mercredi 13 octobre 2021

Ile, Volcan, Feu. La Terre est une île, brûler la Terre.

Le peu que j'ai vécu de spectacles dantesques et de drames collectifs,
aussi loin que je remonte vers eux, 
ce peu je ne l'ai vécu que d'assez loin.
Ou dans un temps décalé de peu, 
passager d'un autre monde,
juste après le passage du fléau.
Ou même ignorant tout, à peine un peu avant le drame
et aussi parfois ai-je pu, aveugle, le traverser en fermant les yeux. 

Ainsi n'ai-je vécu la deuxième guerre mondiale battant son plein qu'au milieu de femmes et d'enfants dans un village ou presque rien ne manquait sauf les hommes arrachés au labeur quotidien, y participant et la subissant de plein fouet, chargés de fusils, de casques, de barda, de peine à avancer sous les tirs d'obus, ainsi ai-je beaucoup plus tard après n'avoir vu, sursitaire puis marié, travailleur et père, écarté d'à peine un cheveu du conflit, que les éclats  profonds, persistants, intérieurs à l'hexagone de la guerre d'Algérie, et n'ai-je été nommé au Congo, plus tard encore, que quand les Katangais et les légionnaires parachutés y eurent de force et de massacres à nouveau ramené une paix peu durable 

et jusqu'ici de volcans n'ai vus, Chimborazo, Montagne pelée, Soufrière ou Nyiragongo, qu'éteins ou bouillonnants et sans casque et subi que des tremblements de terre presque modérés.

Si du moins j'exclus le fait d'aller, traversant l'océan, loin des refuges d'une Europe presque pacifiée, parti pris, le sachant, marcher parfois de nuit au milieu de révoltés ou malfrats misérables et menaçants, chercher la guerre, moi qui l'avais si peu et de loin vécue, en des temps incertains, temps d'extrême misère dans ces pays aussi instables que des volcans, menacés constamment de dictatures, pris de mouvements de paniques tectoniques, en proie aux révolutions urbaines., aux massacres officiels ou en représailles sans fin dans les villages reculés, temps d'enlèvements, d'assassinats, de bombes.

Je ne fais donc qu'imaginer cette angoisse et ce désastre, le fait de devoir, sans rien pouvoir, rester immobile, sans secours immédiat, sans armes à la main, soumis à l'imprévisible, face à une force géante, géologique, d'être attaché, rivé aux pieds d'un volcan longtemps calmé qui se rallume et crache sans fin sa lave incandescente, bouclé dans une île éloignée et minuscule, aéroport fermé, quand on habite depuis des générations, ou pas, coincé au bord de l'océan noir, souvent déchaîné, sous l'abrupt d'un monstre réveillé.

Aujourd'hui, après un mois de calamités sans fin, je frotte mes yeux incrédules qui se portent vers ces habitants que j'ai vus heureux, vers cette île que j'ai tant aimé parcourir. Au milieu d'eux , accueillants, calmes, en recul des mouvements du monde semblait-il. L'infirmière m'avait massé le pied endommagé de façon divine, le vigneron boucané était fier de son bout de vigne aux ceps torturés, noirs de poussière et verdoyants, l'ancien garde-côte nous avait fait faire un bout de chemin sur les crêtes où se profilaient quelques dauphins pour voir de loin la tête et la coulée du volcan.

Précisément je l'avais choisie, cette île petite, parmi les Canaries, peut-être en souvenir des moments passés après leur indépendance tardive sur d'autres iles volcaniques, plus misérables et arides, arrachées à l'océan, au large de l'Afrique, parce que cette île en forme de feuille posée un peu à l'écart de l'archipel, est plus éloignée, moins courue, plus noire, plus brûlée encore que ses sœurs, Lanzarote l'hyper-noire qui fascina Breton et où Manrique a bâti sa maison unique et admirable, aujourd'hui scindée en tronçons de plages découpés en lots de villas jumelées ou bien la petite et sauvage Gomera qui demande grâce face aux invasions de croisières d'un jour ou encore Fuerteventura qui n'en peut mais face aux voleurs. Les voleurs de ce pseudo pop corn fait d'algues fossilisées, d'un blanc éclatant, qu'on trouve au nord de l'île et qui s'expose en trophée de chasse sur Instagram.

Hypnotisé par Tazacorte, village minuscule, une jetée, quelques bateaux, noir sur noir de lave pétrifiée, de sable et de poussière, établi sous la coulée du volcan Pico de la Nieve (quelle neige aujourd'hui ?) qui entame l'île de son énorme gouttière, sillon profond et noir irrémédiable, je m'y étais rompu les tendons dans la montée au sommet, les yeux rivés sur l'altimètre de ma montre à quatre sous.

J'avais aimé le Nord et surtout le Sud, forêts, vignes de vin de malvoisie, bananeraies, étendues immenses de terre déjà brûlée, noir de charbon de bois, noir absorbant et reflétant la lumière, noir Soulages, poussière d'enfer, souvenir de fournaises répétées, néant d'où la vie ressurgit encore plus puissante, naissance pure de la lumière, crue et contrastée dans ses couleurs, dans sa pâleur.

J'imagine mal, j'ai du mal avec cette fatalité naturelle qui nous surprend, nous indigne; 

voir cette croute incandescente qui coule et brûle, abat et s'avance, tombe dans la mer, cascade, agrandit la terre, réduit tout à rien, air brûlant, fumée toxique, feu en coulées, terre brûlée, eau évaporée, vapeurs, volcan et bouillonnement de la mer, terre qui revient aux temps premiers d'un monde enfanté sans nous  . . .

 . . .  j'imagine bien, en revanche, 

libre à nous, consciencieusement,  comme il nous revient, 

basculement de forces ravageuses dont nous sommes l'unique cause, 

là où les volcans sont éteints, là où la riche industrie prospère, 

que nous puissions faire, forts de notre lancée, une autre fatalité,

enserrés, embarqués que nous sommes dans ce monde construit, calme et radieux, du moins en ses plus riches contrées et pour ceux qui se sont mis à l'abri, monde de pure apparence, où nous continuons à creuser et entretenir mille volcans  artificiels.














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