lundi 5 février 2018

T de tombolo encore. Retour et j'y reviendrai.

C'est un mot de géographe italien auquel je tiens. Tombolo, un drôle de mot. Peut-être en raison de sa parenté avec le mot tombe et tumulus, enterrement et monument. Peut-être aussi parce que l'un de ces tombolo d'ici est double. Ici l'histoire se double de la trajectoire d'un disparu que je n'ai pas connu mais dont je peux voir la trace, les centaines de toiles jamais exposées en public, numérotées, quelquefois datées, déposées dans cet atelier dominant le paysage, aux fenêtres en meurtrières horizontales, ne captant la lumière que pour la centrer sur le labeur du dessinateur coloriste, ne permettant pas de voir l'extérieur.
Peut-être enfin parce que j'aime parcourir, au ras des flots ces étendues de sable et de gravier qui seraient un peu ingrates sans leurs liens, lien entre la berge la plus ferme, sur le continent, et l'île parfois lointaine, lien entre les hommes et leurs travaux, liens avec leur histoire et leurs exploitations hasardeuses, leurs constructions risquées, consolidation des langues de sable, digues, polders, chaussées, salines, érection de monuments, phares, lieux de culte et de glorification des éléments. Et c'est un fait, j'y reviens chaque fois que je le peux. Parcourir le tombolo ou le voir d'en haut, le surplomber, ça donne déjà une idée des plans, des photos satellitaires, et avant planification, modification, intervention, du travail de l'arpenteur qui précède la triangulation du cartographe.
D'autant qu'ici, au-dessus de ce tombolo-là, j'entre dans une vie disparue, oubliée, une vie entrée, enfouie dans l'histoire déjà, celle de la France d'Outre-mer, des colonies, des souvenirs d'époques révolues où l'administrateur, à cheval ou en chaise à porteur parcourait la brousse, donnait des ordres, traçait des routes, édifiait, rendait la justice, roi imposé sur ces territoires éloignés, avant de construire après la fin des colonie, sa villa sur la colline et d'y devenir, après formation sérieuse dans les ateliers parisiens, œil dominant la plaine marine et au grès de parcours en terre intérieure, à l'approche des villages perdus, à-demi en ruines, réduits en jeux géométriques, peintre de sécheresse aiguë, de rocs, de paysages cubistes.

Géométrie brutale des hommes, torture de la terre, asservissement des peuples, tombes des conquérants, parcours dont la marque reste tracée dans le trait du peintre amateur averti et formé tardivement par-dessus les couches de sa vie au service métropolitain.

Ensablement des côtes, douceur des courbes, tempêtes naturelles, effacement des œuvres humaines.

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