jeudi 2 juin 2022

Trilectio.

 Je ne sais pas du tout quand ça a commencé.

C'était peut-être déjà quand j'étais tout petit, par appétit, voracité, boulimie et opportunités passagères.

Lire à toute allure un livre qui ne vous appartient pas, qui ne vous est pas destiné, peut-être un livre interdit au très jeune apprenti lecteur (mes parents m'ont toujours dit que je lisais - par leur faute d'éducateurs - couramment, dés quatre ans - un livre de la bibliothèque secrète ou qui se trouve par hasard dans un logement qui n'est pas le vôtre et qu'on sait ne plus retrouver ailleurs. Ainsi, ne volant pas les livres par principe (rien de plus décevant de la part d'amis indélicats), il m'est arrivé tout au long de ma vie, par la suite, de voler leur lecture, insecte butinant clandestinement de-ci de-là.

Et le fait est là, après des années de variations dans l'art savant de lire n'importe quoi vite, j'ai dû continuer. J'ai même dû plus que jamais m'entraîner et m'habituer à lire et parcourir n'importe quoi. Y compris à cent lieux de mes propres intérêts. Car je ne parle ni de récits de voyages ni de romans, ni de ma très chère métaphysique et des scholies de Spinoza. Sans parler des rapports comptables et fameuses dépêches de mes prédécesseurs . . . mais, vous avez compris.

Par exemple durant les brefs passages de mon existence où, bombardé d'informations à ingurgiter dans un nouveau poste et un nouveau pays à peine connu de moi, je me dispensais de mes lectures favorites et des relectures des cent titres que j'ai toujours emportés dans mes déménagements multiples, pour me concentrer, afin d'être rapidement opérationnel (j'adorais ensuite quand on me disait, c'était faux et pure apparence gagnée en vitesse de réaction et de déplacement : "vous qui savez tout" . . .) sur des articles informationnels et sur la lecture quotidienne de toute la presse accessible, sur les radios, les publicités, les feuilletons, sur les guides aussi (quelques uns peuvent être des mines d'or), sur la langue,  l'apprentissage un peu fluide de ses subtilités verbales, écrites, familières . . . etc . . . et sur les interrogatoires que je faisais subir à mes introducteurs autochtones ou non . . . 

. . . oubliant l'art serein de lire pour le plaisir pur, allongé ou semi-allongé, emporté, rêveur, dans cette parenthèse détachée du travail obligatoire qui a été baptisée vice impuni.

Si bien qu'ensuite, après interruption, la reprise de ces parenthèses, mais avec de nouveaux livres à découvrir, mais encore vite, trop vite parfois, devenait un plaisir double ou triple, joie de lire dans une langué étrangère, sur des thèmes inconnus, des auteurs insoupçonnés chez nous, congolais, uruguayens ou cap-verdiens . . . .

Mais bien entendu, ces nécessités, ces habitudes, ces plis pris, cela n'explique rien, surtout pas mes partis-pris. 

Simplement je constate que sur mon grand bureau, sur ma table de nuit ronde, par terre sur le carrelage, s'accumulent des ouvrages anciens, sans arrêt renouvelés, non pas forcément nouveaux - car on laissera toujours de côté et à jamais tellement d'univers - ce peut être des lectures reportées à plus tard ou vraiment inattendues par désuétude voire obsolescence, lacune à combler ou et souvent totalement hors actualité ou parfois dictées par elle.

Ainsi, actuellement, je lis trois (chiffre idéal pour moi depuis quelques temps) livres en même temps, par bribes successives : 

Les Faux Monnayeurs de Gide, constat virulent des faux-semblants bien compliqués de la morale bourgeoise, publié en 1925, toujours laissé de côté et, ma foi, témoignant d'une époque, L'Indésirable de Régis Debray " le trop bon élève qui meurt d'ennui en France", comme il a été dit, chronique du révolutionnaire intello hyperdoué en Amérique latine durant les années 60 et Della Parte di Lei traduit en français sous le titre "Elles" de Alba de Céspedes ; 

vous me croirez si vous voulez, le constat violemment féministe,  superbement décrit dans le détail juste et écrit avec cœur et noblesse pour lequel je voterai est celui de l'écrivaine cubaine élevée par des parents diplomates en Italie qui date de 1948 et que plus personne ne lit plus, du moins ici.

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