lundi 27 mars 2023

Va le monde (ainsi)

 . . . pendant que nos sociétés se déchirent et se fracturent, immenses corps auto-cannibales, auto-dévorants, avance la production-illusion, le semblant à l'état pur, occultant, prenant corps vaporeux en place de toute stabilité, toute tranquillité rassurante, toute lourde solidité, toute "authenticité" (quel mot ringardisé !), guerre des leurres, chars de carton, confiture bio à l'eau, organes essentiels substitués, théâtre d'apparences aériennes, flatteuses et douces, discours lénifiants, propos de pasteurs à l'heure de la mise en terre, énorme décor de carton, de plâtre, de poussière, de paille, de papier peint collé sur les plaies, pendant qu'un autre discours s'avance, raide, bastonnant, imposant sa lame, émasculant, "unidimensionnel" * (que voilà un mot devenu caduc, parce que trop simplement clair, accusateur et efficient sans doute, alliant deux courants, pur profit et brutale bureaucratie, méthodes complémentaires),  éborgnant, pénétrant en vrille, fondé en calculs et en courbes au scalpel, en soufflerie d'aérodynamisme basculant, en pointes enfoncées dans la peau comme des prêches incisifs et bienveillants ou des publicités mensongères jusqu'à l'os

* Herbert Marcuse passé à la trappe.

mercredi 15 mars 2023

Femme couchée (la).

 J'ai revu récemment ce rocher de Roquebrune que la tradition a ainsi nommé.

Je l'ai revu de très loin, aperçu presque incidemment au bout d'une terrasse entre deux cheminées d'immeubles mais ça m'a fait plaisir.

Souvenir d'un arrêt chez un copain. Souvenir d'une ascension. Souvenir d'une aventure sur laquelle j'avais écrit deux mots, petit texte aujourd'hui perdu comme tant de choses qui passent, défilent, s'effacent dans notre vie.

Commençons par le début. Ce rocher spectaculaire mais qu'il faut beaucoup d'imagination pour aller comparer à une femme couchée, même vu(e) sous un certain angle, est d'autant plus frappant dans le paysage qu'il apparait d'abord et de loin, de profil, puis de très prêt en mur infranchissable, tout au bord de l'autoroute quand on va entre Nice et Toulon, juste après Fréjus, plein ouest. Il a tellement frappé les esprits qu'on l'a comparé à toutes sortes de profils outre cette femme étrangement allongée sur le dos avec une grosse tête caricaturale et qu'on a bien sûr inventé à son propos toutes sortes de légendes. Dont celle de la très jeune fille poursuivie par le barbon, seigneur des lieux, dans le labyrinthe de rochers qui jouxte son sommet, sauvée par l'étroitesse d'un passage où dans sa poursuite se coinça lui-même par son vendre et par son désir d'outrage le lubrique.

On comprend que - je ne parle pas de cette vue très éloignée que j'avais de lui  sur la terrasse où j'étais chez de modestes et plus romantiques que riches (d'or en barre) amis ( s.v.p. avec liaison malgré la parenthèse) - le fait de le voir, d'avoir balcon ou fenêtre sur sa vue, hante l'imaginaire immobilier de la région et des villages proches et vienne, comme ailleurs une vue mer ou Mont Blanc, en plus-value du bien orienté ouest et gratifié d'un coucher de soleil doré sur tranche ou donc ici, femme allongée ou endormie resplendissante.

En ce qui me concerne, j'en avais fait l'ascension avec trois lutins, les enfants de cet autre ami allemand qui a un pied à Roquebrune à côté de la rivière Argens, fleuve en titre, qui jadis transporta des troncs de pins ou sapins au travers du Var jusqu'à Fréjus et aujourd'hui se contente de crues imprévisibles. Or, les amis que je fréquentais aujourd'hui avaient eux aussi trois enfants et cette vue lointaine . . . 

L'incitation était trop forte, fallait-il en tirer un conte ?

Je crois que le réel s'en charge, la "femme endormie" s'en charge, autour de moi, tant de jeunes couples malgré les pires prévisions des temps avenir misent sur la fécondité de temps nouveaux où la société dite patriarcale, de fait aux caractères à la fois phallocentriques et plésiomorphes, pourrait enfin subir une éclipse.

M et C, métiers et cinéma.

 Souvent, particulièrement dans les feuilletons, tournés plus vite et même bâclés parfois pas que dans le détail, l'absence de rendu du travail nécessitant apprentissage, habitude, tour de main, posture acquise, est d'autant plus sensible que le comédien manifestement ennuyé par ces impératifs non seulement ne s'y soumet pas mais les traite avec une désinvolture très spécifique au cinéma français plus bavard que vécu en gestuelle et en présence concentrées. Il me semble qu'on rencontre moins cette légèreté coupable, coupable dans la mesure où elle peut en un quart de seconde décrébiliser un scénario, dans le cinéma américain ou surtout chez les Anglais qui ont l'art de prendre au sérieux malgré leur légendaire humour, le poids des personnages.

Me choquent particulièrement les gestes citadins de nos cultivateurs mimés et la totale irrecevabilité des attitudes de profs improvisés qui seraient couverts de crachats, de tomates ou de ricanements s'ils étaient devant une vraie classe ou un vrai amphi.

E de Ecroulement.

 Toute génération en fin de course semble avoir eu cette impression que le monde en mouvement, en équilibre instable, en déplacement des masses et en fonte constante, s'écroulait et peut-être même entrait dans sa disparition en tant qu'ensemble partiellement structuré et cohérent. Sans possibilité de voir ces linéaments, ces infimes germes d'un univers en constitution, en regain ou en mutation. 

Or, si certaines de ces générations ont effectivement frôlé le néant, été confrontées à l'approche d'apocalypses, si certaines y ont bien mis les deux pieds, y ont réellement péri ou n'ont pu survivre, sauvées du gouffre, que par hasard, par inattendue retournement des forces, il est clair que toutes, même moins exposées aux érosions et bouleversements, aux fléaux de la  guerre, de l'épidémie, des cataclysmes, ont eu cette impression.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Peu de raison, peu de sagesse, délires en place de lucidité, poursuite de plaisirs parcellaires, fringale de vie décuplée par tous moyens, rage et drogue c'est à dire renforcement des signes et des causes de l'écroulement et incapacité à voir ce qui pourrait advenir de nouveau et de bon pour nous.

lundi 13 mars 2023

Tauromachie (de la vie considérée comme une).

 Autant qu'il m'en souvienne et peut-on oublier quelque chose de tel ? J'en ai vu trois. Trois courses de taureaux.

Une à Barcelone. Une à Nîmes. Une à Lima. 

Durant la première j'étais très jeune. Durant la seconde j'avais la quarantaine. Durant la troisième j''avais dépassé la cinquantaine et atteint une folle "maturité" à ma manière obstinée, insouciante, enthousiaste. 

Celle que j'ai vécue à Barcelone avant un voyage aux Baléares, j'avais je crois huit ans, peut-être neuf, n'a laissé qu'une vague trace de lieu, ces grands gradins, de couleurs particulières, cet inoubliable jeu des roses, bleus, rouges et dorures, de musique lourde et pompeuse, trop lente, alors que je me souvient très bien de la Tête de Maure coupée suspendue à la chaire de l'immense cathédrale de Majorque que nous avons visité plus tard (souvenir de périodes barbares depuis longtemps enlevé de ce lieu) et de l'histoire parfaitement romantique, toux, froid, isolement, couloirs et galeries, tristesse, disputes, drame se profilant, de George Sand et Chopin à la chartreuse de Valldemossa, en hiver. 

Ensuite à Nîmes, beaucoup plus tard, j'avais organisé pendant une Feria particulièrement mouvementée, avec des amis de Paris et d'Avignon une réunion mémorable où nous avions mangé répartis sur des chaises, un divan unique et des coussins, dans mon appartement au dernier étage d'un très vieil immeuble du centre ville, une gardiane au riz de Camargue et au Taureau de combat avec pour point de mire et sujet de conversation parmi d'autres il est vrai, Espartaco, petit homme au grand courage, plus doué pour l'estocada que pour la mariposa, qui en fut la vedette très applaudie dans les arènes cette année-là.

La dernière fois où j'ai sacrifié à l'art tauromachique ce fut à Lima, en mettant à part, c'est vrai, une autre que je passerai sous silence parce qu'elle serait trop indiscrète, peu liée au spectacle lui-même dont je n'ai d'ailleurs gardé aucun souvenir et donc qui ne contera pas dans mon énumération et mon récit, . . . dans les vielles arènes d'Acho, au Nord-est de la vieille ville, tout prêt d'un échangeur routier, pour sacrifier au goût d'un invité venu de France, lui, un vrai aficionado. cette dernière (vraiment la dernière) m'ayant laissé un goût de tristesse, d'inachevé, de sang maculant le sable, sans doute à cause d'une mise à mort répétée et ratée deux fois.

Bien sûr je ne suis pas un passionné de ce spectacle vestige, de cette cérémonie pompeusement fatale "autre chose que grâces vaines de ballerine" (Leiris), de ces calculs de recettes et de préparation du taureau par enfoncement des nerfs cervicaux, de cette prétendue belle fin et liberté laissée à la bête dite noble (vision retournée à son profit par l'amateur) si on la compare au massacre industriel et non chirurgical des abattoirs . . . 

. . . . cependant, on peut aussi voir et prétendre, sans exagération aucune, sans illusion d'optique, sans esthétisme d'emprunt, sans mimer les très hauts pères tutélaires d'une époque déjà stratifiée dans nos mémoires, Hemingway, Picasso, Cocteau, Leiris dont j'ai détourné le titre, Bataille, que la vie est une tauromachie. La tauromachie de l'habit de lumière, du héro de l'instant décisif, de l'indifférence au cheval aveuglé et blessé à mort malgré son caparaçon, la tauromachie fondée sur un leurre systématiquement présenté à la victime, glorification populaire du risque inutile, de l'audace et de la ruse perçues comme viriles, bâtie sur le voyeurisme du spectateur attiré en masse dans cette nasse de l'amphithéâtre, remué du haut en bas des gradins jusqu'au fond de ses instincts de survie, est le parfait reflet, miroir circulaire, kaléidoscope à l'envers, sur lequel convergent les images des soubassements sur lesquels sont construites nos sociétés 

et nous jette à la figure ce que nous sommes; . . .

vendredi 10 mars 2023

Incompréhensible.

. . . . pendant que je divague et cherche (je chercherai sans doute toute ma vie) . . . le site idéal, rivage en pente de calanque perdue et proche, terre promise, calme, tout prêt de l'eau, avec vue, mais pas trop de terrain à cultiver en ces temps de sècheresse et de parasites multipliés (je vendrais tous mes refuges, je donnerais, jetterais ou brûlerais ma bibliothèque et me libèrerais volontiers de nombre de collections et d'ustensiles indispensables pour le trouver), . . . . au passage, je découvre évidemment des coins et des gens formidables, d'ailleurs je songe, entre temps, suis-je à ce point irréaliste ? et très sûrement utopiste . . . à parvenir à écrire par petits bouts, parcelles, morceaux, éclats, une histoire où tout se tiendrait, où tous les chemins, sans converger pour autant, formeraient un objet complexe certes mais un dessin unifié en vie organique unique à parcourir, introuvable, inexplicable, incompréhensible tant qu'on n'aurait pas tout lu (ou même si . . . ) mais singulière et surtout énigmatique, impénétrable . . d'autant plus qu'interrompue forcément, par volonté, empêchement des circonstances ou nécessité voire fatalité de notre commun destin mortel . . . 

mardi 7 mars 2023

Mitigeur mou.




Préambule : que le grand Léonardo si discret et pudique qui a fait ces dessins devenus un peu vagues et flous avec le temps ou les reproductions successives me pardonne.
          En matière de faits divers et progrès il y aurait une histoire à raconter avec cette aventure du robinet qui était brutalement entré dans le dos au point de déplacer une vertèbre lombaire, la L 3 ou 4, je ne sais plus, dans l'épine dorsale d'une princesse prise à la hussarde alors qu'elle venait d'être, pour ce faire, soulevée et assise par un garde de son entourage sur l'étroite et design cuvette d'un lavabo de couloir de chambre de palace, princesse héritière fameuse qui exigea qu'un ingénieur favori de son père surnommé Léonard Le Petit invente au pied levé un beau et moins inconfortable robinet plus flexible et accueillant à d'autres éventuels et avenirs chocs dorsaux ou enfoncements inappropriés.

Le plus extravagant mais peut-être avant-coureur du progrès en route c'est qu'il existe vraiment, au moins dans le carnet d'invention encore non publié du dévoué génie de cour, ce mitigeur mou, en matière ductile, qu'on manipule sans s'y heurter à rebords ou pointes et arrêtes tranchants et que, ironie de l'histoire, il a été dessiné sous deux formes archaïques, outre le trop classique sein-fontaine accueillant pourvoyeur d'eau et non de lait, en formes non moins classiques et plus banales de grandes verges malléables ou petits vits de pisseurs de fontaines élastiques et mous. Pour le matérialiser, cependant . . . resterait à trouver, à produire par artifice et travailler habilement la matière aux propriétés charnelles adéquates. 

Pour ce faire nous attendrons un nouveau Léonard divin en mécanobiologie.