lundi 12 octobre 2020

Q

 Qu'y mettre en Q ? Peut-être encore une fiction ? Ou du vécu ? Ou les deux entremêlés mais authentiquement perçus ? Perçus au travers, sans filtres, de lentilles et miroirs optiques.

19Q4 ? 1984? une année qui a fait tellement pour la fiction et le vécu, mais diable, pourquoi ? Ce devait être et ce fut, SF ou pas, rétro-fiction ou pas, une année comme les autres dans le monde, malheurs, calamités, lot de décès, pour l'instant me revient seulement ce prix du pain en Tunisie que Bourguiba dût changer. 



Où étais-je cette année-là ? 1984, ça fait déjà 37 ans.

Déjà revenu dans cette ville exil-repos-base arrière où je ne suis pas né mais où à force d'arrêts et retours, hasard et choix, nominations, commissions, coups de tête, rivalités, coups d'arrêt, clans, coups du destin, élections, j'ai fini par me sentir comme (mieux peut-être que) chez moi en cette capitale carrefour du plat pays. 
Par où, quelle trappe, étai-je passé du Congo alors Zaïre, avant d'être balancé, parachuté à ma demande, au Pérou au pire moment ("vous qui avez fait déjà un pays en crise . . . " me voilà devenu spécialiste des temps de guerres civiles, pénuries, massacres annoncés ou passés, misère et inflation galopantes obligeant les gens à acheter des dollars puis à tout perdre ou à descendre dans les villes pour mendier ou voler) ?
Par quel jeu des miroirs solaires réfléchissant des rayons imprévus allai-je, passant par ce repos-intermède, donnant quelques aperçus, au fil de pensées flottantes ou systémiques, fonctionnaire détaché à nouveau rattaché, enseignant ou gestionnaire, d'administrateur à périodiquement attaché, ramené parfois après le long cours à refaire ou improviser des cours ramassés donnant quelques aperçus . . . des longs errements de quelques penseurs nous ayant précédé en chimères, perspectives, utopies et systèmes, dont j'avais pu, au hasard de quelques lectures et parfois expériences tourmentées, emprunter les ponts tendus vers nous, humbles mortels à têtes creuses incapables de telles visions, en passant par Ledoux et Fourier,  à des apprentis artistes tellement avides de savoirs anciens, de textes où se raccrocher et de souvenirs vécus - quelques uns dont de vrais créateurs, sont restés longtemps proches avant de disparaître dans leurs propre vies éloignées - de pays en guerre en pays en guerre ? 
. . . . . . .
Wiki écrit : " 1984 est une année bissextile commençant un dimanche" 
* et personnellement je ne m'en souviens que comme d'une année charnière . . . /

. . . / chair prisonnière, grincements, doigts pris, 
une année  où passant de la maison de village que m'avait prêtée Claude V qui aurait bien voulu que je reprenne, à sa place, il en avait assez, la direction, chiante administration entre impératifs municipaux, clientélisme, indépendance supposée, budgets restreints et directives parisiennes, de l'école des Beaux Arts de cette ville antique, à un petit mas que j'avais loué à des parisiens qui n'y venaient plus, au milieu des bois, cerné de taureaux au pacage, de manades clôturées, marquées au fer et de chasseurs ne respectant aucune barrière (je me souviens en avoir arrêté un dans le fond du pré pointant une huppe fasciée), mas où nous avions passé un hiver ensoleillé sur la terrasse et même pour fêter ça déjeuné torse nu et en maillots sur cette terrasse à Noël avec d'autres parisiens amis depuis Dakar venus nous voir en cet exil provisoire, bouseux et joyeux. 
Puis nous avions pu jeter l'ancre ici, quittant le village refuge pour la ville, et pu acheter un appartement installé au dernier étage sans ascenseur d'un très vieil immeuble du centre ville, cette ville où je suis encore aujourd'hui, cultivant maintenant, loin des bruits de cette sacrée ville, mon petit lopin de terre ingrate, de pierraille, murs secs et chênes verts, lieu où nous rejoint peu à peu, tentaculaire et insatiable, constructions hâtives ou interminables et nouveaux lotissements, la foutue ville étendue, sans arrêt en croissance, alors . . . autres temps, à l'époque, jeunes encore, nous grimpions au troisième et grenier sous les poutres, odeur du café brûlé du torréfacteur depuis trois générations dans sa maison Renaissance non loin, fières façades de pierre, ombre des rues étroites, bruits de ferias et bandas assourdissants, scandale, cris, légionnaires en goguette, toujours présente la légion étrangère renaissante de cendres millénaires, césariennes, dépôt de boucherie en gros, bruits vivants ou bruits abhorrés, livraisons nocturnes, cette ville où se négocia le bétail longtemps sur son boulevard aujourd'hui le plus chic, avec vue sur la cathédrale, ses toits et son unique tour, l'autre démolie par les guerres et le retour de rage des persécutions, ancien temple de Jupiter pour base et vue sur les toits roux de tuiles immémoriales.


Cette année là le prix Nobel de la Paix revint à Desmond Tutu (prononcez tout tout) qui disait "faites le bien par petits bouts", l'année de la mort d'Indira Gandhi, assassinée, l'année où moururent Losey, Foucault, Michaux, Truffaut.
L'année des peut-être plus de 25.000 morts tués par pesticide à Bhopal en Inde, 

je me souviens avoir relu 1984
et n'avoir pas un instant pu imaginer, que je lirai beaucoup plus tard, qui n'avait rien à voir . . . le 19Q4 d'Haruki Murakami comme la merveille . . . qu'il serait et est encore, ou pas. . . va savoir . . .  mais je me souviens parfaitement,
resserrement du regard, parlons de ce que je sais savoir, qu'écrivant cette année-là à la machine portative Olivetti sur des feuilles A4 repliées et coupées en deux, ce format correspondant parfaitement, encore aujourd'hui, à mon temps de souffle, j'essayais, 
écrivassier non rassasié, écrivaillon vaillant, producteur écrivant d'écrits vains minuscules,  écrivailleur d'ailleurs, tapant déjà sans majuscules le clavier par froid ou canicule, 
d'une seule phrase déjà, 
d'aller presque au bout, en bas de la demi feuille coupée en deux et cible redressée, ce qui faisait presque le format d'un livre, enfantine, ridicule imitation, 
d'écrire des romans en miettes et parfois même de franchir le cap d'une seule traite, 
d'arriver en haut de la page qui suivait, blanche 
à conquérir de quelques mots 
suivis d'une virgule
                                                                                                                            et c'est ce faisant que j'ai eu cette vision de ce que je fais maintenant, par quel canal, quelle trappe, quel passage secret, écrire directement sur une feuille en transparence, comme sur un écran, comme en peinture sans repentirs, ou au contraire tout effacer, retoucher par touches, remplir ou dessiner ou même souvent bourrer les aplats, de lambeaux de vie, de ma vie minuscule et de celle des autres si grande parfois, étale ou tortueuse, torrentielle ou monotone, fleuves et affluents en particules bues par les sables
et le buvard bavard, 
coulées, flux, dépôts, raccourcis, enfilades, un œil fermé, vus derrière mon prisme et par le petit bout de mon alpha-lorgnette.

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