mercredi 2 septembre 2020

P S de Planète Sauvage.


Quand le film de ce nom La Planète sauvage, réalisé à Prague par René Lalou avec des dessins de Roland Topor en papier découpé à partir du roman de Stefan Wul, est sorti en 1973 j'avais beaucoup aimé. Essentiellement parce que j'aime l'humour toujours poétique et surprenant de Topor.
Il va sans dire que j'aimerais qu'il m'advienne des rêves aussi forts, légers, colorés, fluides et beaux.
Au cours de réveils nocturnes il m'arrive cependant, faible rêveur, d'avoir de bonnes surprises quand je capte juste avant qu'ils disparaissent des petites bribes de films que mitonnent mes yeux fermés, mon cerveau encrassé et mon inconscient surchargé d'images superposées en couches surdéterminées recolorées et redessinées sans aucun travail apparent.
Ainsi hier je suis allé me balader ou plutôt j'étais jeté là sur un autre continent, presque une autre planète et c'était si fort que je m'en souviens encore comme si j'y étais. Je m'y vois bien. Ce n'était pas cette ville inconnue au bord ou pas trop loin de la mer qui n'est ni Barcelone ni Buenos Aires qui ont une certaine parenté, ni Rio l'unique, ni Lima la brumeuse du Pacifique, ni Naples ou Athènes, villes sudistes que j'ai beaucoup arpentées, puisqu'elle est sur une falaise abrupte, noire et ocre que je n'ai jamais vue en vrai, ni ces paysages africains de savane ou de forêt dense que je connais bien et où j'ai réellement marché de temps à autres et qui reviennent parfois, matins du monde, force de la terre où l'homme a laissé encore plus de traces symboliques que destructrices, intactes à nos yeux pollués et urbanisés, dans quelques rêves peuplés de foules bigarrées et de bêtes inconnus. C'était une impression tout à fait nouvelle, très étrange, et je ne saurais dire si, au vu de sa force et de sa teneur sauvage, elle était située en une Afrique inventée ou possible ou en quelque sorte "surjouée" par ses protagonistes.
Dans un premier temps nous traversions dans nos véhicules tout terrain un peu brinquebalants, ma compagne, quelques amis et moi, une grande ville très peu encombrée de piétons et de véhicules, dans ses avenues occidentalisées et obscurcies par la hauteur des gratte-ciel malgré un soleil de plomb puis après avoir eu du mal à trouver où faire le plein de carburant, à la sortie de banlieues interminables, bidons-villes vides et gris étirés sur la terre rouge, était-ce  après une guerre ? une épidémie ? une crise économique sans précédent, tout autre fléau ? . . . nous débouchions rapidement, sans autre transition, dans une savane vide d'humanité, sèche, sans arbres, puis au rebord du plateau qu'elle formait, sur une vision qui est restée photographiée sur ma rétine, malgré l'absence d'image extérieure correspondante dans le réel du monde que je connais. 

D'abord, ce qui frappait la vue, du haut du point de vue en surplomb où nous étions arrêtés, c'étaient les arbres, des arbres immenses, au troncs massifs et extrêmement puissants enfoncés dans les hautes herbes. Ensuite c'était les trous énormes dans leur troncs, des sortes de cavernes d'où s'échappaient par une action de forage intense, des débris, des copeaux, de la sciure en très grande quantité, le tout projeté loin dans l'air. En fixant notre attention sur ce spectacle finalement inquiétant, de très beaux arbres millénaires ravagés par des excavations dont nous voyions l'avancée désastreuse, nous finissions par distinguer de temps à autre, des êtres courbés en avant qui sortaient des cavernes à reculons, ni singes ni chiens, dont nous percevions de loin les mouvements puissants de grattage et de balayage et la croupe musculeuse, une espèce inconnue de nous dont nous ne pouvions encore percevoir la tête et les yeux, ressemblant cependant à des mammifères au dos puissant et au pelage obscur. Des canidés, des ursidés, des félins ?
La pensée que ces grimpeurs creusaient des trous profonds pour y enterrer leur nourriture ou leurs proies plutôt que pour se nourrir de vermine et de sève ou de pulpe végétale me traversa l'esprit pendant que j'en examinais un particulièrement actif à la jumelle.
Plus tard, descendus à mi-pente de la route qui après avoir parcouru le plateau, s'étirait dans la plaine sèche et buissonnante, nous étions accueillis par des gens amicaux qui peut-être nous attendaient, ils n'avaient pas l'air surpris de nous voir, cependant leurs sentiments et leurs intentions à notre égard n'étaient pas clairs du tout et nous échangions peu de paroles, des paroles qui auraient pu nous rassurer ou nous faire au moins saisir dans quelle situation nous étions tombés et si même il fallait accorder une importance à cet arrêt improvisé au moins de notre côté. 
Puis, tout aussitôt, nous nous trouvions en train de nous promener à pied sur la large route de terre par laquelle nous étions arrivés. Nos hôtes étaient-ils présents avec nous dans cette promenade ? nous avaient-ils avertis de quelque chose ? Je ne sais plus. Y avait-il un danger imminent ?

C'est alors tout à coup, il y avait une coupure dans le film, pendant que nous nous posions trop de questions, que s'avançant comme des animaux domestiques au milieu de nos pas, ces très grands félins arboricoles, ces chats soyeux géants sortis d'un cauchemar, aux yeux de panthères, fouisseurs de cavernes surélevées au dos si long et si large, êtres incongrus dans leur comportement, ni ours ni chien mais léopards gras au corps chaud et au pelage obscur, de très près on pouvait voir les taches ocellées, sont venus frotter leurs muscles et leur museau plat, montrant, entrouvert, des dents en sabres éloquents, à nos mollets et nos cuisses et nous donner des coups de tête à hauteur du bassin ou du plexus et de la poitrine pour les plus petits d'entre nous.
Fallait-il prolonger l'expérience ? Je ne sais car je me suis réveillé plutôt heureux que peureux, heureux de les avoir vus de près, ces monstres au pelage luisant, peut-être aussi d'être encore là.


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