dimanche 24 mai 2020

Difficulté.

De la difficulté de cueillir des mûres de mûrier.
Je n'ai pas cueilli de mûres de roncier depuis longtemps, mais je me souviens que c'était bon et facile en plein soleil malgré les piqures, c'est net et éclatant, la mûre de roncier brille au soleil de toutes ses sphères rutilantes et noires.
Le mûrier pleureur sur lequel je cueille tant de mûres (des mûres tout aussi sphériques faites d'autant de mini-shères) que nous en faisons des confitures, n'est ni agressif ni aussi défensif en apparence mais beaucoup plus productif et il offre la possibilité de cuillir ses fruits à l'ombre de ses ramures poussées en baleines de parapluie, ainsi il a été tenu de développer d'autres stratégies plus douces pour défendre ses fruits moins sucrés que les mûres de roncier, mais, il se rattrappe finalement en défenses où il est, tout bien examiné, assez efficace.
Pour essayer de présenter ces difficultés qu'il oppose au prédateur-cueilleur, homme, oiseau, mammifère, insecte volant ou rampant, en défense douce de façon simple et ordonnée; voyons cela par arguments successifs et empilés :

I - Il a, je l'ai dit, l'apparence d'un parapluie dont les baleines très recourbées, plongeant vers le sol (il est pleureur) sont couvertes de feuilles larges et emboîtées en gouttières superposées formant obstacle contre l'accès aux fruits pour qui s'approche de l'arbre et chaque pousse nouvelle (vers le haut, surmontant chaque branche existante et prenant la forme d'un jet d'eau issu de l'écorce) reproduit ce modèle en miniature si bien que les fruits qui y poussent sont enfermés dans de petites demi-sphères rigides supperposées à l'originelle redoublant la difficulté d'accès aux fruits de ces branches originelles qui continuent à se charger de fruits.
II - On comprendra que ce fouillis géométrique inextricable des branches et branchettes, rameaux ramifiées, ramilles et ramettes arquées et fractalisés, forme un formidable obstacle à la ceuillette.
III - S'ajoute que l'attache fragile qui permet au fruit déjà réduit en taille et peu conséquent en poids de se détacher du pédoncule et de choir au sol avec une extrême facilité dés qu'il est un tant soit peu percuté décourage le cueilleur pressé.
IV - Enfin le jus contenu dans le fruit est encore plus indélébile et noir-violet que celui de la ronce il s'enfonce et teint inexorablement la peau des doigts comme le ferait de l'encre.

Serait-ce pour toutes ces raisons ou seulement quelques unes qu'il me plait tant ?
D'autant plus depuis que j'ai pris conscience qu'il correspondait exactement à mon esthétique.
Ce mûrier en définitive n'est accessible que de l'intérieur.
C'est ainsi que j'essaie de poduire, n'arrivant pas à une telle profusion, mais lentement, par étapes, au jour le jour, de petits fruits modestes, souvent tombés blancs ou roses, non aboutis avant d'avoir mûri, protégés par des circonvolutions non piquantes mais enchevêtrées en cascades répétées dont le résultat finit au sol souvent, piétiné parfois.


vendredi 22 mai 2020

Prudence.

Partant du principe qu'on ne réfléchit jamais assez, j'y ai consacré du temps hors études, explorant la ville autant que les bibliothèques ou plus ( en chambre ou pas, pour moi ça se passait au dernier étage, le cinquième d'une vieille demeure sans ascenseur, ça va de soi, dans une chambre de bonne avec vue sur la ville rose où il me fallait monter en courant entre deux cours pour vérifier si le copain auquel j'avais prété le lit et le lieu pour y coucher sa nouvelle petite débutante en propédeutique l'avait débarrassée, ça faisait du bruit dans l'escalier de bois en arrivant aux derniers étages après avoir franchi l'entrée un peu étroite du deuxième en baissant la tête après les turnes de l'étudiante en psy chic fille, de l'étudiant en droit imbuvable qui voulait massacrer les gauchos et le niveau où il y avait un WC commun à tous ces pensionnaires dont je faisais partie mais même pas une douche, heureusement il y avait à côté un bain public ) - prudent et découragé de vouloir m'y enfermer par passion et par avance après certaines lectures de jeunesse tellement sérieuses (dont je n'ai saisi l'humour que plus tard, peut-être en lisant Montaigne, ça m'a aidé) , pouvais-je être sérieux quand j'avais dix-sep ans ! (mais j'en avais fait le choix et m'y soumettais par attirance et peut-être une variété de haute ambition, haute comme mes étages un peu archaiques, pas celle de dominer, celle d'essayer, vanité des vanités, de comprendre un peu tout ça) - d'un naturel plus curieux que téméraire, je dormais le matin tard, séchais les cours le plus souvent, ron-ron, redites de livres déjà écrits, trop de monde dans les amphis pour les cours communs avec les psy, lisais l'après midi tranquille, attendant le coucher du soleil, sortais le soir assez tard, et . . . . en perspective, au fond d'un couloir labyrinthique déservant des pseudo-palais compliqués, j'ai toujours gardé à l'esprit, cliché noir et blanc, visage rose, paupières un peu closes, ce regard scrutateur et plus désabusé que sévère qu'on voit au portrait de Descartes, maître de mes maîtres, regardant le spectateur au-delà des siècles sur le tableau de Frans Hals dont Alain disait qu'il y lisait (ou entendait) en miroir de celui, élève ou mentor, qui le scrute, une réflexion caustique (il faudrait la mettre en bulle non papale mais bédéiforme, sur le tableau dans le noir au-dessus de la tête, ce serait clair et bon, en écriture un peu penchée, manuscrite, bien formée) du type :
                                                     "encore un qui va se tromper".


Prudent, réfléchi, mais aussi plus pressé que velléitaire, il m'arrive cependant quand je n'applique pas ce principe de précaution pourtant évident pour qui souhaite organiser sa vie dans les grande lignes et surtout à long terme sans la perdre ou la gacher d'un coup, voire immédiatement (qu'en savais-je alors de ma vie ? de ce qu'elle allait suivre comme cours) d'aller droit vers un chemin inconnu y compris escarpé, par pur instinct ou même par bravade, quittant toute prudence, c'est à dire rigoureusement toute évaluation incertaine du contexte (c'était la guerre d'Algérie et des manifestations violemment réprimées dans la rue, tentant de suivre les mouvements publics assez houleux dans une ville aux violences contradictoires où il y avait sans arrêt des interventions dans les gymnases ou les salles de cinéma, des ténors de l'opposition et des philosophes professionnels, rhéteurs et sophisticateurs, en conférences ou débats), . . . . , bref, . . . /
. . . . . . il m'arrive et c'est sans doute une tendance contradictoire n'excluant pas la méditation et parfois, au fond, en toile de fond, la prudence, de soupeser longtemps et de décider d'un coup de tête avec qui vivre ou me battre ou même d'avoir des aperçus sur des zones incompréhensibles comme ce dessin au pinceau que j'ai gardé longtemps mais aujourd'hui perdu, fait un jour dans une sorte de transe, sans savoir où il allait me mener, curieusement (est-il à mettre en rapport avec ce que j'aurais réeellement vécu trente ans après ?) de trois personnages portant flambeau, l'un vêtu de noir noir pur noir, l'autre de rouge rouge, le dernier de vert vert, descendant l'escalier obscur d'un boyau enfoncé au sol en tunnel infernal.

vendredi 8 mai 2020

Atacama 4

Dans cet immense pays-ruban, où on peut, coincé entre Andes et Pacifique, au plus haut, vagues et sommets, de leur majesté, rouler à l'infini sur la TransAm et bifurquer à loisir (il y a quand même de la place, vers d'immenses mines de cuivre à ciel ouvert où circulent en gradins circulaires des camions géants comme au Shaba (Congo : autres mines de cuivre géantes) mais encore plus au large, ou vers ces villes fantômes couleur de terre, nées d'anciennes mines de nitrate, presque en Bolivie,
nitrate d'explosifs ou de champs épandus, de carrières, de guerres, d'agriculture intensive comme si c'était tout un,
vers des forêts primaires subpolaires pliées et rabattues par le vent, la pluie, le froid, ou se retrouver après un café thibétain (reste d'un décor de film) à 13 km de l'Aconcagua, le plus haut pic d'Argentine et d'Amérique dont on crut longtemps, après la prospérité économique maximum d'un sous-continent vendant ses ressources à l'Europe affaiblie, par moments même affamée par deux guerres, qu'il atteignait les 7021 m, géant roc rongé régulièrement par de terribles frimas de glaces) . . .
. . . . quand je pense à l'Atacama, aride depuis sept millions d'années ou beaucoup plus,
ce sont les naines brunes qui occupent toute ma tête.

Vais-je arriver à être clair ? A décrire, sinon à comprendre ? avant même d'avoir compris . . .

Il y faudrait des années synapses, des années d'influx qui transpasseraient du cortex aux cellules de la rétine en irrigant les canaux et frappant chaque touche du clavier alphanumérique, des ondes radio, passant outre les mirages et miroirs de celles, gravitationnelles où déformées, repoussées par effet de rebond, d'écran, jusqu'aux limites superposées, des univers aux fonds obscurs et expansés.

Pour en finir, bien qu'ayant beaucoup aimé la géométrie froide, ses constructions homologiques, ses architectures calculées, ses replis sur l'analyse et résolu quelques équations dans ma vie, je savais déjà que mon cerveau lent, échauffé, tropicalisé, emporté au grès des vents alizés, jamais n'y allait parvenir.

Alors tout au plus tenter de lancer quelques messages manuscrits à l'encre violette dans des fioles forcément mal fermées, destinées à prendre l'eau ou s'embuer, se délaver, couler, au mieux, au pire, former des amas de papier buvard, phrases longues, enroulées, de mots enturbannés et de taches raturées.
Oui, quelques schémas, ça se pourait, épures enfantines.
Ravauder tout ça. Revoir, rapetasser.
Renfiler, repriser ces chaussettes qui retenaient le marc, pour raviver au jus noir, aspiré, ces souvenirs.

Relire cette thèse à laquelle je ne comprends goutte et qui parle "halots galactiques" et "lentilles gravitationnelles".
Ne pas hésiter à m'enfoncer dans ces obscurités.

Sauf que ce monde supposé connu, bien que si mal, parce qu'il est brillant, étincelant, clignotant dans la nuit, tous feux éteins sur crêpe en deuil profond, mat, au mieux bleuté, piqué d'astres, étoiles, planètes, soleils, nébuleuses, est doublé d'un obscur monde dont nous ne connaissons pour l'instant que le mirage déformé, flou, calculable par défaut. Naines brunes, géantes rouges, trous noirs, matière concentrée, opaque, éteinte . . . et que notre "univers chiffoné" (expression due à Jean-Pierre Luminet) est selon la blague des plus désopilants et indécrottables astrophysiciens, philosophes cosmologistes . . . vais-je faire un autre mini-chapitre pour ça ?
Ce monde là, là-haut, qui pourrait sinon nous effrayer, au moins nous donner à penser, ne serait aux dernières nouvelles que le lieu d'un combat entre . . . tenez-vous bien :
machos      &    wimps . . . .
Macho, c'est macho, ne cherchez pas, pareil en français et en anglais et ici ce macho out-sider des cieux platoniciens et angéliques apparaît par jeu sur les mots des chercheurs, pas à court de bonnes et grosses blagues machistes, en acronyme de Massive Compact Halo Object, c'est à dire d'un monde où la matière sombre à haute énergie, relique des origines du Big-Bang règne encore en maître et en pilier du monde, fut-ce sous forme d'énormes planètes éteintes.
Quant à wimp, au sens de femmelette, mauviette, dégonflé, poule mouillée, ne cherchez pas plus loin, acronyme de Weakly Interacting Massiv Particls, ce serait pour d'autres, l'hypothèse majeure expliquant l'invisibilité de cette matière qui pourtant gouverne les mouvements du ciel et s'impose aux calculs, une poussière multitudinaire de micro et chétifs éléments.

Ben dirai-je, nous voilà bien retombés là-haut dans le ciel dans les fantasmes les plus éculés, le monde gouverné par les gros mâles ou par les petites ou efféminées particules, au choix de votre imaginaire archaïque !

dimanche 3 mai 2020

Atacama 3.

Passant d'abord par l'inévitables en ces lieux, l'ambiance de la ville, le climat, les spécialités culinaires locales, brusquement, il se mit à nous parler naines brunes.

Les naines noires ou brunes, dernier avatar des naines blanches n'avaient pas jusque là retenu notre attention. Ni celle de ma compagne, plus occupée d'archéologie et de temples solaires, ni la mienne plutôt captée par les exigences de mon travail. Nous étions surtout tous deux plus accaparés par l'histoire récente et immédiate de ce pays où j'étais "en mission" au bord de ce sous-continent instable, explosif. Laissant mon épouse à l'organisation d'une vie sans monotonie, vues les circonstances, chaque matinée commençait pout moi dans ce modeste 4x4 tape-cul mais au petit moteur efficace que j'avais dû racheter à un jeune diplomate autrichien, faute de trouver aucun autre véhicule, réputé apte à franchir des pentes gravillonneuses ou ensablées, japonaise vraie 2CV du désert, par une écoute attentive des infos sur un trajet long où il m'arrivait par impatience et parfois nécessité de tenter d'échapper aux embouteillages terrestres universels, la moindre île maintenant, et déjà en ces temps lointains, regorgeait d'autoroutes surencombrées, en coupant par des traverses en terre ou en montant ou en mordant parfois sur les trottoirs de sable vides et mal aplanis, au bord de larges avenues où se pressaient sur la chaussée carrossable tout à la fois, enfants allant à l'école, piétons se rendant sur leur lieu de travail, souvent à des kilomètres, et marchands ambulants poussant ou tirant leurs carrioles, au milieu des voitures, bus, camions, rares attelages, pour ensuite sur la table de mon bureau me dépêcher de parcourir avant le premier rendez-vous, les principaux titres de la presse locale : oppositions, corruptions, concussions, scandales, coups de bluff, enlèvements, accrochages dans la sierra, grèves et pénuries et aussi, vital pour tous, le cours du dollar. Certes, il m'arrivait de porter les yeux vers le ciel lors d'exceptionnelles nuits claires extrêment rares sur cette côte pacifique des brumes et crachins perpétuels, pour y retouver la Croix du Sud ou telle constellation beaucoup mieux visible que dans notre hémisphère Nord, mais je n'avais prété aucune attention, sauf pour rire de leur dénomination peut-être, à ce postulat astronomique développé depuis les années 60 mais pas encore confirmé par l'observation.
Alors voilà, surprise, justement, notre interlocuteur était à propos de ces étoiles avortées, généralement trop petites pour être de vraies planètes bien que quelquefois plus grandes que Neptune, aussi éblouissant dans son ramage que l'était son plumage.
Du haut de son télescope de La Silla, à 600 km de Santiago, 2400 mètres au-dessus de la mer, dans les massifs arrondis du désert, sous un ciel constamment pur, au sein d'une équipe internationale, europénne en partie, il était, parachuté du CNRS, mettant entre parenthèse le monde qui l'entourait, un chasseur des encore hypothétiques naines brumes ou brunes venu, hors justement cette vie coupée du monde, se détendre et festoyer sur la côte avec quelques copains.

Regard illuminé quand il se lançait dans des explications qui nous dépassaient de millards de coudées et surtout d'années lumières, nous simples motels attachés aux petits accidents imperceptibles de la croute terrestre, il avait su nous captiver.
Nous avons passé une partie de la nuit à l'écouter.
Ce n'est que beaucoup plus tard que, de passage dans nos quartiers de retraite, il nous a remis sa thèse de jeune chercheur, faite de calculs incompréhensibles pour nous, mais généreusement dédicacée, parce que nous avions passé quelques moments suspendus à l'écouter dans une soirée de brume et l'odeur forte de fruits de mer en train de frire et de griller en nous projetant aussi loin que le permettait notre si faible faculté d'imaginer.
Voilà mon meilleur souvenir de l'Atacama.