samedi 11 septembre 2021

L'explication : Aline Zouvi face à Magritte . . et nous, regardant.

 La première fois que j'ai vu un tableau de Magritte "en vrai" c'était au Musée d'Art Moderne de Rio de Janeiro, ville où je vivais alors. Ce tableau daté de 1928 semblait, de loin, représenter deux bouteilles remplies d'un liquide sombre aux éclats rougeoyants, mais en s'approchant on découvrait à côté d'une bouteille remplie semblait-il effectivement de vin, une autre bouteille "hybride", composée de deux substances, verre contenant un liquide et aussi matière végétale, une sorte d'être en mutation, mi-bouteille mi-carotte. 

Ce tableau avait pour titre pour le moins inattendu : l'Explication

J'ai appris depuis qu'il avait brûlé parmi d'autres dans les remarquables collections rassemblées là. 

Rétrospectivement, chance inespérée et imprévisible de les avoir vues avant cet incendie qui s'est produit en 1978, à peine quelques années après ma visite éblouie. 

De le savoir, j'en garde encore une étrange impression quand j'examine un tableau de Magritte, comme si cette disparition, bien que fortuite - et bien que par ailleurs d'autres versions de ce tableau existent de par le monde - avait quelque chose à voir et à ajouter à cette oeuvre déjà si énigmatique. Car il me semble qu'autant qu'on tente d'expliquer Magritte, et les explications sur chacun de ses tableaux ne manquent pas, ces sages commentaires d'images sont tous insuffisants, fragmentaires et surtout très inférieures au défi que chaque oeuvre relance, à l'énormité interrogative contenue dans le corpus d'ensemble de l'oeuvre. 

Or tout se passe (suis-je objectif ou est-ce un phantasme personnel ?) comme si cette disparition particulière . . .  comme si, maintenant qu'elle a brûlée, "l'Explication", le tableau qui porte ce nom, emportait avec elle, avec lui, titre, sens, image, toute possibilité de saisir l'occasion de comprendre un tant soit peu cet univers global et unique (un univers semble-t-il retourné ou détourné de, volé ou récupéré à la source des  images hallucinatoires de la publicité).

Comme si ne nous restait plus que jamais qu'à tout saisir, hors toute ratiocination, dans la pure intuition subjacente, incorporée aux images.

Comme si l'oeuvre complète en demeurait vraiment, doublement, depuis, hors ce chemin . .  . . . encore plus impénétrable.

. . . .                        . . . . .                       . . . . .

Voilà les idées ou plutôt les impressions floues qui m'agitaient quand j'ai vu et revu, 

dans QUADRINHOS, l'anthologie de la nouvelle BD brésilienne publiée à Angoulême par les soins de ces deux stakhanovistes de la recherche internationale et de l'exploration du huitième art que sont Alain François et Elric Dufau-Harpignies, page 43 à 51 de la publication :

le remarquable travail graphique et scénaristique d' Aline Zouvi intitulé "Reproduction interdite", nom emprunté lui-même à un tableau de Magritte . . . lui-même sinon reproduit du moins dessiné schématiquement en noir et blanc et en traits vigoureux, en ouverture de la séquence que présente l'anthologie QUADRINHOS . . . 

Nous voilà prévenus, il s'agit ici (entre autres) d'un jeu de miroirs. Soyons attentifs. Encore pour pénétrer plus avant faut-il lire au calme cette "histoire en petits tableaux" pour traduire littéralement l'expression brésilienne qui se dit "comics" dans d'autres langues et expression qui ici s'impose comme un authentique jeu sur une suite effective de petits tableaux.

Alors qu'en dire de ce jeu sur le jeu ? 

Qu'en reste-t-il dans la rétine et dans cette mémoire cachée dans les circonvolutions de notre cerveau qui fait notre bibliothèque intérieure une fois "lue", parcourue des yeux, cette historiette absolument sans parole (ce mutisme étant l'un des mérites, et non des moindres, l'élégance de ce travail). qui s'avance comme un parcours dans le labyrinthe du mystère. 

Je ne vais pas vous raconter l'histoire (sans paroles) ni commenter le parcours en inutiles et extérieures explications d'images . . . (ce qu'on et que je reproche parfois aux si charmants et naïfs pédagogues, décrypteurs dans le détail d'intentions cachées dans le tableau).

Ce qui m'importe c'est de témoigner de ce que j'ai vécu au passage, dans ce parcours fort, si faussement et habilement simple, hallucinatoire, parcours de quelques pages, cheminement, interrogation-étonnement sur les révélations de l'oeuvre. Donc aucune légende, aucune note, aucune bulle explicative, ce qui se joue dans la succession des mini-tableaux, c'est le passage immédiat et constant, étonnant et direct, pris dans l'unité du trait, de plusieurs regards. Celui du spectateur de BD muette (vous, moi), celui des regardeurs de tableaux (le couple qui visite l'exposition du Musée de Bruxelles) et celui, multi-facétique du gardien du trésor peint qui, lui, spectateur posté devant les écrans où sont reproduits tous ces éléments cachés dans ce musée regorgeant de tableaux, d'énigmes, de spectateurs, chacun formant tableautin ou image agrandie. 

Mais j'ai vécu dans ce parcours aussi, en parfaite concomitance et chemin faisant, possibilité cachée, appelée, qui se dévoile peu à peu comme jeu, dans ce jeu de "reproduction" (interdite!) ou de miroir complice, une vraie histoire, en parallèle, prise dans le même mouvement d'une gestuelle évidente et simple, l'idylle d'un couple et son facétieux tableau final, en accord total (et en pied de nez au sérieux engoncé du fastueux et royal musée) avec l' artiste qu'il vénère.

Pour tout dire, allez-y voir, vous m'en direz des nouvelles. Se glisser comme ça au sein de l'énigme et y jouer, il fallait le faire !