vendredi 2 juin 2023

Continuité des corps.

 Le plus grand mystère est celui de la continuité de tout ça.

Surtout pour vous mon cher, peut-être, allez vous me rétorquer, vous qui nous massacrez tout, coupant en minces rondelles votre vie et le monde, en bribes, fragments, éléments discontinus, pièces détachées incomplètes, hachis, tessons, limaille.

Oui, et justement c'est pour moi que je parle, coupeur de cheveux en quatre, fabriquant de petites cuillères de bois à partir du tronc d'un grand chêne abattu, dilapidateur de feuilles blanches à moitié même pas, remplies de quelques signes de quelques lignes, nourri de blancs, d'alinéas, d'interruptions, de suspensions, de pauses, de renoncements à aller au-delà du point-barre, abordeur de forteresses par détachement de petits paquets de briques et de brocs, tueur d'ennemis (nombreux en définitive ceux qui ne m'encaissent pas) un par un en les semant à la course jusqu'à les mettre en file au long cours, bricoleur formé au Meccano de l'enfance, démontant pour remonter, fasciné par les résidus élémentaires, les collections de pièces, vis, plaques, roues, engrenages, essieux, j'ai du mal à comprendre comment ces bouts minuscules non seulement se raccordent mais font partie intégrante, chacun à sa place d'un tout, par exemple d'un tout qui est ma conscience au travers des âges que j'ai déjà traversés.

Sans parler de notre corps et du monde autour que nous avons bien su décortiquer et réduire mieux qu'en poussière (ça c'est pour les prédicateurs), (pour nos savants) en particules et que, vue cette technique divisionnaire, nous aurons de plus en plus de mal à rétablir dans son entièreté, à établir dans sa totalité, à "reconstituer" (voir le café en poudre, quel tour de passe passe ! ah la nourriture lyophilisée ! privilège d'acrobatiques expéditions cosmonautiques), à comprendre . . . prendre avec, prendre ensemble comme on dit le taureau par les cornes (éviter d'être transpercé et disloqué). à bras le corps dans un "abrazo" de tango infernal.

Certes le monde est à moi mais en voudrais-je en molécules et en bouillie ?

Sans parler de ce flux qui traverse (on ne sait quoi, peut-être :) notre tête, notre lobe frontal, notre mémoire, notre propre durée et continuité, le fleuve qui coule en nous et hors de nous, qui nous véhicule et nous charrie, le fameux tout coule qu'on chercherait en vain dans ce qui nous est parvenu des cent-cinquante-deux fragments d'Héraclite retrouvés à ce jour, Héraclite d'Ephèse, ville sacrée de la déesse Artémis à l'étrange poitrine, Héraclite l'énigmatique dit aussi l'obscur.



 

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