mercredi 14 juillet 2021

Vieillir. (Faut-il ajouter "à la plage" ?

 J'ai été, la traversant sans m'y attarder, mille fois, le témoin involontaire, sur la plage, de dix-mille diverses façons de tenter de ne pas vieillir, enfin . . . de le croire. . . ou parfois de se laisser emporter dans l'eau profonde, écran circulaire, enveloppant, giratoire et kaléïdoscopé à l'infini de ces multiples images inventives de rides, douleurs, ravages d'un corps expansé en bibendum débordant de bedaines ou ratatiné en silhouette cassée, tordu et clopinant, plongé au sable mouvant qui empêche de regagner la stabilité du bord et de sortir des pièges de la mer, car la plage où je stagne peu après le bain, le temps de sécher, est un lieu où s'expose, évidence, l'humanité à nu. 

Et la plage attire à elle toutes sortes de beautés autant que de difformités.

Ce matin, tel une ondine homme, cheveux blonds dans le dos, le salvavidas a piqué sa tête et clairement fait, en arrivant sur son petit vélo, en presque simple appareil, juste avant de revêtir son tee-shirt rouge statutaire et de prendre son travail là-haut sur son perchoir à guetter les imprudents et les accidents presque toujours prévisibles, une belle démonstration de sa jeunesse, plongeant dans les vagues sans respirer sur plusieurs mètres puis émergeant pour nager un crawl super-efficace, coulé, fendant l'eau jusqu'aux bouées et retour, tout en énergie, vitesse et fluidité.

Habituellement il y a un coin de la plage superbement traitre et pourtant très fréquenté. Les gens s'y agglutinent croyant trouver là un échantillon de paradis, mini bout de Seychelles sans cocotiers penchés mais avec de beaux rochers ronds et posés en décor, où les peu sûrs de leur équilibre, flottant et tremblant sur leur arrière-train insuffisamment râblé quoique souvent hyperdéveloppé, s'affalent et attendent, au ras des flots enlisés, un secours bienveillant des voisins eux-mêmes à deux doigt des mêmes affres et avanies, pour sortir de cette masse de graviers et sables trop fins qui glissent comme une marmelade au lieu de vous soutenir, aux pieds de ces superbes rochers fournisseurs d'émotions et d'aventures. Mais ce n'est pas là le pire, pour les sauveteurs et les sauvés.

Le pire, là où succomberait, si l'indulgence nécessaire et généralement pratiquée n'y remédiait, toute dignité humaine, c'est, le plus souvent, dans l'acte au narcissisme outrageusement assumé et renforcé, d'immortaliser son portrait sur fond de vagues, du moins quand il ne s'agit plus de s'y tirer le portrait dans sa prime jeunesse au relatif resplendissement naturel. Là, en effet, généralement des dames et parfois aussi des hommes, se contorsionnent dans ce très délicat exercice, manifestement sans auto-retournement du regard  pour prendre des poses de cinéma limite porno dans l'espoir d'atteindre l'art iconique majeur des exhibitions facebookiennes. Pourtant là encore le renversement parfois se produit, miracle d'ironie et de parodie et la beauté surgit d'un professionnalisme de la pose, rare et élégamment assurée.  Et peu importe l'âge quand, de la naïveté ou l'extrême sophistication,  ressurgissent des allures angéliques ou tirées des supplices d'un enfer re- et surjoué.

Parmi les inventions et conditionnements de cette lutte avec la mort, je retiendrai deux exemples virils pour leur rendre hommage, d'autant que ce sont tous deux des lutteurs disparus.

Chaque année je voyais resurgir vers la mi-juin dans l'eau encore fraîche, le Ludion. C'est ainsi que nous l'appelions. Il nageait la brasse en coulées tellement profondes qu'à chaque plongée on pouvait se demander s'il allait réapparaître, si son petit crâne rond et chauve allait vraiment de nouveau refaire surface, fruit flottant propulsé en saccades. Il a jusqu'au bout essayé d'atteindre le maximum de ses forces n'hésitant pas à traverser l'espace de bain délimité de la plage en travers pour allonger les longueurs, même si du coup il coupait la route par surprise à pas mal de baigneurs n'ayant pas observé ses immersions et disparitions frénétiquement répétitives. Gloire à sa mémoire de combattant inflexible.

Mais le monument à construire, je le réserverai au Cygne pétaradant.

Ingénieux bricoleur il avait, le jour où ses forces ne lui permettaient plus de nager aussi loin qu'il le voulait, décidé de construire une machine simple et efficace pour aller pêcher quelque fretin un peu au-delà des eaux envahies de nageurs et de flotteurs à matelas, planches, petits canots et bouées. 

Quand il arrivait il mettait un certain temps à monter sa mécanique faite d'un grand cygne gonflable, sorte de petit bateau sans fond, d'un grand fusil arrimé au col et à l'aile droite de l'animal et d'un petit moteur à essence doté d'une hélice, emprunté à on ne savait trop quel engin qu'il fixait au fond de son appareillage, sans parler de son chapeau à larges bords et de plusieurs sacs qu'il attachait au flanc gauche de la bête. Il passait parfois encore plus de temps à allumer son petit moteur en tirant sur son démarreur à ficelle et ensuite à s'installer dans l'espace entre les ailes du volatile aquatique en attachant sa ceinture aux parois que formaient les ailes de part et d'autre de son corps.

Enfin ainsi harnaché, mi-homme, mi-bête, et aussi semi-machine, il démarrait en lâchant de la fumée de son teuf-teuf et partait vers le large d'où u jour on ne le vit pas revenir.

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