dimanche 19 février 2023

le Che ( III ).

 Plus tard, après cette approche d'intimidation, j'étais alors à Nîmes, entre deux "missions" - un bien grand mot qui nous amusait, nous les " attachés qui étions détachés " - la question du Che est revenue à moi par une approche nouvelle, un cheminement d'identification que j'ai pu observer directement sous mes yeux. J'y retourne pour vous raconter aussitôt après cette affaire entamée que je dois essayer d'éclaircir d'abord pour garder un peu d'ordre dans ce labyrinthe capharnaümnique qu'est ce récit entrelardé et coupé. 

Pendant un long moment j'ai tenté de comprendre ce qui s'était réellement passé lors de ce tour de cuadra (carré ou pâté de maisons à Lima, ville où comme partout en Amérique les maisons sont édifiées au bord de rues strictement à angles droits), durant ce tour contraint et inquiétant dans un pays ou l'imprévisible et le pire étaient particulièrement possibles. Un truc pareil ça ne m'était arrivé qu'à Kinshasa quand j'avais dû conduire mon chef venu de Paris, un ex-ambassadeur qui avait d'abord été prisonnier des Viets pour débuter sa carrière et qui gouvernait maintenant la coopération en Afrique, dans l'enceinte militaire où Mobutu, en train de régler leur compte à des délinquants de grand chemin qu'il allait faire exécuter publiquement et en transmission directe sur la télévision nationale, voulait le rencontrer. Quand deux grands lascars mitraillette au poing étaient montés dans la voiture pour s'y assoir avec leurs grandes jambes, derrière notre dos, nous poussant des genoux derrière les sièges, afin, au travers d'un dédale de hangars et casemates, de nous conduire à lui.

Mais revenons à Sentier. 

Voulaient-ils simplement m'intimider ? Manifester leur présence pour me dire en quelque sorte : "toi le nouveau, tiens-toi tranquille, ne viens pas faire semblant, présomptueusement et bien naïvement, de jouer dans notre cour", attitude aussi bien valable pour la police que pour les subversifs . . . si c'étaient eux. Nous avions, c'était clair, avec une activité intense appuyée par la francophilie ambiante établie depuis des lustres, depuis que l'amiral du Petit Thouars, de retour de Tahiti avait sauvé Lima d'une attaque de la flotte chilienne pendant la guerre du Pacifique en 1880. . . peut-être, . . . oh oui, sans doute, . . . dans ce pays en partie caché derrière les Andes, un théâtre, plusieurs salles de projections et de conférences, deux galeries, une de peinture, une autre de photographie, plus quelques actions à l'extérieur de nos locaux et tout un réseau de centres en province, une image à préserver avec toujours la chance ou le risque  de correspondances avec le contexte mouvant de l'actualité ainsi que donc de nombreux rapports avec des "intellectuels", des créateurs, des artistes, des dramaturges, auteurs, comédiens, plasticiens, musiciens, poètes, connus ou récemment apparus sur le devant de la scène, qui eux étaient, pour quelques uns d'entre eux, en rapport actif avec le Sentier lumineux ou le groupe révolutionnaire Tupac Amaru. Nous avions un public jeune en moyenne et plutôt populaire, qui nous poussait à rester ouverts à certains spectacles engagés ou critiques. A travers notre pignon sur rue, le visage de la France des droits de l'homme ne pouvait pas se montrer rétrograde, répressif ou conservateur comme certains dirigeants dans les milieux français locaux ou en haut lieu auraient voulu nous y inciter.

Sur ce plan là nous avions pu rester, aussi bien dans l'institution que chacun à titre personnel, hors enlèvement ou attaque et vivre dans un calme relatif. Si ce n'est une bombinette d'abord perçue comme un peu inquiétante mais imitant mal un vrai attentat (il venait d'y en avoir un contre notre ambassade), qui s'est avérée avoir été posée par un auteur metteur en scène dont nous avions repoussé le projet jugé, à tort ou à raison, non pas trop subversif mais médiocre.

En revanche, l'interrogatoire non menaçant de Sentier (admettons que c'était eux) a pris du sens quand quelques semaines après j'ai appris, toujours par la même filière de comédiens, qu'un ancien membre de l' ELN, l'armée de libération nationale de Bolivie créée par le Che en 1966, dont presque tous les membres avaient été tués au combat ou exécutés dés 1967 ou dans la guerrilla qui suivit en 1970, qui avait réussi à s'exfiltrer et qui cherchait à se faire protéger et à intégrer Sentier au Pérou voisin, avait été mis sur la sellette. Il était suspecté par le même Sentier, d'avoir révélé les positions de son propre groupe limité à une poignée de partisans après enquête menée au travers des divers réseaux révolutionnaires et groupes ou groupuscules souvent ennemis mais solidaires dans la chasse aux traîtres. 

Mon lien direct avec tout ça ? Je crois avoir au cours de la soirée "cuba libre" échangé quelques mots avec cet homme; son regard circulaire, son accent différent . . . , au cours de cette soirée où il était un peu perdu, il m'avait parlé de son pays, de ses altiplanos plus hauts encore qu'au Pérou . . .

Pour en finir avec le resurgissement de si vieux et lointains souvenirs, et cette fois en zone pacifique (l'Europe et la France d'alors, prétendument mises entre parenthèse comme si elles ne participaient en rien aux guerres lointaines), j'ai connu plus tard une sorte de faux sosie du Che

C'était un médecin communiste. Il avait au mur derrière son bureau une grande photo d'un homme debout portant béret, de trois quart, en taille réelle, dont on pouvait se demander si c'était lui ou l'illustre héro. La ressemblance était loin d'être totale mais cependant quelque chose dans la tournure intriguait. Durant des consultations épisodiques nous avions eu l'occasion de parler un peu. Un jour je lui ai demandé si c'était lui. Il m'a dit non celui qui est au mur c'est le vrai Guevara. Je vais revoir et explorer la région où il est mort chaque année. Ce sont mes vacances. Les paysans, les habitants des villages me le confirment : il a eu peu de soutien de leur part. Il a même pu être livré par l'un d'entre eux si ce n'est l'un des guérilleros qui l'accompagnaient, blessé, affamé, comprenant qu'il avait fait fausse route dans le choix de cette lutte désespérée. 

C'est vrai, la légende du Che doit beaucoup à son image, aux tirages qui ont été faits de ses portraits nimbés de lumière ou allongé sur son lit de mort comme un Christ de Mantegna mais c'était un homme. Pas une image. Un homme dont un jeune et très brillant intellectuel français en rupture de classe, les parents de Debray étaient profondément anti-communistes, ne pouvait que subir la fascination. Un homme exceptionnel, Sartre dira "l'homme le plus complet de notre époque". 





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