lundi 13 mars 2023

Tauromachie (de la vie considérée comme une).

 Autant qu'il m'en souvienne et peut-on oublier quelque chose de tel ? J'en ai vu trois. Trois courses de taureaux.

Une à Barcelone. Une à Nîmes. Une à Lima. 

Durant la première j'étais très jeune. Durant la seconde j'avais la quarantaine. Durant la troisième j''avais dépassé la cinquantaine et atteint une folle "maturité" à ma manière obstinée, insouciante, enthousiaste. 

Celle que j'ai vécue à Barcelone avant un voyage aux Baléares, j'avais je crois huit ans, peut-être neuf, n'a laissé qu'une vague trace de lieu, ces grands gradins, de couleurs particulières, cet inoubliable jeu des roses, bleus, rouges et dorures, de musique lourde et pompeuse, trop lente, alors que je me souvient très bien de la Tête de Maure coupée suspendue à la chaire de l'immense cathédrale de Majorque que nous avons visité plus tard (souvenir de périodes barbares depuis longtemps enlevé de ce lieu) et de l'histoire parfaitement romantique, toux, froid, isolement, couloirs et galeries, tristesse, disputes, drame se profilant, de George Sand et Chopin à la chartreuse de Valldemossa, en hiver. 

Ensuite à Nîmes, beaucoup plus tard, j'avais organisé pendant une Feria particulièrement mouvementée, avec des amis de Paris et d'Avignon une réunion mémorable où nous avions mangé répartis sur des chaises, un divan unique et des coussins, dans mon appartement au dernier étage d'un très vieil immeuble du centre ville, une gardiane au riz de Camargue et au Taureau de combat avec pour point de mire et sujet de conversation parmi d'autres il est vrai, Espartaco, petit homme au grand courage, plus doué pour l'estocada que pour la mariposa, qui en fut la vedette très applaudie dans les arènes cette année-là.

La dernière fois où j'ai sacrifié à l'art tauromachique ce fut à Lima, en mettant à part, c'est vrai, une autre que je passerai sous silence parce qu'elle serait trop indiscrète, peu liée au spectacle lui-même dont je n'ai d'ailleurs gardé aucun souvenir et donc qui ne contera pas dans mon énumération et mon récit, . . . dans les vielles arènes d'Acho, au Nord-est de la vieille ville, tout prêt d'un échangeur routier, pour sacrifier au goût d'un invité venu de France, lui, un vrai aficionado. cette dernière (vraiment la dernière) m'ayant laissé un goût de tristesse, d'inachevé, de sang maculant le sable, sans doute à cause d'une mise à mort répétée et ratée deux fois.

Bien sûr je ne suis pas un passionné de ce spectacle vestige, de cette cérémonie pompeusement fatale "autre chose que grâces vaines de ballerine" (Leiris), de ces calculs de recettes et de préparation du taureau par enfoncement des nerfs cervicaux, de cette prétendue belle fin et liberté laissée à la bête dite noble (vision retournée à son profit par l'amateur) si on la compare au massacre industriel et non chirurgical des abattoirs . . . 

. . . . cependant, on peut aussi voir et prétendre, sans exagération aucune, sans illusion d'optique, sans esthétisme d'emprunt, sans mimer les très hauts pères tutélaires d'une époque déjà stratifiée dans nos mémoires, Hemingway, Picasso, Cocteau, Leiris dont j'ai détourné le titre, Bataille, que la vie est une tauromachie. La tauromachie de l'habit de lumière, du héro de l'instant décisif, de l'indifférence au cheval aveuglé et blessé à mort malgré son caparaçon, la tauromachie fondée sur un leurre systématiquement présenté à la victime, glorification populaire du risque inutile, de l'audace et de la ruse perçues comme viriles, bâtie sur le voyeurisme du spectateur attiré en masse dans cette nasse de l'amphithéâtre, remué du haut en bas des gradins jusqu'au fond de ses instincts de survie, est le parfait reflet, miroir circulaire, kaléidoscope à l'envers, sur lequel convergent les images des soubassements sur lesquels sont construites nos sociétés 

et nous jette à la figure ce que nous sommes; . . .

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