dimanche 3 mai 2020

Atacama 3.

Passant d'abord par l'inévitables en ces lieux, l'ambiance de la ville, le climat, les spécialités culinaires locales, brusquement, il se mit à nous parler naines brunes.

Les naines noires ou brunes, dernier avatar des naines blanches n'avaient pas jusque là retenu notre attention. Ni celle de ma compagne, plus occupée d'archéologie et de temples solaires, ni la mienne plutôt captée par les exigences de mon travail. Nous étions surtout tous deux plus accaparés par l'histoire récente et immédiate de ce pays où j'étais "en mission" au bord de ce sous-continent instable, explosif. Laissant mon épouse à l'organisation d'une vie sans monotonie, vues les circonstances, chaque matinée commençait pout moi dans ce modeste 4x4 tape-cul mais au petit moteur efficace que j'avais dû racheter à un jeune diplomate autrichien, faute de trouver aucun autre véhicule, réputé apte à franchir des pentes gravillonneuses ou ensablées, japonaise vraie 2CV du désert, par une écoute attentive des infos sur un trajet long où il m'arrivait par impatience et parfois nécessité de tenter d'échapper aux embouteillages terrestres universels, la moindre île maintenant, et déjà en ces temps lointains, regorgeait d'autoroutes surencombrées, en coupant par des traverses en terre ou en montant ou en mordant parfois sur les trottoirs de sable vides et mal aplanis, au bord de larges avenues où se pressaient sur la chaussée carrossable tout à la fois, enfants allant à l'école, piétons se rendant sur leur lieu de travail, souvent à des kilomètres, et marchands ambulants poussant ou tirant leurs carrioles, au milieu des voitures, bus, camions, rares attelages, pour ensuite sur la table de mon bureau me dépêcher de parcourir avant le premier rendez-vous, les principaux titres de la presse locale : oppositions, corruptions, concussions, scandales, coups de bluff, enlèvements, accrochages dans la sierra, grèves et pénuries et aussi, vital pour tous, le cours du dollar. Certes, il m'arrivait de porter les yeux vers le ciel lors d'exceptionnelles nuits claires extrêment rares sur cette côte pacifique des brumes et crachins perpétuels, pour y retouver la Croix du Sud ou telle constellation beaucoup mieux visible que dans notre hémisphère Nord, mais je n'avais prété aucune attention, sauf pour rire de leur dénomination peut-être, à ce postulat astronomique développé depuis les années 60 mais pas encore confirmé par l'observation.
Alors voilà, surprise, justement, notre interlocuteur était à propos de ces étoiles avortées, généralement trop petites pour être de vraies planètes bien que quelquefois plus grandes que Neptune, aussi éblouissant dans son ramage que l'était son plumage.
Du haut de son télescope de La Silla, à 600 km de Santiago, 2400 mètres au-dessus de la mer, dans les massifs arrondis du désert, sous un ciel constamment pur, au sein d'une équipe internationale, europénne en partie, il était, parachuté du CNRS, mettant entre parenthèse le monde qui l'entourait, un chasseur des encore hypothétiques naines brumes ou brunes venu, hors justement cette vie coupée du monde, se détendre et festoyer sur la côte avec quelques copains.

Regard illuminé quand il se lançait dans des explications qui nous dépassaient de millards de coudées et surtout d'années lumières, nous simples motels attachés aux petits accidents imperceptibles de la croute terrestre, il avait su nous captiver.
Nous avons passé une partie de la nuit à l'écouter.
Ce n'est que beaucoup plus tard que, de passage dans nos quartiers de retraite, il nous a remis sa thèse de jeune chercheur, faite de calculs incompréhensibles pour nous, mais généreusement dédicacée, parce que nous avions passé quelques moments suspendus à l'écouter dans une soirée de brume et l'odeur forte de fruits de mer en train de frire et de griller en nous projetant aussi loin que le permettait notre si faible faculté d'imaginer.
Voilà mon meilleur souvenir de l'Atacama. 

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