sommes arrivés à Dakar venant du Brésil, nous avons fait faire des rideaux d'un très beau brun couleur de bolet mat, couleur d'un glaçage de patisserie au chocolat et comme les mots qui nous venaient pour la désigner n'étaient pas les bons, c'est la vendeuse qui nous a tirés d'embarras disant : ce que vous voulez c'est un tête de nègre. Elle a éclaté de rire avec un regard très malicieux et nous aussi un peu timidement mais contents de ce calumet de la paix verbal fumé ensemble, préventivement

Plus tard, à la terrasse d'un bistrot de la place de l'Indépendance j'ai pu commander, tellement il faisait beau et chaud et tellement j'en avais envie peut-être par gloutonnerie, gourmandise et compensation, peut-être pour faire amende honorable et aussi pour faire sourire le garçon qui n'a pas manqué de le faire, j'ai commandé une dame blanche.

En effet ainsi fut scellée en préambule à un séjour au milieu d'un peuple souvent fraternel, la possibilité d'une vie de rapports égalitaires et sans trop d'agressivité.

En effet, parmi les amis que je regrette, qui sont maintenant disparus,  se tiennent quelques fantômes sénégalais, un cinéaste, un peintre, plusieurs poètes, un griot et aussi ce coursier de l'ambassade qui avait tellement d'humour et de sens pratique et aussi d'indulgence pour notre ignorance et notre maladresse face à une culture (la sienne) si élégante, naturelle, sans raideur.