vendredi 10 juin 2022

Chance.

 Difficulté à déterminer cette chance souvent évoquée, pas seulement chez le buraliste. Car sauf à gagner des millions à la loterie, au grattage ou aux petits chevaux, et encore . . . . la plupart des cas "chanceux" restent une affaire de jugement interne ou externe discutable, relevant d'une "interprétation subjective" comme on dit. Je peux être furieux de gagner des millions trop tard si je viens justement d'épouser une riche et insupportable héritière. Sauf si envisageant de la faire disparaître, je pense que ce gain inattendu atténuera alors sans doute le mobile qu'on m'aurait autrement attribué.

Si je dis "j'ai eu de la chance" c'est, peut-être par modestie vraie ou fausse. Parce que je perçois vaguement ou précisément, mais surtout négativement, tout autour de ma vie écoulée et de mes tribulations passées des pièges, malheurs, ennuis, catastrophes qui semblaient inévitables. Ces sortes de monstres marins bien réels qui guettaient et guettent encore le navigateur : tempêtes, récifs, trahison de l'équipage, abordage de pirates, que j'ai pu, su, par un concours de circonstances dont je sais n'avoir été que partiellement, ou pas du tout maître, éviter. Comment faire la part de ce qui releva dans ces mondes en ébullition et inquiétants où j'ai vécu, d'une série de manœuvres miennes ou à tout prendre précisément du contexte changeant et imprévisible ?Mais si je suis passé plusieurs fois au travers de soulèvements, guerres, épidémies à large spectre, ce peut être réellement aussi par chance pure et j'en ai bien conscience, ayant choisi d'aller au devant de ces risques en m'expatriant spécifiquement dans des zones instables.

Ou cette fois positivement, je sais que l'événement qui m'échoit ou m'est échu, heureux, inattendu, exceptionnel parfois (se voir attribuer un poste à Rio de Janeiro comme premier poste à l'étranger, c'est du romanesque et pourtant . . .), était difficile à provoquer même en le voulant intensément et en faisant le nécessaire - à supposer qu'il y ait quelque chose à faire en la matière quand on n'est pas fils d'archevêque, à part de prier les mannes d'Auguste Comte qui a son temple positiviste là-bas ou celles de Sainte Clotilde (sa bien-aimée) qu'il avait érigée par extrême dévotion en Mère de l'Humanité.

Mais surtout il appert que si on dit de moi " il a eu de la chance", je serai rarement satisfait. Car cela suppose une vision de ma personne ou de ma trajectoire fondée sur un incroyable et finalement injuste hasard heureux plus que sur un mérite réel. Alors à coup sûr, penserai-je que ce genre de remarque relève de la pure et méchante jalousie à mon égard.

Dans tous les cas, soit par modestie vraie ou fausse, soit pour faire face au dénigrement de mes semblables, soit par sincérité, je veux rester seul habilité à dire qu'il s'agit de hasard heureux, de bénédiction des dieux, de bonne étoile ou de lot immérité, bref de "chance".

La chance qui ne dépend en rien de moi, je veux, je dois être seul à me l'attribuer. Voilà le despote que je suis.

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