mercredi 2 novembre 2022

Le lit de vache et la toile d'araignée.

 Je me revois rentrant à vélo du Lycée, je devais être en cinquième ou sixième, il faisait très froid, cette année où j'avais eu la peau des doigts gelés sur mon guidon glacé avec des gants mouillés, rouge encore de l'effort et du froid sans doute, au chaud dans la cuisine, installé pour le goûter avec mes tartines de confiture ou de miel, elle me gâtait pas mal, tentant d'expliquer à ma grand mère en colère à cause de l'absurdité de ce que je racontais, elle parlant parfaitement le français mais avec des incises en occitan, cet occitan si semblable à celui de Nîmes et si proche parfois du catalan, grand mère maternelle qui bien sûr ne savait pas un mot d'anglais, qui vivait avec nous, j'avais donc une double mère, tentant d'expliquer ce jeu de mot imparfait découvert par lapsus involontaire qui nous avait terriblement réjouis dans la cour de récré après le cour d'anglais, un bafouillage avec cette prof d'anglais tellement pète sec sur COBWEB devenu subitement dans la bouche d'un rouquin toujours un peu ahuri COWBED.

Elle avait raison, bien sûr, ça n'avait rien de drôle et c'était idiot d'en rire.

Allez savoir pourquoi des gamins qui s'ennuient dur trouvent si comiques d'imaginer une toile d'araignée devenue par la grâce d'une langue fourchée un nid ou plutôt un lit où dormirait une vache qui n'en rit même pas.

Et surtout pourquoi ce souvenir anodin, enfantin, est resté gravé dans ma mémoire et ressort intact aujourd'hui, 70 ans plus tard, où en ce jour des morts de novembre liturgique je pense encore à ma grand-mère décédée dans son fauteuil à la cuisine, au chaud, attendant que ma mère (elle décédée pendant que j'explorais l'entrée d'une grotte, j'avais eu un coup de fil juste après, dans les falaises du cap Norfeu sur la pointe Nord Est de la Catalogne, ait fini de préparer sa soupe poireaux, carottes, pommes de terre,  pendant que j'étais à l'autre bout du monde, photographiant un marché où de vieilles femmes des hauts plateaux vendaient leurs plats chauds et odorants dans le froid soleil de la sierra.

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