dimanche 28 juillet 2024

Pire.

 Le nouveau but : transformer les plus beaux sites, universels, sacrés, "incontournables', répertoriés par l'UNESCO ou pas (ah quand on commence à mettre des labels sur un truc je sais qu'il est déjà en train de se détériorer) en terrain de jeu, en Disney land, en cohue de parc aquatique, en tribune de foot qui s'écroule, en manège, en foire du Trône aux pains d'épices, ou en bouillie insipide et saumâtre..

Comme dit Edgar Morin : ne cherchons plus le meilleur, contentons-nous d'éviter le pire

C'est ainsi, par ailleurs, qu'après avoir tellement surévalué les vertus internes de la démocratie nous pourrions bien permettre, par nos systèmes alambiqués, par un dérèglement du jeu devenu démagogique et ploutocratique, que Trump réapparaisse au sommet de la chaîne alimentaire des êtres vivants.

lundi 22 juillet 2024

D'âne à âne.

 La nuit dernière j'étais pris, j'avais quelques raisons pour ça, pris dans la trame de catalogues de pièces détachées. Un très gros catalogue essentiellement peu illustré, autant le préciser, et fait de nomenclatures précises et de références codées, un catalogue ne s'adressant qu'aux professionnels, une sorte d'encyclopédie très spécifique écrite en écriture illisible pour le profane autant que pour nous tous en ce jour encore celle des Zapotèques. 

J'avais eu une conversation plaisante avec le grossiste d'une quincaillerie générale capable de fournir toutes sortes de pièces authentiques ou se substituant à l'organe défaillant de nombre d'appareils domestique, gamme élargie, après des années d'efforts, au spectre qui irait du presse-purée à la commande d'étage de l'ascenseur ou du monte-charge.

Dans mon rêve cela me rappelait / le rêveur en action lui-même, ou plus vraisemblablement l'auteur (est-ce l'Inconscient ?) du scénario du film qui lui est spécialement projeté dans son cinéma intérieur, adore ce genre de glissement, de digression, d'interpolation, de glose sur glose, bref de détour buissonnier / ce moment étrange que j'avais vécu  dans une quincaillerie à Kinshasa. 

Je faisais visiter à un conservateur de musée de Paris les collections de "peinture naïve" que je connaissais dans la capitale du Congo alors Zaïre (cette peinture contemporaine devant être l'un des éléments d'une exposition qui aurait lieu ensuite). Or la visite de cette collection en question appartenant à un grand quincailler local avait commencé par la rencontre, dans le fond du très profond magasin, du propriétaire embusqué au fond de sa caverne derrière son bureau. Pour l'atteindre il avait fallu évidemment traverser tout le magasin contenant, on l'imagine difficilement si on ne les a parcourues, des collections incroyables d'objets, ustensiles et machines y compris des kilomètres de tuyaux de couleurs enroulés sur des bobines géantes ou des colonnes de casseroles emboîtées l'une dans l'autre. Or, j'étais quant à moi fasciné par la fascination de ce grand conservateur.

En effet, il avait passé presque autant de temps à contempler et s'émerveiller de ces amas de matières diverses ici juxtaposés, allant du mat du caoutchouc le plus sombre des rondelles permettant de fermer hermétiquement des cocottes minute au plus brillant métal rebondi des formes parfaites des passoires chinoises, qu'à s'intéresser ensuite aux scènes de la vie quotidienne griffonnées sur tablettes de bois qui composaient l'essentiel de la collection que nous étions venus voir, susceptibles d'être mises en scène comme élément d'une exposition quasi officielle, rue de Rivoli à Paris.

Pour en revenir à mon rêve et à sa fin avant mon réveil, la voici :

Après beaucoup de recherches infructueuses de je ne sais plus quel instrument, quel organe, quelle pièce détachée irremplaçable, quel mot rare peut-être (?), je découvrais une expression qui (j'ai vérifié) n'existe pas ou pas encore.

D'âne à âne.

cela voulait dire dans mon rêve quelque chose d'assez comique.

Cela s'appliquait à la situation de quelqu'un, un chercheur, un étudiant, un simple particulier qui n'ayant pas d'informations suffisantes, nomenclature, désignation, usage précis, origine, demande à un spécialiste du domaine où se trouve sans doute imbriqué cet élément de le chercher pour lui, le mettant ainsi malgré ses compétences dans la même situation que lui, le flou, le vague, l'ignorance, l'extrême difficulté à trouver cet objet introuvable, spécifique et pourtant si mal défini.

samedi 20 juillet 2024

Poisson mort.

C'était un jour triste de poisson mort.

Un poisson mort flottant puis un deuxième au fond de l'eau et un troisième flottant à mi-profondeur le flanc rappé, la peau desquamée en papillote, presque immobile, vivant mais gravement affecté il semble.

Mauvais matin.

Empoisonnement, surpêche. Tout cela ou plus ?

Bien sûr depuis que je me baigne dans cette crique et que j'en scrute au masque-tuba les rochers couverts d'algues et les fonds sableux, tout a changé. Plus de petit rouge, blennie à tête noire, frétillant dans de petites cavernes et se collant aux parois rugueuses qui l'entourent, presque plus de girelles et presque plus de serran écriture aux écailles parcourues de zébrures, plus d'oursins, presque, disparition de ces nuages de bébés qui passaient jadis, il y a huit ou dix ou quinze ans. 

La mer est raclée, bientôt on pourra marcher au fond sur un tapis d'algues tueuses, le corps enfoncé dans une eau désespérément vide.

Le pot-aux-roses, ce matin j'apprends que les poissons morts viennent d'un élevage d'où ils s'échappent régulièrement quand on ouvre les grilles de temps à autre pour nettoyer, car, livrés à eux-mêmes ils ne savent pas se nourrir; même les mouettes et les goélands repus n'en profitent plus guère. puis aussi ils n'ont pas semble-t-il, nourris comme des chiens ou des porcins en cage, ce goût sauvage qu'ils sont en droit, ils le croient encore, eux prédateurs survivants vivaces, d'attendre de la mer.

Cri du tigre (le).


Mon voisin quant à lui, l'hommes des Ardillas (entendez, celui des écureuils, s'il vous est arrivé de déjà le rencontrer en lisant un petit bout de son histoire ici même, une histoire qu'il m'a racontée sur la plage entre deux bains) un parfait conteur que je retrouve - comme j'y retrouve Gonzalo le maître baigneur ou mieux salva vidas qui vient chaque année de son extrême sud en Patagonie, surveiller sur cette calanque catalane son trop-plein de touristes baigneurs arrivés des quatre coins de l'Europe - m'a intronisé au cri de tigre.

Car il se trouve que l'homme aux ardillas, conteur et nageur émérite malgré ses maux et handicaps, les opérations qu'il a subies, les soucis multiples, son âge très avancé, etc . . . . a gardé son visage souriant, son humeur communicative ( hasard : son âge de plomb, le même que le mien ) . . .  passe quelques congés avec ses fils, en voisin, dans l'immeuble juste à côté, de telle sorte que de temps à autre, outre les rencontres à la plage, voisins de parasols,  nous pouvons aussi nous saluer joyeusement, joyeux d'être encore en vie, noirs déjà de tant d'ensoleillement, aptes à nouveau pour le bain matinal avant l'arrivée des hordes nordiques et blanchâtres, d'un balcon à l'autre. . . .

. . . . Or cet homme là, l'homme qui dans son enfance fut contraint de capturer des écureuils et de les relâcher plus loin pour sauver la forêt par l'entremise de ces petits, si agités et si agiles thésauriseurs de pignes et noisettes,  jardiniers malgré eux, sur ordre de son visionnaire et précurseur écologiste directeur de collège, 

cet homme à la vie longue et variée,

cet homme-là, a un chat qui suit les itinérances de la famille, un gros chat roux de dix-neuf ans sonnés, aux canines rongées, autant dire un vieillard au bout du rouleau pour son espèce féline.

Or il se trouve que cet antique gros matou chasseur de gros gibier

vient d'échapper, malgré ses rages, grâce à un maître patient, accommodant, pour raison supérieure de santé et de survie, à un détartrage et replâtrage de ses ratounes aigues et déchiquetées, supposé calmer ses douleurs et envisagé par un trop vétilleux vétérinaire, 

pousse c'est vrai de vrais cris de tigre. Foi d'animal, j' ai pu de mes oreilles les ouïr.

Il émet, mi bébé hurleur, mi vieux monstre puissant, 

pour qu'on lui ouvre la porte le matin, 

pour qu'on le laisse aussitôt rentrer, 

quand il a faim,

quand il est triste parce que la famille qui le mignote n'est pas au complet et que quelques genoux lui manquent 

et même quand il y a trop de bruit et qu'il veut dormir, 

ce cri roque inquiétant depuis qu'une opération du crâne lui a changé la voix, 

assure son maître.

Pour ne pas être en reste, moi qui n'ai jamais eu, nomade moi-même que les chats des voisins, je lui raconte le peu que je crois savoir ou avoir compris (rien en fait) des tigres de Borges qui apparaissent, ombres dans la nuit ou dans les miroirs, au coin de ses vers, de ses contes et aux détours inattendus de quelques livres.

L'homme aux ardillas me dit alors :

-   Rien d'étonnant, les chats et les tigres n'ont rien d'humain ou de raisonnable, ils sont imprévisibles et incompréhensibles.

Et je dois dire en aparté que je suis bien d'accord. 

Qui ne sait que depuis toujours tigres et chats sont au rang des dieux que nous vénérons (exégètes des textes obscurs ou aveuglants, critiques et photographes compris), répétant leur culte, l'incomprehensible. 

Or je n'ai jamais vu sur le Net, depuis le début de mes vaines recherches, faute de mieux et faute d'explications à ce qui échappe aux détours infinis du labyrinthe, au temps, à l'ordre de la Bibliothèque, autant de photos crues perdues et retrouvées 

de ces vrais chats saisissables en images vieillies, de Bippo et d'Audin, derniers chats d'un culte voué à Borges, leur maître.


Corps (un autre).

Oui, chaque été, un miracle m'attend.

Renouvelé.

Renouvelé par ce combat au ras des flots où sans lunettes de soleil (rires), car ne pas tenter de nager debout . . .  tête bien plongée, corps à plat enfoncé dans l'eau, je dois pivoter et agiter les bras en manière de rames, en moulin, en pales d'hélice, en creusant légèrement la main au plus profond vertical, aller chercher l'eau au fond, peu importe la trajectoire en haut au dessus, et à l'autre bout du corps agiter les pieds en arrière, cuisses tendues sur un autre rythme que les bras, plus saccadé, tapant le dessus du pied pour éviter au corps de perdre sa trajectoire horizontale cela tout en soufflant dans l'eau pour de temps à autre, ensuite, dans un deuxième temps rythmé, bien et rapidement respirer, aspirer une bolée en coin, une goulée d'air salvateur, bouche ouverte, soit d'un côté soit de l'autre, 

le tout en rampant d'une seule venue comme un serpent sur ce liquide au goût d'huitre et de sel, 

combat éclaboussant ou plus ou moins coulé, et si possible (tout en un) il faut ouvrir les yeux, les laisser sans arrêt ouverts, même sous l'eau surtout, ne pas se laisser surprendre par la vague brutale après les vagues courtes ou tel corps mort ou quelque maudite méduse, voire un autre nageur ou pagayeur qui arrive en face ou en travers à fond, . . . dans une sensation d'ensemble de corps perdu, de combat fluide, de propulsion plus ou moins glissée . . . 

. . . . cela et cette froideur de l'eau qui pénètre fait que peu à peu naît, force et souplesse primitives retrouvées, parfois enfin à l'aise dans le mouvement, renait, dans la coulée, par métamorphose, vraie renaissance, un autre corps perdu durant l'hiver et la demi-saison qui ne permet pas dans l'eau trop glacée, la longue immersion nu, sans obstacle, sans appareil, qu'aucun poids, mouvement, machine, barre, gym ou travail imposé ne parvient à recréer, mais ce corps là, parfois, au bout d'un effort tendu et fluide, ce corps d'été renaît . . .  ou pas.

C'est ma hantise, chaque saison ce nouveau corps avant l'accomplissement espéré,

plus agile, plus souple, plus délié, que renaisse 

plus tardivement, repris par la pesanteur, les craquements, rouilles, engourdissements, raideurs, gauchissement des articulations, 

plus difficultueusement jusqu'à sans doute ne pouvoir 

plus.

Et alors sans doute je n'aurai même pas, 

plus, du tout envie de bain ou de seule trempette.