jeudi 20 mai 2021

Sérieux. Peut-on l'être à 79 ans ?

 Le peu de sérieux apparent dont je fais preuve ici ne vous aura pas échappé.

Déjà le mot sérieux est problématique.

Ainsi quand je regarde le ciel à l'Ouest de ma fenêtre il n'est pas rare que je me considère comme privilégié. Le ciel et les nuages en arrière plan de ces arbres de plus en plus hauts, chênes, pins, cyprès, est presque toujours énigmatique et beau. Comment diable se forment ces masses vaporeuses, étirées, pommelées, épaisses, noires, déchiquetées, émiettées, sculptant visages, corps allongés, caricatures de vieillards prognathes, tête de lion, galion d'armada ou petit nuage perdu dans le bleu déjà rougissant ?

Quand je regarde inutilement le ciel je ne pense même pas au temps qu'il va faire, je regarde à fond ce spectacle donné à tous, c'est tout.

Est-ce vraiment sérieux ?

Non, je ne suis pas vraiment sérieux.

Bien sûr pour me justifier (mais pourquoi le faudrait-il auprès de vous ? vous pouvez toujours aller lire des gens moins . . . . disons violemment partisans, moins incertains ou ennemis des dogmes et mots d'ordre et pourtant non moins scrupuleux) je pourrais évoquer un sérieux (dont je tente de m'échapper) fait de ces vies déjà vécues, de combat, d'apprentissage, de résistance aux appels des groupes, aux cercles constitués, de ces choix définitifs, de ces solitudes, de ces travaux choisis, pas forcés, où j'ai essayé de mettre mes convictions que j'ai dû exécuter dans un cadre officiel - avec un enthousiasme de comédien engagé pour tenir certains rôles tout au long d'une vie active.

Etre assez "sérieux" pour passer au travers, à la fois des multiples grilles superposées, de compétences, cursus, diplômes, actions menées et abouties, jugements et notation de la hiérarchie tout en étant (fier sans doute, exagérément fier d'être) répertorié comme peu enclin à l'obéissance, aux règles administratives ou sociales jugées perverses et passer au travers, après plusieurs engagements réputés subversifs, de l'indispensable grille-enquête du ministère de l'Intérieur.

Sérieux (vie active) 

et réserve dont je suis aujourd'hui dégagé. Au diable la vie d'avant ! cette vie choisie et contrainte. Même si je l'évoque sans arrêt, forcément . . . .

A ce propos ce qui me frappe c'est justement chez bon nombre de comédiens, justifiés dans leur négligence, sans doute, par les temps impartis (temps de préparation, de répétition, d'essais, d'appropriation des rôles) trop raccourcis, en particulier dans les feuilletons financés et bâclés avec l'argent souvent gaspillé des régions, par des budgets déjà explosés et, tardivement, d'un coup, resserrés, la façon dont certains, de plus en plus nombreux, relations et troupe de copinage, traitent en rigolant en s'amusant d'eux-mêmes, les rôles qu'on leur attribue. Et ils ont l'air d'y prendre du plaisir, oubliant que c'est au spectateur d'y trouver du bonheur et que leur rôle . . . il faudrait qu'on y croit à minima, même si c'est pour eux un exercice difficultueux ou même douloureux.

Si je m'autorise ici des libertés de forme (et parfois de contenu) que j'aurais eu du mal à prendre auparavant ne serait-ce que par la nécessité où je me trouvais de bien communiquer, d'adopter des conventions courantes et d'insister pesamment parfois sur le sens que je comptais donner à mes choix et propos, c'est que je m'adresse ici, conséquence de ces nouveau choix et parti pris assumé d'emblée, relative nouvelle légèreté, débarras d'obligations professionnelles, à des lecteurs  en petit nombre,

lecteurs qui eux-mêmes ont choisi d'être là.

Et ces lecteurs-là je les choie.

Je ne triche pas. J'écris en direct sur mon écran-page. Toute autre forme de sérieux. Ni brouillon ni plan. Je corrige à mesure et nourris des remarques, des squelettes d'histoires, des récits de rêve tronqués, des tentatives de redéfinition, des parcours de textes déjà écrits par d'autres et devenus influences intégrées, des réflexions momentanées sujettes à reprises, des commentaires d'actualité, des souvenirs . . . des rencontres, jeté(e)s avant qu'elles/ils n'aillent se perdre dans les sables, eau d'inspiration très passagère, dont je ne sais d'abord si elle étanchera nos soifs, à vous et à moi, soif de progression en équilibre sur un fil que, ne pouvant tendre par avance, je jette à mesure, sans nœud coulant au bout, lien en suspens et attaché à un space inconnu de moi, rejoignant peut-être le vôtre, celui d'une aventure qui s'invente ou se découvre et dont je ne prétends pas qu'il ou elle soit nouveau ou nouvelle.

Je vous invite, donc dans ce sérieux si sérieux pas sérieux, à découvrir de pures divagations pour atteindre, plutôt qu'un but, un état de tension, d'attente, d'authenticité qui ne correspond plus à aucun rôle assigné, à aucune représentation, à un état que je voudrais de libération et de recherche non stéréotypée. Sans modèle sinon celui des grandes figures inaccessibles, dieux lointains des là-bas édifiés en nuages de rêve, qu'on lit quoi qu'ils écrivent, eux en communication avec cette variété de grâce que peut être l'écrire, plus encore que le dire. 

Un état privilégié de communication, en ce qui me concerne, petit chemin, sente un peu à côté du chemin. Comme à côté de ces sentiers humains rebattus où l'on peut distinguer sur l'herbe qui pousse à côté, le passage de bêtes, peut-être de gens, gens libres, marcheurs infatigables, aguerris, qui ont préféré le tapis encore peu foulé, ménageant le choc lourd des pas, offrant un sol ras, élastique, où rebondir plus à l'aise, hors des cailloux, de la poussière, de la boue, en douceur, comme en rêve éveillé.



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