vendredi 22 mai 2020

Prudence.

Partant du principe qu'on ne réfléchit jamais assez, j'y ai consacré du temps hors études, explorant la ville autant que les bibliothèques ou plus ( en chambre ou pas, pour moi ça se passait au dernier étage, le cinquième d'une vieille demeure sans ascenseur, ça va de soi, dans une chambre de bonne avec vue sur la ville rose où il me fallait monter en courant entre deux cours pour vérifier si le copain auquel j'avais prété le lit et le lieu pour y coucher sa nouvelle petite débutante en propédeutique l'avait débarrassée, ça faisait du bruit dans l'escalier de bois en arrivant aux derniers étages après avoir franchi l'entrée un peu étroite du deuxième en baissant la tête après les turnes de l'étudiante en psy chic fille, de l'étudiant en droit imbuvable qui voulait massacrer les gauchos et le niveau où il y avait un WC commun à tous ces pensionnaires dont je faisais partie mais même pas une douche, heureusement il y avait à côté un bain public ) - prudent et découragé de vouloir m'y enfermer par passion et par avance après certaines lectures de jeunesse tellement sérieuses (dont je n'ai saisi l'humour que plus tard, peut-être en lisant Montaigne, ça m'a aidé) , pouvais-je être sérieux quand j'avais dix-sep ans ! (mais j'en avais fait le choix et m'y soumettais par attirance et peut-être une variété de haute ambition, haute comme mes étages un peu archaiques, pas celle de dominer, celle d'essayer, vanité des vanités, de comprendre un peu tout ça) - d'un naturel plus curieux que téméraire, je dormais le matin tard, séchais les cours le plus souvent, ron-ron, redites de livres déjà écrits, trop de monde dans les amphis pour les cours communs avec les psy, lisais l'après midi tranquille, attendant le coucher du soleil, sortais le soir assez tard, et . . . . en perspective, au fond d'un couloir labyrinthique déservant des pseudo-palais compliqués, j'ai toujours gardé à l'esprit, cliché noir et blanc, visage rose, paupières un peu closes, ce regard scrutateur et plus désabusé que sévère qu'on voit au portrait de Descartes, maître de mes maîtres, regardant le spectateur au-delà des siècles sur le tableau de Frans Hals dont Alain disait qu'il y lisait (ou entendait) en miroir de celui, élève ou mentor, qui le scrute, une réflexion caustique (il faudrait la mettre en bulle non papale mais bédéiforme, sur le tableau dans le noir au-dessus de la tête, ce serait clair et bon, en écriture un peu penchée, manuscrite, bien formée) du type :
                                                     "encore un qui va se tromper".


Prudent, réfléchi, mais aussi plus pressé que velléitaire, il m'arrive cependant quand je n'applique pas ce principe de précaution pourtant évident pour qui souhaite organiser sa vie dans les grande lignes et surtout à long terme sans la perdre ou la gacher d'un coup, voire immédiatement (qu'en savais-je alors de ma vie ? de ce qu'elle allait suivre comme cours) d'aller droit vers un chemin inconnu y compris escarpé, par pur instinct ou même par bravade, quittant toute prudence, c'est à dire rigoureusement toute évaluation incertaine du contexte (c'était la guerre d'Algérie et des manifestations violemment réprimées dans la rue, tentant de suivre les mouvements publics assez houleux dans une ville aux violences contradictoires où il y avait sans arrêt des interventions dans les gymnases ou les salles de cinéma, des ténors de l'opposition et des philosophes professionnels, rhéteurs et sophisticateurs, en conférences ou débats), . . . . , bref, . . . /
. . . . . . il m'arrive et c'est sans doute une tendance contradictoire n'excluant pas la méditation et parfois, au fond, en toile de fond, la prudence, de soupeser longtemps et de décider d'un coup de tête avec qui vivre ou me battre ou même d'avoir des aperçus sur des zones incompréhensibles comme ce dessin au pinceau que j'ai gardé longtemps mais aujourd'hui perdu, fait un jour dans une sorte de transe, sans savoir où il allait me mener, curieusement (est-il à mettre en rapport avec ce que j'aurais réeellement vécu trente ans après ?) de trois personnages portant flambeau, l'un vêtu de noir noir pur noir, l'autre de rouge rouge, le dernier de vert vert, descendant l'escalier obscur d'un boyau enfoncé au sol en tunnel infernal.

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