vendredi 14 avril 2023

Amis ( de prison cette fois, ou de cocon si vous préférez, suite ).

On le savait - mais on se rend surtout compte après - à quel point c'était décisif ces moments où ou (ou bien) déjà assez sérieux pour jouer les décontractés plaisantins, on s'engageait. Pour la vie, certes . . . certes.

Ainsi, la bande des quatre.

Nous étions venus des territoires adjacents, grande Occitanie (enfants de générations rares, vue l'époque, nés de / pendant la guerre, le babyboom ce fut plus tard) quatre pensionnaires survivants (au fait souvenez-vous on ne mélangeait pas garçons et filles et on portait la blouse grise, sans doute pour économiser un peu l'usure des vêtements . . . ), ceux qui n'avaient pas de relations dans la capitale régionale, pas introduits, pas issus de tribus huppées, connectées aux réseaux, après la première année de prépa qui avait été une année de défections, dispersions, plateforme d'envol de la plupart, fac de droit, affaires familiales, sciences po, reconversions, abandons, et nous étions sans illusions, sans attendre grand chose de plus qu'une fidélité aux apprentissages et le professorat avait encore un peu de prestige en ces temps là, nous les quatre entrant en khâgne, sachant cependant que le grand concours (Normale Sup) se préparait exclusivement à Paris et pas dans ces zones excentrées, dans cette deuxième année de prépa après l'hypokhâgne si rébarbative pour certains, si fructueuse pour nous avec malgré tout, malgré l'éloignement du centre métropolitain, le meilleur spécialiste de Corneille et l'un des meilleurs spécialistes de la Révolution française comme professeurs et héros, nous déjà presque anciens du lycée Fermat du quartier des Jacobins de Toulouse, la ville rose de Nougaro. Gardel et du grand psychiatre Esquirol, où nous savions depuis longtemps comment faire le mur par la zone des travaux entrepris justement dans l'église du palmier des Jacobins, voisine et attenante, il suffisait de sauter un pan de mur à peine caché dans un renfoncement de l'enceinte, de moins de deux mètres de haut, auquel se trouvait accolé un très commode échafaudage, assez rôdés déjà pour échapper au contrôle du matin parfois ou pour nous permettre de brûler des portes de vieux casiers, des morceaux de bureaux crasseux tachés d'encre, dans le poêle, quand manquait du bois et que nous avions froid en cette fin de période pauvre et post guerre où il arrivait que les canalisations de nos lavabos de dortoirs gèlent totalement. cette époque que j'ai toujours du mal / non que je souhaite faire pitié, non nous étions très joyeux et pleins de vie et d'espoir / à considérer comme celle des trente glorieuses comme on dit rituellement aujourd'hui, vue de loin par les économistes et pas de trop prêt ! / /  une étude sociologique d'époque le dit bien : pas encore de frigo dans les familles ni de salle de bain, on se lave dans la cuisine, alors "glorieuses" peut-être mais encore pouilleuses.

Donc quatre, assez pour jouer aux cartes parfois dans les longues soirées sauf que moi, trouble fête habituel, j'étais totalement allergique à tout tapage de carton ayant toujours mieux à faire et d'ailleurs dés que j'avais des cartes en main, je m'ennuyais et ça se voyait, solidaire récalcitrant.

Quatre très petits bourgeois disparates :

Le fils de mégissier qui avait un frère jumeau dans une prépa scientifique du même lycée qui nous racontait l'odeur infame de sa petite ville de traitement des peaux venues du monde entier et tellement de souvenirs du côté de sa mère et du pays basque espagnol, spécialement à San Sebastian, qui nous racontait les virées entre hommes et les exploits cachés de ses cousins, pour certains d'entre eux  militants séparatistes, préparés à demi-mots en tournures à double sens, en vantardises et fausses informations aussi, dans les bars où ils se retrouvaient.

Celui, qui se voulait sartrien avec une conviction de lecteur provincial, toujours peigné en pétard, toujours le même jean raide, coureur invétéré qui prenait souvent les initiatives du groupe, par exemple celle de contacter le gouvernement espagnol en exil à Toulouse pour contrer notre Maître à pensée imposé malencontreusement par l'administration d'alors, un thomiste intégriste formé à la faculté catholique de Lyon, soutien de l'OAS et mentor jésuitique de nouveaux cuistres casuistes, ou de faire venir successivement avant débat sur le sacré, un prédicateur catholique, un protestant, un rabbin, un imam, un représentant de "la libre pensée". Occasion pour moi de lire pour la première fois le Coran dans sa traduction qu'on dit orientée par un esprit voltairien, celle de Claude Etienne Savary, l'égyptologue mort du paludisme, hélas pour lui, dix ans avant l'expédition et les relevés de la mission savante de Bonaparte.


Enfin l'Auvergnat, le seul avec lequel j'avais quelques affinités, que son père poète avait formé aux réelles subtilités de la langue et des sonorités verbales, roi du caprice, de la fantaisie, de l'humour scatologique, lui aussi vrai don Juan des sorties hebdomadaires qui est resté ami longtemps, puis perdu, puis retrouvé au Sénégal et qui maintenant est loin, au bout du monde sur le caillou nickelé. C'est lui qui avait écrit pendant une campagne mouvementée (la France était plus que fracturée, déchirée) des élections ultra-politisées de syndicats étudiants, en grosses lettres capitales, sur le portes alignées des chiottes de notre bahut, reprenant le thème de la liste électorale que, dans un moment d'exaspération, non faute d'engagements mais par souci majeur d'éloignement des bagarres dégénérées, nous avions créée :    

                                                  VOTEZ PANTHEISTE.

Et enfin, enfin, moi, le plus discret des supposés apprentis en sagesse, déjà fou à lier sous une apparence presque placide, ma raie de coiffure sur le côté depuis toujours et encore, lecteur de Shakespeare in extenso la nuit et pendant les récrés, mirliton-poète en herbe et tenant son rôle, appliqué comédien . . . et pour l'instant, très scrupuleusement, la fonction de Grand Prêtre lors de la cérémonie de baptême où les bizuths, dans une salle à peine éclairée à la bougie, venaient me baiser le gros orteil droit de mon pied déchaussé.

Le quatuor ainsi formé par le hasard n'avait à vrai dire aucune unité réelle sauf celle imposée par la réclusion, les promenades en rond dans la cour agrémentées d'évasions et d'éventuels combats exclusivement défensifs avec les Cirards ou les Taupins (promis à des écoles militaires ou d'ingénieurs) qui avaient un goût du bizutage plus "rude" et corporel, voire punitif que les variétés du nôtre faites de grosses blagues et canulards au long cours, inspirés de la déjà longue tradition des toits de la rue d'Ulm ! et les virées au Petit Louis, sacrebleu ! au cœur des ruelles étroites et pavées du Vieux Toulouse, pour la tournée de verres de muscat avant séparation et découverte du monde en solitaires, aventuriers gauches et naïfs. Et aussi, l'échange en même temps que celle des gros dictionnaires, du tabac brun de pipe, des Gauloises ou Gitanes, seules drogues d'époque, au moins pour trois d'entre nous, le quatrième étant allergique aux fumeries et fumettes; mais nous nous serions battus jusqu'au bout pour défendre l'un de nos frère en réclusion.

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