samedi 31 décembre 2022

Edouard Manet.


 Pourquoi cette image d'un homme mort, un torero, "un des plus beaux, des plus curieux et plus terribles spectacles que l'on puisse voir" , morceau de tableau découpé et retravaillé, 1864-65 apparait-il ici au détour de ma mémoire ?

vendredi 30 décembre 2022

Alphabio(pic).

 Vous aurez sans doute remarqué à quel point ma vie est loin d'être un (alpha)biopic.

Ni cinématographique, ni alphabétique puisque je laisse au lecteur toute latitude pour imaginer les scènes que je ne fais que très succinctement évoquer, d'une part et que d'autre part, je n'ai même pas envie de les ranger par ordre alphabétique car, pour le moment du moins, je préfère le grand désordre du tout venant de ma mémoire au jour le jour, d'impulsions qui viennent et vont à leur gré. Qu'enfin surtout, le biopic repose sur la célébrité du sujet dont on met au point la biographie alors qu'en ce qui me concerne, je suis un parfait inconnu. Par surcroit, un inconnu cachant son identité sous un pseudonyme au cas où une infime parcelle de notoriété surgirait au détour d'un récit trop précis.

Pourtant, j'ai eu ma part de succès quand je racontais dans un blog maintenant détruit, disparu, irrécupérable, ma vie de "lapin qui tenait le haut du pavé dans la noble rue du Sceau du Lièvre", c'était à peu près son titre ridiculement accrocheur pour les esprits naïfs. Les lecteurs attirés par tant de vanité enfantine (quel âge pouvaient-ils avoir ? de 8 à 88 ans et quelquefois plus jeunes ?) accouraient du monde entier. Je les saluais peu à peu, à mesure qu'ils se présentaient comme lecteurs situés sur la petite sphère, venus des coins les plus inattendus? Sauf  longtemps d'Australie, sans doute à cause du souvenir de cette triste affaire de lapins ravageurs qu'ils ont du là-bas massacrer en utilisant l'arme biologique de la myxomatose, jusqu'à ce que je les interpelle nommément et les appelle à une réconciliation, ces lecteurs potentiels, en tant que citoyens d'une nation s'étant livrée à quelques pratiques discutables et alors ils se sont mis, eux aussi, à lire, avec ou sans profit, ces aventures incroyables du Lapin Universel aujourd'hui devenu mythique et oublié de tous sauf de quelques amis privilégiés qui parfois m'en donnent des nouvelles.

Ainsi puis-je espérer au moins que ces récits jetés au grand malstrom des aléas du Net n'ont pas fini de sombrer dans l'oubli d'un trou noir d'où ils n'atteindront pas, par leurs éclats éteins depuis déjà longtemps, les gens, amis, ennemis, que j'aurais pu décevoir ou blesser ou même irriter, exaspérer, contrarier ou traiter dans mon élan, alors que j'étais encore habité de l'énergie nécessaire à une vocation, à une ambition, à la réalisation de projets impliquant les autres, avec une aveugle injustice ou quelque irréparable brutalité.

Je me souviens d'avoir grillé des feux et roulé sur un trottoir pour échapper à un embouteillage monstre à Lima. Tout ça pour arriver à l'heure à un rendez-vous qui me paraissait capital. Je ne crois plus être capable de cet emportement cynique à la 007. 

. . . . . / . . . . / . . . . . . 

Pourtant je me revois encore dans ma petite Susuki deux portes tout terrain, entretenue par un garagiste japonais génial, capable de franchir des dunes ou des à pics de carrières ou de mines dans ce pays ne fabriquant pas de voiture et où toute importation était impossible et où j'ai crapahuté pas mal, pas seulement en prenant d'assez vieux avions, en roulant sur des routes peu encombrées mais sur lesquelles le danger pouvait surgir sans . . . . et d'incroyables pistes où ne passaient que des camions prenant toute la largeur . . . 

Je m'y revois de temps à autre avec Henri et Marinette Cueco dans le désert de Chancay rempli de tombes anciennes d'où émergeaient dans les replis de sable, comme des naufragés dans les vagues d'un océan terrestre, cranes, ossements, tissus des suaires à motifs d'oiseaux. Marinette qui, à peine en retrait de son fameux époux, peintre et écrivain critique et militant, a tissé toutes sortes d'herbes dans son atelier, était fascinée, elle ne pouvait s'arracher du lieu. Nous avions pu observer juste avant ces petits oiseaux vivants capables de sauter dix ou quinze fois leur hauteur d'une simple détente pour faire la cour à leur belle, . . . . . . Et nous flottions, nous aussi naufragés vivants, au milieu des fragments de poteries, de tombes éventrées, celles de leurs lointains ancêtres, déterrés, sortis du sommeil sans images par des populations de "huaqueros", fouilleurs de tombes, sol ouvert sur le passé refermé, trop accessible, conservé dans la sècheresse du sable . . . corps desséchés, cheveux conservés, collections de générations entourées parfois de leurs provisions, de leurs objets, enfants et morceaux de corps de poupées.


mercredi 28 décembre 2022

Bug.

 Que le bug soit un acronyme ou un insecte (punaise par exemple) peu importe, le résultat est là, impuissance, dégout, ça beugue, ça plante et c'est piquant comme une bogue de châtaigne qui ne veut pas s'ouvrir, ça fait mal au bout des doigts mais aussi, aussi bien  hélas qu'au profond de moi.  

Car plus rien ne marche, esprit et corps, à supposer qu'il y ait deux entités vraiment distinctes, paralysie subite sinon pour attaquer notre infinie passivité et patience face aux usures, aux tyrans et aux machines, pour nous faire vivre le découragement maximum face à tous ces virus surgis en même temps du système déjà pourri et gangrené qui se referme sur, huitre récalcitrante à l'écaillage, l'immobile idiotie, l'insurmontable débilité, l'ineptie profonde, la niaiserie figée en rictus, l'incurie congénitale dont nous avions cru sortir avec, par dessus le marché, outre les grossières machines à forer, à transporter, à concasser, à bétonner, à ouvrager le monde, nos puissantes et parfois désobéissantes mécaniques électroniques.

Etait-ce mieux avant ?

Quand ce qui beuguait c'était nous, nous mis à nu, le fonctionnement même de notre administration, les rouages qui n'accrochaient plus dans son fonctionnement hiérarchisé et démultiplié, les grippages, ou quand ça provenait des limites même de la nature humaine parfois aussi bornée que le réflexe répétitif de l'insecte qui remet sans arrêt sa proie au même endroit avant de l'engranger dans sa caverne quand l'observateur intervient en la déplaçant ?

Ou est-ce pire quand c'est au niveau du nuage créé par la grande machine à ordonner, celle qui nous aspire dans cette spirale de faux désirs multipliés et renouvelés, entassés en multiples rideau de leurres sans fin, lointaine et omniprésente, qui enregistre tous mes gestes, mots et pas, un à un, dans les tuyaux, ramifications, lobes et sacs à pustules et pastilles de ces algorithmes tant vitupérés, ou au niveau même des conceptions architectoniques de l'Intelligence Artificielle, I A, ahanement court, blessant, menaçant, devenue venimeuse et hypnotique, serpent, monstre géant, dragon volant, pièges qui nous surplombent et nous capturent dans le vide du ciel, substitués à la Providence dans nos nouvelles religions du tout digital, tout virtuel, tout doit disparaître en tant que tel et passer en moulinette ? (Il m'en souvient de cette cérémonie des papiers réduits en miettes et jetés des fenêtres dans tous les bureaux des buildings en tours et grattes ciels du Nouveau Monde, pour le jour de la Saint Silvestre).

A priori je dirai qu'aujourd'hui tout ce conjugue, se surajoute, se surimprime (défaut d'enroulement de la pellicule et du scénario qui produit l'effacement et le pire : ? ) : 

le Charlot des Temps Modernes reste mitonné de Kafka et de Courteline, raconté, recuit en contrepet par la verve merdique de Louis Ferdinand Céline, emporté jusqu'à l'absurde (que vient faire ce salon Louis XV à la fin dans 2001 Odyssée de l'Espace qui ouvre anticipativement nos espoirs déçus ?), (depuis tant de choses sont passées sur nous, par dessus et nous ont aussi traversés !), recyclé plus tard, beaucoup plus tard, et aujourd'hui en style ensablé, désertique, féodal, de Dunes, en best seller  libidineux à la Où-est-le-bec et banalisé en plus moche encore par le réalisme collectif cra-cra en parti pris du plat qu'on me ressert . . . des Années, vous savez ce "meilleur roman" du nouveau Nobel (je viens vainement d'essayer de le relire, à se flinguer je dis, d'autant que de cette même génération dont on me parle dans ce roman en photos-flash, j'ai vécu tout ça).

Bon tout ça n'a rien à voir, je vous l'accorde, sauf que je trouve que ce bientôt quart de siècle bien entamé manque un peu, pas d'allant, il y va toujours au pire ! mais d'enthousiasme et de raisons d'espérer. IL ressasse. Il achoppe. Il rate. Il n'invente que de nouveaux pièges et nous rejoue ce que nous ne savions que trop déjà. Il beugue méchamment.

lundi 26 décembre 2022

Design.

 Encore un mot rapté qui a changé totalement sa destinée, du coup.

De banal il est devenu noble, recherché, voire snob comme ces objets utilitaires encore plus banals que le design remodèle en leur donnant de l'originalité, de l'allure, une personnalité remarquable empreinte d'invention et d'astuce telle qu'on la remarque au milieu de cette foire à la médiocrité qui nous entoure et encombre nos gestes autant qu'elle leur est utile.

Et ce que je vais dire n'est pas de la faute aux designers ou désigneurs et désigneuses, mais à ceux qui les emploient et ne se donnent pas suffisamment la peine d'expérimenter ces nouvelles formules qu'il mettent sur le marché.

Ainsi ces magnifiques chaises aussi inconfortables que des fauteuils Louis XVIII.

Ainsi ces couteaux qui en tombant cassent le carrelage tellement leur mache plein et lourd les fait facilement basculer de l'assiette ou de la table.

Ainsi ces semelles de chaussures de course ou de marche, spécialement les "running" aux dessins et aux trous avenants et sympas qui au bout de quelques mètres ramassent, incrustent et collectionnent, au point qu'ensuite ils raclent un sol lisse comme on raie une surface gelée, de petits et gros cailloux de tout genre, spécialement enfoncés de biais, dans le sens coupant, normal vue la variété des profonds trous dont elles sont parsemées, trous dont la fonction est d'emmagasiner et d'emprisonner les réserves du Petit Poucet.

(Cette femme tombée à la renverse sous son) Citronnier.

 Certains s'en souviendront peut-être, elle n'était pas morte ainsi brusquement sans que personne ne s'en avisât.

D'une part, cette scène bizarre qu'elle formait dans ce qui restait de ce jardin de la villa qui portait ce nom "L'Oasis" entre voie rapide, voie ferrée, empilées et boulevard à grande circulation, avait capté mon attention de promeneur en zones interlopes et d'autre part, poussant la barrière j'étais entré au jardin pour lui tapotant la joue d'abord, la relever ensuite>.

Désormais je passerai la voir ou au moins la saluer de temps à autres infléchissant pour elle mes itinéraires d'ailleurs aléatoires. Elle m'a appris une chose, les contes de fée n'arrivent pas que dans les récits pour les enfants à Noël, son fils qu'elle n'avait pas vu depuis des lustres, celui qui vivant en Australie ne venait plus, est passé la voir.

Crimes.

 Pendant des siècles, des millénaires, on avait couvert tous les crimes, même les crimes de masse pourrissaient sous des draps, des couvertures, des édredons de silence, la loi de l'omerta, d'étranges justifications doctrinales, des raisons théologiques ou d'incarnation de l'Etat et sous le boisseau de l'ordre du monde, des étouffoirs publics hiérarchisés, organisés en castes, des monceaux de pierres tombales sans gravures et sans portraits, des collines de terre, des tombereaux d'indifférence en réponse à la souffrance.

Aujourd'hui, au moindre attentat individuel perpétué par un fou, on manifeste et hurle en masse, on lève des drapeaux, on crie des slogans, on défile en vagues aux couleurs criardes, on brandit des pancartes. 

Cette dramatisation, cette mise en scène et en chorégraphie changera-t-elle notre aptitude à tenter de résoudre tous les conflits humains en tuant notre prochain ?

(L'odeur des) Champignons.

 La mythologie des champignons, la mycomythopassion a occupé une longue partie de ma vie, au moins quarante ans.

C'est que dans mon enfance, influencé par mon père et mon grand oncle j'ai parcouru les bois dans leur odeur, ou du moins celle du milieu qui les accompagne et les prépare, bois et terre mouillée, les châtaigneraies, les sapinières, les bois de chênes, les landes en bordure, jusqu'aux confins de rivières et de marécages où il fallait absolument éviter la zone des sables mouvants, tourbière et autres pièges de boue.

C'est que ces pèlerinages quasi-sacrés à la recherche de l'énorme cèpe pas trop vieux et pas encore bouffé des vers, ou du jeune plan de bolets à tête brune à peine sortis de la mousse, s'accompagnait de récits, la grand mère enfant de moins de dix ans qui avait chassé le loup à coup de pélerine sur le museau, les protestants puis les résistants cachés dans la montagne sous ce dolmen presque entièrement enterré qui formait une longue table sur une crête couverte aujourd'hui de hêtres, celle de l'ermite qui avait vécu là se nourrissant uniquement de ce qu'il y trouvait, fruits sauvages, racines, tubercules, salades, champignons.

dimanche 25 décembre 2022

(Les six) Apocalypses.

 Je les avais placées au-dessus d'un placard.

Elles ne sont pas encore apparues. Pour l'instant il ne s'agit que de petites toiles tendues sur cadre, vendues et achetées je ne sais plus, chez LIDL ou ALDI, achetées par précaution, pour si un jour . . .

Il ne me reste plus qu'à chercher les thèmes pour en faire de futures illustrations de mon roman parcellaire interminable, avec la Grande Apocalypse, celle qui est déjà peinte avec sa sphère centrale inquiétante, à retoucher dans un bain plus nettement dramatique, de sel, de souffre et de sang.

Ensuite quand j'aurai les thèmes, il me faudra les peindre avec des pinceaux minuscules, et ça sera presque impossible tellement je suis maladroit, brouillon, peu précis au pinceau, mais plus obstiné tu meurs. En fait, il y a des années que j'y songe.

samedi 24 décembre 2022

Deux Chevaux (3e épisode).

 Promis, après c'est fini sans doute, plus d'histoire de Deuch.

En effet, il ya longtemps que je ne conduis pas de trépidante, pétaradante, dansante sur ses amortisseurs en balancelle, 2 CV tous les jours ni même en week end et je ne compte pas m'y remettre de si tôt, a priori.

Cette fois-là, donc . . . c'était, sans doute, la dernière. 

C'est une histoire vraie mais un peu compliquée, une histoire d'époque. 

C'était avec et pour une amie provisoirement et non officiellement recrutée comme traductrice à l'UNESCO, une Argentine réfugiée à Paris en cette époque de Colonels à la grecque ou à la brésilienne ou, plus tardivement, à la chilienne, une époque longue en Sudamérique, où on jetait encore les opposants au large dans l'océan du haut des avions militaires après les avoir torturés et où des forces spéciales agissant à l'étranger au travers des ambassades, pouvaient encore poursuivre ceux qui avaient réussi à fuir. 

(Parenthèse, je sais bien que ces pratiques qui ont fait le tour du monde ne sont pas révolues.)

Elle devait traduire un article que j'avais écrit et devait le remettre en mains propres à un des responsables de la publication dans laquelle il devait paraître. Mais dans une vie mouvementée, pour elle surtout, enfuie de son pays mais y ayant laissé amis et proches, tout cela avait pris du retard et il fallait porter le texte en Normandie pour le remettre à ce directeur de rédaction qui y passait quelques jours de congés dans sa chaumière. 

De mon côté, je ne voulais pas aller là-bas, après tout ce n'était pas essentiel, personne n'allait en souffrir si cet article ne sortait jamais, et j'avais un emploi du temps à Paris déjà surchargé pour d'autres taches qui allaient être négligées. Je continuais à résister mais, finalement, avec son insistance de femme habituée à tout arracher en combat contre la fatalité, elle me força la main. Elle voulant à tout prix que je conduise "sa" 2 CV qui stationnait illégalement à Paris au bout d'une impasse peu fréquentée, avec la plaque étrangère du propriétaire auquel elle l'avait empruntée pour quelques jours pendant qu'il était en mission ailleurs. Rendue prudente par sa vie de militante recherchée, je crois qu'elle voulait surtout sortir de la capitale incognito et ne pas risquer d'être, accident ou hasard, repérée au volant d'une voiture ne lui appartenant pas, ce qui l'aurait en premier lieu signalée à son ambassade. 

Tout ça ne serait guère envisageable aujourd'hui . . . mais dans ces années-là ça avait marché. La voiture était toujours là, pas à la fourrière, sans un PV sur le pare-brise; peut-être en partie grâce à la protection de cette plaque d'immatriculation compliquant et filtrant l'application des mesures pourtant  radicales de la police de la capitale.

Donc, nous partîmes et rencontrâmes des gens très sympas et leur apportâmes et ouvrîmes pour eux les huitres que nous avions trouvées directement chez un producteur, dans un petit port côtier juste avant d'arriver chez eux, en repas convivial.

Mais juste avant le retour déjà un peu retardé par le plaisir que nous avions eu à prolonger le fait d'être ensemble, retour prévu avant le week end pour éviter les embouteillages, nous tombons en panne, garagiste, nouveau retard, et nous voilà emportés comme tout le monde, moteur remis en route, révision rapide faite, vers un retour à Paris en cette fin de week end suivi de jour férié, dans un des flots de véhicules dont les voies d'accès à la capitale ont sinon le monopole du moins le charme récurrent, flot tellement chargé, que l'engorgement des routes et tronçons d'autoroutes nous avait finalement bloqués, et tout le monde s'était arrêté au bord de la route et nous commencions à parler entre inconnus à raconter des bribes de nos vies disparates et même à nous faire gouter les sandwiches, les boissons et les encas que nous avions emportés. Il y avait je m'en souviens encore quelqu'un qui avait du pain de miche et un saucisson sec à point et savoureux comme on serait bien en peine d'en trouver un aujourd'hui.

Elle me dit, et je la crus sur parole car elle fréquentait de temps à autre avec d'autres exilés le même bistrot que lui dans le quartier de la Bastille, ce qui serait sans doute aujourd'hui encore plus inimaginable que de garer, gratuitement et illégalement à un endroit interdit, sa voiture à Paris : 

- Tu as lu, il nous l'a racontée avant de l'écrire ou après je ne sais plus (et non je crois que je n'avais pas encore lu ou fini de lire le recueil "Tous les Feux, le Feu") cette nouvelle de Cortázar où il raconte un embouteillage monstre sur autoroute qui brise la solitude et le quotidien de chacun dans sa petite auto, mais juste un temps hors du temps.

Romantisme.

 Quel mot dévalué !

C'est le cas de tous, ne parlons pas du mot "surréaliste", quand j'entends "c'est surréaliste" mon sang ne fait qu'un tour, heureusement pour moi, nous ne sommes plus à l'époque des duels, aussi agressif et agile sois-je, j'aurais bien eu cent fois l'occasion d'un trépas maladroit sans victoire et sans gloire.

Mais revenons au romantisme qui fut un mouvement de rejet de toutes les règles, inculquant aux poètes et dramaturges le retournement des mièvres et hypocrites valeurs anciennes, la fascination derrière le réel oblitéré, déguisé, effacé, derrière la bienséance, celle du mal, du faux, du laid, de l'horreur, de la ruine, de la dégradation, de la mort, la beauté obscène du crime ou la délectation des mystérieuses et obscures origines de notre jouissance et de notre histoire profonde, qui ouvrit la porte aux plongée freudiennes et qu'aucune musique déjantée d'aujourd'hui ne saurait renier,

comment, par quel retournement linguistique bêta max, a-t-il pu devenir synonyme de ce qui est supposé au moins en surface animé d'un sourire doux, rêveur, sentimental ?

Mais . . . peut-être n'y a-t-il pas contradiction absolue . . .

Notre société n'avance-t-elle pas, sous le masque de visages amènes, accueillants, compréhensifs, indulgents, sous l'angle de la coparticipation, d'une empathie bien naturelle à la race humaine, de mots témoignant de l'attention à l'autre, de voix de miel, des solutions de plus en plus excluantes, radicales, cruelles ?

Plus je vois d'actes de charité et de bons sentiments étalés plus je sais qu'ils recouvrent les agissements d'un système condescendant parce qu'écrasant sans scrupules les masses misérables et finalement la majeure partie de l'humanité.

Deux chevaux (suite I)

 Je crois que c'était avant, un peu avant - car avant cet accident qui n'était de mon fait que comme moniteur bénévole - j'avais justement la réputation, mais ce n'était que relatif, d'être un assez bon chauffeur déjà chevronné et tout type de volant, j'avais eu cet incident avec une amie apprentie psychologue qui m'avait fait conduire, elle disait ne pas aimer conduire, son vieux trast, heureusement sur un assez court trajet, son char, une vieille 2 CV peut-être accidentée et de toutes façons mal entretenue et restaurée "qui tirait à gauche" comme elle avait dit pour me prévenir. Ben oui, elle tirait tellement à gauche que j'avais, bien sans le vouloir, mordu la ligne jaune continue dans un tournant surveillé par deux motards qui venaient de s'y mettre aux aguets dont l'un qui sans quitter son casque souleva ses lunettes pour me dire quand il m'eut fait signe de me garer sur le bas-côté :

- Vos papiers, j'espère que vous êtes en règle.

Je lui présentais mon permis à trois volets roses que j'avais obtenu un peu par chance, quand on débute même avec un peu d'expérience on est assez pataud, en manœuvrant, j'en étais rétrospectivement fier, dans un quartier animé de Toulouse où l'examinateur m'avait fait faire sadiquement, m'ayant prévenu de m'arrêter un peu tard, une assez longue marche arrière pour me garer. 

- Profession ?

- Elève-professeur.

-  . . . .

- Etudiant ? finit-il par articuler après s'être creusé la tête pour ramener mon cas à une case connue.

- Oui, j'essayais d'expliquer simplement, je suis en apprentissage pour devenir professeur après un concours. 

C'est alors qu'il me déclara que c'était précisément ce que son fils souhaitait faire. Je lui proposais de lui donner des conseils et éventuellement même de l'aider. Tout plutôt que de le voir s'intéresser à l'état de la voiture. Ma copine me donnait de petits coups dans les mollets, usant de sa chaussure excessivement pointue. Sans doute pour que j'abrège la conversation et que nous repartions au plus vite.

C'est à ce moment là qu'apparut un véhicule écarlate, trapu et collé à la route, qui débordait largement sur le milieu de la chaussée et dont le conducteur, au lieu d'obtempérer aux signes des policiers, voyant la scène que nous formions, s'éclipsa dans une accélération vrombissante et quelque peu insultante. 

Je n'ai jamais vu un motard démarrer ainsi, l'ai-je rêvé plus tard dans d'autres circonstances ? il me semble que celui des deux qui ne s'occupait pas de moi, fit partir sa moto toute droite et seule sans cavalier, comment cette manœuvre était-elle posible ? je n'y connais rien en moto . . . et dans l'élan, sauta dessus comme sur une monture vivante avant de faire encore un véritable bond de cascade par dessus le talus qui bordait la route pour entamer sa poursuite, bientôt suivi par son comparse qui nous abandonna.

Ainsi grâce au chauffard à bolide, avions-nous sans doute évité l'immobilisation et la réquisition du véhicule dont l'inspection allait révéler la direction faussée, les feux hors d'état et les pneus usés jusqu'à la corde. Toute ma vie depuis je me suis défié des psy, et surtout de leur rendre service, motorisés ou pas.



mercredi 21 décembre 2022

Inondations.

 Tout à coup je m'interroge. 

Si Léon Ménard dans son ouvrage sur l'Histoire de Nîmes, terminé en 1758 calcule que depuis 1399 jusqu' à lui, il y a eu 7 inondations catastrophiques à Nîmes, soit une tous les 50 ans, on peut se demander pourquoi il a fallu attendre la dernière très grande, celle de 1988, pour que peu à peu et pas immédiatement, les édiles locaux se décident à agrandir considérablement les "caderaux" souterrains, ces rivières sèches creusées naturellement puis canalisées - de cadere en latin : tomber - au cours des siècles pour recueillir l'eau tombée du ciel en très grande abondance, comme toute une année à Paris, ici parfois en 24 heures.

Deux chevaux.

 J'ai un rapport spécial aux deus chevaux, les voitures mythiques, outre le fait que je dis maintenant : vieillir c'est comme être jeune et conduire une vieille 2CV accidentée, ça tire un peu à hu et à dia mais faut faire avec. La direction déjà dure et les vitesses à passer, faut carrément tirer dessus, ça résiste. Gare aux sorties de route.

La première deux chevaux que j'ai eue qui se balançait sur une longue route de campagne pour aller voir ma mie en week end, chez ses parents alors que toute la semaine nous étions déjà ensemble, fonctionnait très bien mais la route à cette allure était un peu longue. Nous l'avons pliée cette première chignole que nous avons eue (peu de temps) en pleine nature et aurions pu y passer, moi surtout.

Voici comment. Ma mie ne savait pas du tout conduire, moi j'avais commencé avec mon père très tôt, traversant des villages déserts heureusement sans trop ralentir ni savoir comment rétrograder. Elle ne savait rien et hardiment nous lancions, elle au volant sur des routes vides mais un peu tortueuses de sa contrée vallonée quand elle rentrait de ses études chez ses parents chez lesquels je venais la voir et où nous n'étions pas sensés nous livrer à des leçons d'inconduite. En haut d'une petite colline, il y eut un tournant un peu brusque qui nous conduisit au-dessus du vide mais où des noisetiers nous empêchèrent de tomber tout à fait, nous avions peur de sortir du véhicule et de le faire totalement basculer, elle au volant, moi du côté du vide mais penché trop tard sur le volant pour essayer de corriger, beaucoup trop tard la trajectoire, ayant pris le rétroviseur et son son axe-support dans l'arcade sourcilière et le front et saignant comme un bœuf à l'abattoir.

Ainsi mon futur beau-père put-il me ramener à mes parents affolés, le crane enturbanné comme un grand blessé de ma première guerre d'amour.

(à suivre . . .)


mardi 20 décembre 2022

Rideau rouge (le).

 Il a flotté quelques temps place St Sernin à Toulouse, face à l'énorme  basilique, tout en haut de cette haute maison de briques derrière une petite fenêtre devant laquelle, après avoir habité un temps de l'autre côté de la Garonne, ce qui m'obligeait à courir sur le Pont neuf bicolore tout rouge et blanc pour ne pas arriver trop tard à la Fac de droits et de lettres, je restais ébahi d'avoir pour un prix modique de chambre de bonne, cette vue sur l'élégante tour octogonale et j'étais, c'était incroyable, si proche de la rue des Lois où avaient encore pignon sur rue la plupart des disciplines littéraires et sciences humaines, que ça me permettait, après m'être couché très tard, de me lever très tard encore et d'arriver encore en retard mais tranquillement. Même pour un exposé sur l'origine du féminisme que j'avais choisi en sociologie et que j'avais organisé en me servant presque exclusivement d'Olympe de Gouges née à Montauban, courtisane et militante des droits humains qui combattit autant contre l'esclavage que pour l'égalité des femmes et qui affirmait face à Robespierre ou Marat " Le sang même des coupables, versé avec cruauté et profusion, souille éternellement les révolutions"  peu avant de verser le sien sur l'échafaud.

Ce rideau permettait à mes copains/pines de savoir si j'étais éveillé ou pas, selon qu'il était tiré ou pas, et de monter éventuellement me voir après ou avant les cours, ou pas. Il y avait toujours quelque chose à boire dans ma thurne, au moins du jus de pomme dont je buvais des litres.

Il est vrai que j'étais plus noctambule que diurne en ces temps-là, de réunions en cinémas, de manifestations en déambulations et autres "dérives" où nous n'en finissions pas de débattre et discuter nos projets d'avenir et ceux que nous prêtions au monde à naître, nous n'en doutions pas. Quand j'étais absent de mon dernier étage, je n'étais pas forcément en train d'écouter une conférence ou un cours ni studieusement en train de me chauffer à la bibliothèque universitaire toute proche. Après les classes prépas, les quelques cours suivis en Fac me paraissaient bien fades. Les profs y répétaient avec de moins en moins de conviction ce qu'ils avaient cru trouver dans leurs recherches d'antan déjà consignées dans leur thèse qu'il suffisait d'aller un peu feuilleter et qui avaient été souvent commentées ou, sortant de là, se bornaient timidement didactiques à quelques tableaux d'ensembles qu'on trouvait presque aussi détaillés ou identiques dans de vieux ouvrages généraux chez les bouquinistes.

J'avais donc organisé une vie libre et parallèle à celle qu'aurait dû me dicter mes devoirs d'étudiant appliqué. Une année entière de psychologie à étudier les mœurs de l'épinoche, un poisson moche et peu passionnant, qu'on me comprenne, face aux richesses de la vraie vie humaine que je commençais à peine à découvrir au sortir d'années de bûchage et d'internat, ça ne pouvait pas résister longtemps.

Ainsi, déjà sans sortir de ma chambre où ne trônaient ni cours polycopiés, ni fières étagères de livres universitaires au programme, on pouvait se faire une idée de mon émancipation des milieux scolaires et universitaires.

Ma chambre était entièrement recouverte sur tous ses murs d'images du monde arrachées à des revues, hommes politiques vociférant, troupes en mouvement, manifestations de rue, images de grèves, peintures rupestres, fresques, destructions au bull de banlieues pourries, ce qui créait alors qu'elle n'était éclairée que par une sorte d'assez petite lucarne, celle du rideau rouge, une impression de caverne qui pouvait en effrayer certains mais pas ma voisine qui rapidement est devenue, alors qu'ayant des horaires totalement différents et jusque là plus sages, elle ne m'avait jamais vu apparaître, le jour où un peu par hasard, elle est entré pour me demander un service, pour devenir à jamais la dulcinée du Don Quichotte que j'étais. 


lundi 19 décembre 2022

Toubib.

 J'ai eu quelques amis médecins. 

Le premier qui était une autorité en franc-maçonnerie, perso j'ai toujours été un franc tireur ami mais réfractaire, voulait m'envoyer au Chili d'Allende ça n'a pas marché, 

le deuxième était un Pied noir qui a contribué à me faire adopter le jardin comme mode de vie pour le maintien en vie, après que je me sois épuisé à creuser sous ma maison pour agrandir les caves, 

la troisième était une femme qui n'a pas réussi à guérir mes allergies et qui trouvait que je ne savais pas respirer, les gens qui ne me connaissent pas pensent en effet que je m'étouffe, ce qui n'est pas faux, mais c'est ça qui permet à mes phrases interminables de se prolonger,

le quatrième, l'actuel, n'a rien dit mais j'ai bien vu qu'il souriait quand il a vu la tête de mort inscrite en blanc sur mont T shirt noir quand il m'a ausculté lorsque je suis venu le voir en catastrophe avant son départ en congé pour obtenir une dose suffisante de paracétamol pour affronter mon Covid tardif.

samedi 17 décembre 2022

Barabar.

Rêvé parfois de rejoindre au Nord de L'Inde ces grottes de Barabar où l'épigraphie achoppe, où le travail d'inscription de l'homme se heurte à un miroir. Tellement le granite gravé rejoint le polissage en saga du sage, effaçant toute destinée.

Kakapo.

 Il fut un temps où je rêvais de mourir jeune d'une mort romantique, absurde jeunesse, puis vint celui où je m'efforçais de croire que j'arriverais à faire presque aussi bien qu'un herbivore Kakapo. C'est à dire entre 95 et 120 ans de longévité. Aujourd'hui, et de moins en moins, je ne m'avise de me moquer du Kakapo, seul perroquet qui ne vole pas, le plus lourd, le moins monogame, l'un des plus choyés comme espèce protégée en voie de disparition. J'ajouterai l'un des plus grotesques et ridicules parmi ses congénères presque tous si attachants, sauf, autre habitant de Nouvelle Zélande, le vraiment trop diabolique, beaucoup moins lourdingue; presque son opposé, acrobatique et astucieux perroquet de montagne, briseur d'essuie-glaces et saigneur de moutons, le Kéa.

Il est vrai que très illégalement, dans un contexte plus que permissif, je suis déjà tombé amoureux d'une perroquette amazonienne qui ne jurait que par moi et et que j'ai gardée en semi liberté sur les hauteurs pelées de Lima en lui fournissant gite et couvert au lieu de cage, longtemps. Il est vrai que cette affinité avec les oiseaux cons, inquiétants et chieurs pour beaucoup de gens, je la ressens depuis longtemps et je veux qu'on m'enterre avec cette collection de huacos des déserts de Paracas et Nazca, que j'ai réunie parce qu'elle évoque sous diverses formes mi-humaines, mi-poteries, sous une surface où se sculptent et se colorent de courtes plumes, des queue, lyre ou balai, des rémiges, des ailes, culte avéré dans les fameuses lignes et dans les tombes, de ces voyageurs célestes annonciateurs de renaissances, d'orages et de débordements des rivières souterraines.

Fallait-il allez si loin pour prélever ces trésors symboliques alors que le passage ici des simples saisons suffit à ramener de migrations lointaines tout un peuple multiple, prémonitoire, porteur de messages au langage clair, annonciateur de notre avenir collectif et climatique ?


vendredi 16 décembre 2022

T de (Images, visages, lueurs) Tintement de Tasses et Tremblements.

 Ce que je ne m'explique pas du tout c'est comment fonctionne l'apparition des images, des visages, des petites scènes éclairées qui se jouent et se projettent dans ma tête, indépendamment de ma volonté quand je suis éveillé. En général en un lieu précis et peut-être dans un état précis de mon cerveau lié à l'éclairage ou à tout autre détail.

Au sortir d'un rêve il parait naturel que ces lieux, gens, situations dans lesquels nous étions plongés soient tout à fait, au moins en apparence, coupés du monde réel dans lequel notre vie éveillée est en train de nous replonger maintenant, mais là . . . en pleine veille ? Il est vrai que c'est surtout le matin peut-être après le lever, en général un lever très matinal. Donc ce serait un débordement du monde du rêve, une prolongation peut-être.

Le fait est, quand je prépare le café ou le thé et fais griller les tartines salées ou sucrées, nous alternons tout ça, le seul fait d'être face au placard qui est suspendu au-dessus des petites machines électrodomestiques, fait resurgir souvent des scènes de mon travail en mission en province au Pérou, et plus précisément cette scène où, à Cuzco, de bon matin, quand nous attendions, un ami diplomate et moi, que les envoyés de Paris qui devaient expertiser notre choix de nouveaux locaux pour l'Alliance française après un tremblement de terre assez dévastateur, sortent de leur chambre et nous rejoignent pour le petit déjeuner, des travaux au marteau piqueur se sont mis en route sur la terrasse juste au-dessus de notre tête. Des travaux que nous n'avons pu arrêter, malgré nos protestations violentes auprès du gérant de l'hôtel, et dont, si nous voulions avaler en vitesse à cette heure où rien d'autre n'allait être ouvert, avant le travail de visite de locaux et l'examen de quelques études préalables, ne serait-ce qu'un café foutu et un jus d'orange en boîte, nous avons du subir le vacarme et le séisme dans nos têtes en attendant qu'enfin réveillés, nos experts un peu sonnés et étonnés de nous trouver là malgré le vacarme, apparaissent.


Filtres.

L'essentiel, on met beaucoup de temps à le comprendre et à l'admettre, ce sont les filtres.

On peut tout exprimer mais pas sans filtre, masque, déguisement, code, tournure, cadrage, système finalement terriblement alambiqué et conventionnel, même quand on tente de les briser (les conventions) jamais directement, à bout portant, sinon cela devient brutal, trop direct, sans art, mortel.

Couteau éplucheur.

 Ma grand mère n'en avait pas et n'en voulait pas, elle était bien plus habile de son petit couteau de cuisine à manche de bois et à lame vrai rasoir, si difficile à se procurer aujourd'hui où on a inventé non pas le couteau sans lame comme disait je ne sais plus qui, mais bien le couteau à lame qui ne coupe pas, mais alors pas du tout, malgré les coupures qu'elle s'infligeait parfois au pouce, je revois ces entailles noircies encore par le travail, quand elle était encore presque jeune, après avoir passé une partie de sa vie à faire la cuisine dans de "grandes maisons".

Aurais-je cru devenir moi-même, sur le très tard, et malgré un pouce un peu raide, un champion du couteau simple ou à éplucher légumes et fruits pour aider ma mie à faire des carottes en rondelles (nourriture essentielle des pauvres lapins que nous sommes) et surtout de vrais soupes, mie dont les doigts souffrants ont perdu pour ces taches toute agilité ?

jeudi 15 décembre 2022

Rien de rien.

 Faire une histoire de riens de rien.

J'avais d'abord fait une histoire de rien du tout qui se passait à Rio que m'ont refusée quelques éditeurs, certains ont cru, je ne sais pourquoi, enfin si, je sais, en lisant très vite, mais vraiment très vite, que c'était en Amérique du Nord . . . elle était faite de fragments et ceux qui l'avaient lue un peu en feuilletant ont cru que je mimais sans en comprendre vraiment l'intérêt, les cut-up de Burroughs du fait que quelques phrases s'arrêtaient en route, reprenant ou pas plus loin. Alors que je voulais seulement plaquer vite des impressions en un texte limite entre poème, critique style situationniste, récit de découverte face à ce Nouveau Monde qui m'a tellement ouvert les yeux, ébloui, en arrivant dans la baie de Guanabara.

Ensuite, j'ai voulu plus tard, après un épisode long de vie de gestion administrative et d'application de politique culturelle, de découverte du monde impitoyable des crocodiles politiques et encore et toujours féodal et de droit divin des ambassades, absolument sortir du poème pour lequel j'avais quelques penchants et peut-être de facilités, oui c'est ça, j'avais trouvé un style où les mots prenaient dans un chant une forme sonore matérielle, comme de dures structures métalliques dressées d'après un critique, en écrivant ce qui n'avait plus rien à voir, une parodie romanesque. Parodie de roman policier, politique, d'amour fou et de conspiration . . . Ca aurait pu s'appeler Beauté fractale. C'était beaucoup demander à un seul homme, d'autant que mes mises en boîte des grands ou moins grands de ce monde encore vivants, reconnaissables et agissants, dés qu'elles apparaissaient au tournant d'une page, bloquaient manifestement la lecture d'éditeurs enthousiastes à la première approche, mais peu soucieux de collectionner les procès pour que très hypothétiquement . . .  on reconnaisse enfin le talent outrancier d'un inconnu sans soutien logistique et sans doute un peu dingue à tout prendre.

Donc, voilà : échecs, échecs, Echec et Mat.

D'autres se seraient lassés.

Je suis un obstiné. Ce que j'ai réussi souvent dans des circonstances hostiles, je l'ai toujours obtenu malgré mes airs doucereux, en fonçant tête baissée. En revanche j'ai aussi parfois avec cette méthode commis de grands ratages dont j'ai du mal à me remettre.  Ainsi par exemple, au cours de cette trajectoire, ma bonne conscience tiers-mondiste en a pris un sacré coup frontal et mon amour de l'humanité aussi, du coup.

Mais donc, je vais passer un peu du temps qui me reste à raconter tout ça, tous ces riens de rien sans importance qui s'accumulent pour faire comme les écailles d'un lézard, ces peaux séchées qu'on trouve parfois, au scintillement déjà éteint, avec leurs griffes enchevêtrées dans l'herbe des jardins.

Continuer à raconter des balivernes par morceaux brisés.

De telle sorte que ceux qui le souhaitent retrouvent, par fragments ténus, écaille par écaille, lambeaux de peau par lambeaux de peau, une vie déjà déroulée, rapportée en tablettes d'un autre siècle, en plaques de glaise séchée et gravée à partir de modèles anciens, très anciens, le puissent. Pourquoi ? C'est la question la plus difficile.

Une simple vie taillée en zig-zags et finalement peu édifiante, une vie d'adaptations et de tentatives, de rêves, d'ambitions, d'étonnements et de maladresses comme il y en a tant. Mais une vie de constantes d communication et curiosité. Une vie de l'attention soutenue, de l'œil et de l'éveil amateur du silence une vie constante de décisions immédiates moi qui suis parfois si indifférent et lymphatique.

Parce que peut-être parler est la seule chose qui nous unit. Seuls les oiseaux parlent autant que nous mais leurs besoins semblent plus immédiats. Que dis-je ? Rien ne le prouve. En tout cas ils se donnent beaucoup de mal pour ça. Leur chant (attendre encore un printemps en cette période sombre de ciel et d'événements) est bien au-delà des nos pauvres mots.

Et arriver à parler comme ça : sans aucune contrainte ni raison ni nécessité. Pas seulement fonction phatique. Logorrhée. Epanchement. Mais en pièces détachées, qu'on peut mettre ensemble à volonté. Patient Meccano. Limitées à des tronçons, des strophes courtes. Des pièces rapportées d'un ensemble qui  n'arrive jamais à se terminer. A des histoires découpées, parcellaires. A des cris, des complaintes, des épisodes, de petites interventions, des remarques, des bribes, ou parfois de terribles constats. Ici aucune envolée, aucun mouvement romanesque, bouffée de passé, résurgences, ressenti du jour, multitude des notations, rééditer sans arrêt tant que c'est du domaine du possible, multiplier le fait de reraconter, les facettes déclinées, disjointes, distantes, chaque histoire est un commencement, les incipit.


Rien.

Finalement c'est assez vite relu tout ça, je veux dire le peu que j'ai publié ici. C'est plus que mince et malgré quelques incursions dedans je n'ai qu'à peine abordé ce qu'il m'importe de dire; je veux dire le, ce HS qui m'importait tant il y déjà quelques années. Ce point où tout s'efface, se grille,

arrachant une toux profonde d'exténuation, là où on ne peut plus mentir, tous ces récits, vrais au demeurant, n'étant que l'approche, le plan de lancement qui parfois se déroule ou s'enroule en pirouette et fait manquer le but. Tout cela pouvant être prétexte. Frôler le but.

I va falloir que je retrouve le chemin, que j'aie dans l'œil la cible.

Tous ces riens s'accumulent en vain. 

L'anecdote n'est pas un moyen d'y atteindre si elle ne se fissure et si elle ne laisse apparaître sous la texture, la déchirure. Déchirure mais aussi plongée aux étranges visions, plus loin que la barrière de corail, là où ça fait peur dans un calme inimaginable d'océan, de courant, d'emportement.

mardi 13 décembre 2022

I d'Improviser. Je dis habituellement "Jeito".

Parmi les plus folles maisons que j'ai du louer loin de ma terre natale, une des plus folles : la deuxième que j'ai dû occuper à Kinshasa. D'autant que le contexte de fausse prospérité nouvelle, de post-guerre, de misère, de forces populaires écrasées (le mieux à faire était de faire sortir du pays quelques opposants particulièrement menacés).

Six mois environs avant mon départ du poste, donc en extrême fin de mission, le propriétaire belge - il restait à côté des nouvelles familles au pouvoir dans l'entourage présidentiel pas mal de "patrons" coloniaux dans le pays provisoirement dénommé Zaire - se met en tête de récupérer pour lui la maison que nous habitions et qui était de taille parfaite et totalement meublée, d'autant plus que louée depuis longtemps par des Français de l'ambassade, nous n'avions pas eu à nous battre pour la chercher, l'aménager relativement bien comme elle était et surtout pour l'obtenir et pour y collectionner des plantes rares, un vrai jardin botanique. Les oiseaux mouches venaient y picorer les fleurs de frangipaniers et nous y avions beaucoup de tranquillité avec une vue assez dominante.


A ce moment là de l'année, j'étais seul. Au plus fort de l'été, avec une mission française réduite, je n'avais pas le temps de chercher un logement. Presque tous les expatriés étaient repartis pour un temps de vacances, frais de voyages importants à l'époque d'avant low coast, et donc voyage payé tous les deux ans au moins, en Europe, y compris ma compagne. Or à ce moment de l'année, chaleur caniculaire, orages inondant les routes et crevant les toits, peu de logements sont disponibles et habitables. La ville après la guerre civile avait été à peine restaurée et chaque année au moment où fleurissent les flamboyants, le pays vit toujours mais les affaires s'engourdissent.

J'avertis donc mon réseau d'amis sur place qui comme locaux ou étrangers établis de longue date, connaissent tout le monde et mets en prospection deux agents immobiliers free lance assez malins, parcourant la ville à pied et en bus ou taxi-brousse, hommes d'affaire à la débrouille qu'on appelait là-bas des "rabatteurs". 

Rien. Aucune maison à l'horizon à louer selon mes critères. Que des ruines vides, dévastées par l'huidité.

Puis un beau jour, juste avant de devoir vider les lieux de ce nid où nous avions un peu de tranquillité dans ce pays encore agité, un très bon ami belge marié à une Haïtienne férue d'art populaire congolais, spécialement les peintures du grand Moké de la grande époque, encore plus malin que mes rabatteurs trouve un truc incroyable. Terrain trop grand, maison beaucoup trop grande, au moins 350 m2 avec d'immenses terrasses couvertes, très, trop grande piscine, une maison de plain pied bâtie sur une pente, au sec, dont personne n'avait voulu. Eh oui, ce qui compliquait tout c'est qu'il me fallait une piscine absolument, encore plus important que les clims pour survivre dans ce climat. Mais dans cette maison délaissée, le tout, pas vraiment en mauvais état, maison non entretenue, non meublée, non climatisée, je vais devoir vivre et dormir (douches au milieu de la nuit) durant trois semaines pour la faire remettre un peu en état, avec une piscine immense faite de deux bras de 15 et 17 mètres de long raccordés en croix . . . qui fait ma joie en prévision de ses possibilités d'entraînement (j'ai du parler ailleurs de cette piscine en croix qui a marqué mes espaces imaginaires et réels . . . mais hors d'état de fonctionner comme tout le reste, mais . . .  . . . je ne pouvais hésiter, contraint, j'ai vraiment décidé d'aménager, en négociant le loyer que la propriétaire proposait en fonction non de l'état mais de de l'espace, somptueux mais exorbitant.

Un marchand de meubles me prête des meubles de première nécessité moyennant une caution. J'en fais fabriquer d'autres dans la cité des artisans du bord de route.

Je trouve un réparateur de piscine que je paie d'avance et qui me la remet en route en important des accessoires, des machines introuvables sur place. J'achète au "marché des reventes"  de vieux compresseurs pour une climatisation pas très silencieuses, je trouve un gardien pygmée qui me paraît honnête avec ses yeux dorés et attentifs, son arc et ses flèches, ses sandales qu'il balançait par terre pour monter dans les arbres, car n'oubliez pas, je viens du Brésil où j'ai appris le "jeito" : l'art de ne pas se décourager et d'éviter de rester en carafe.

Bien sûr je déduis du loyer mes réparations et améliorations et malgré, malgré tous ces efforts quand ma moitié rentre de son séjour en "métropole" comme on disait encore, elle me traite de fou. Quant à ma propriétaire qui n'était qu'intermédiaire, elle était carrément très mécontente, carrément furieuse.

Là-dessus, j'obtiens, après un voyage à Paris, encore plus fou, de rester en poste. 

Car je travaillais et me démenais durant tout ce temps évidemment, et malgré le fait que le gouvernement Mitterrand évacue, par principe et pour les remplacer dans les postes du monde entier, tous les diplomates en place parmi les "non de carrière" mais "annexes" (détachés occasionnellement d'autres ministères, ce qui est mon cas, éducation, armée, commerce, car les recruteurs ont plus de choix en y puisant de nouvelles têtes que dans les rangs serrés de l'annuaire diplomatique),  pour terminer ce que j'avais commencé, dont parmi d'autres projets avancés, la mise en place d'une exposition à Paris, j'obtiens une prolongation de mission pour un an. 

C'était déjà un peu dur tout ça mais ce n'était qu'un début.

Quand la piscine s'est fissurée, 

quand j'ai du voyager dans son jet privé avec un gouverneur de région, vrai propriétaire de la maison, pour le convaincre de venir voir sa maison restaurée, tout en lui expliquant ce que nous construisions sur le plan culturel dans l'ancien Katanga, que j'étais le meilleur locataire qu'il pouvait trouver, 

et que le nouvel ambassadeur soit d'abord embarrassé, voire offusqué, par l'idée d'une exposition à Paris des chefs d'oeuvres assemblés sans que personne s'en préoccupe à l'extérieur, au musée national ethnographique de Kinshasa par la passion de toute une vie, celle du, beaucoup trop modeste en ces temps reculés, frère Joseph Aurélien Cornet, 

puis qu'il tente par tous les moyens d'en étouffer le projet puis de la saboter.

Il intervint en haut lieu et même en très haut lieu, s'employa à discréditer toute l'équipe que nous formions, y compris en jouant de son homophobie contre un collaborateur formé à l'ethnologie, cheville ouvrière du projet sur place, mais aussi en se défiant de nos interlocuteurs et correspondants en France, prétextant que le moment était mal choisi pour glorifier le Zaïre, pays du dictateur Mobutu..

Alors que ce que nous cherchions à faire était justement d'en donner une autre image que celle des puissances en guerres pour le cuivre, le cobalt, l'uranium, le tungstène, le diamant, l'or, etc . . . ce qu'avait bien compris François Mathey, notre sauveur qui malgré les obstacles et cabales réussit à accueillir l'exposition rue de Rivoli. Conservateur en chef du musée des Arts décoratifs, explorateur et spécialiste des arts populaires, entre autres combats qu'il a pu mener pour les faire connaître, il imposa son point de vue en présentant une exposition en deux parties, pièces ethnologique mises en scène dans une galerie spécialement constituée en caverne aux trésors et peintres de rue, toujours étonnement lucides et critiques sur la société où ils vivaient, en général, avant d'être lancés par quelques marchands occidentaux, dans la pauvreté.

Mai là c'est une autre histoire, pour plus tard peut-être. Sachez seulement que le Jeito final fut le suivant :

Le Ministre de la Culture zaïrois s'étant réveillé . . . il trouvait - à juste titre - que le pays actuel était peu représenté dans cette exposition par sa culture officielle et prétendait imposer au moins un sculpteur ayant fait ses études en Autriche et revenu au Congo "par patriotisme" dans l'orbite Mobutu.

Difficile de refuser frontalement. Après tout, même si c'étaient les Minastères de la Culture, des Affaires étrangères et de Coopération français qui organisaient le truc de A à Z, l'ex Congo devenu Zaîre était partie prenante de l'exhibition, pour le moins.

Mathey s'y refusaient obstinément. Il est vrai que les sculptures officielles du dit sculpteur reconnu à l'international, de biches bondissantes en portraits en bustes ou tables de verre soutenues par des cornes d'antilope de cuivre bien poli et luisant, sortant des ateliers de fonderie que possédait le maître, n'avaient rien assimilé du patrimoine culturel millénaire de masques, statues, fétiches, du pays , un des plus incroyablement riche et ancien du continent.

>>>>>> La solution qui fut finalement trouvée fut de créer à l'entrée de l'exposition une sorte de vestibule où ne se trouvait que la quincaillerie hyper lourde clinquante et massive du bonhomme, solution qui fut acceptée par toutes les parties en présence.

Quand j'y pense, j'en ris encore.


 




lundi 5 décembre 2022

(Ode des/aux) Fous, Folles.

 Je ne parle pas de ceux qui la cultivent cette folie avec franchise, audacieusement. Qui en vivent, en font montre et la peaufinent, la sculptent, la déclament, l'incisent à coup de stylets dans le papier. Ceux-là sont fous mais ne sont pas fous. Artistes de leurs lubies qui ont pu, maîtrisée la sauvage bête, l'enfourcher et être menés loin. 

Respect absolu à ce courage. 

Je parle de celle irrépressible, effrayante, profonde qui gît, accent perdu aujourd'hui, comme un puits au bord duquel nous tournons tous, assis ou debout sur la margelle, pleins de vertiges ou de peur du vertige, celle non affrontée, universelle et congénitale, sise en nous.

On a pu parler de blessure, mais c'est encore autre chose, plus inquiétant et irréparable que cette échancrure, qui nous guette, parfois tout au long de la vie, plaie ou cicatrice tout au long du si court chemin. 

On a beau être solide sur ses deux jambes tendues et entraînées, pieds à plat, se sentir et s'être montré capable d'affronter sinon le pire du moins ces chocs imprévisibles du hasard embusqué, de supporter ces plaies, ou ces hontes, ou ses propres erreurs et ces situations quasi intenables qui en découlent et ces drôles de circonstances explosives, piégées, ou ces douleurs aigues, soudaines ou ces désespoirs inévitables si on s'y abandonnait, ces déconvenues prévisibles mais tenues sous trappe, sous cape, ces injures sans raison et hors de commune mesure, ces injustices hurlantes, ces incompréhensions fonctionnelles, ces deuils qui poignardent, personne n'est à l'abri du simple faux pas, mauvais choix, illusion persistante, intrus incrusté, quand arrive la chute dans la couche sous-jacente, dans la vie fantasmée, alors se dessine l'horrible grimace tissée de malheur.

A chaque instant la folie, l'excès, la colère, l'irréalité, la chimère, l'utopie, l'incroyable et mystérieux hasard, le coup du sort dégondé, nous guettent.

Reprendre sans arrêt les gestes, les avancées, lutter contre l'impossible comme si de rien n'était

Ainsi personnellement ai-je toujours cru pouvoir rebondir, ainsi me suis-je obstiné en mon étoile, et mon temps pourtant s'amenuise au point d'être sûr aujourd'hui de ne pas indéfiniment courir vers des lendemains meilleurs, d'être limité, éternel enfant, à cet instant qui coule et aux faux semblant du présent qui n'a rien de garanti, ni d'intemporel, ni d'extensible. 

Même pas, surtout pas la trace, tout s'effacer comme le monde autour.

Au moins ai-je pu au passage transmettre quelques rêves, accompagner quelques amis, apporter mon aide, tenter de comprendre y compris ces fous que j'ai pu croiser, ne pas rejeter ce qui se présentait comme incompréhensible et parfois hostile, poser quelques pierres, tenter de vivre une passion ou plusieurs, et finalement aujourd'hui, avant extinction, déceptions engrangées, victoires oubliées, redoubler d'ardeur.

Je me souviens d'avoir visité des asiles où tout pouvait être plus profond, plus fort et plus vrai. D'y avoir vu de vrais fous tristes et pourtant parfois illuminés. Celui de Lima qui peignait dans des lieux sordides d'immenses paysages de pics alpins sereins, beaux, apaisants, étranges, pas du tout andins, qu'il n'avait jamais vus en vrai, sur les murs de son réfectoire et de sa cellule, celui de Toulouse qui gardait cachés les poèmes d'amour écrits en lettres et lignes inversées qu'il aurait voulu montrer dans un miroir à sa voisine d'en face dont il était implacablement amoureux, dans une rue très étroite du centre ville et qu'il n'osait même pas sortir de son tiroir.

Ne jamais vraiment exprimer la folie, la tenir en réserve. Moteur.


La folie la plus inutile est celle-là de continuer à égrainer tout cela que je peux dire encore et encore.

Goute à goute.

Feu brûlant de l'air du temps.

Souvenirs incandescents.

Projets jamais abandonnés.

Poser la main pleine de peinture sur la paroi de la grotte obscure.