samedi 18 février 2023

le Che ( II ) la question était ouverte.

 Ce jour là je suis arrivé comme chaque jour à mon travail, à peine un peu plus tard, contournant le grand bâtiment de l'avenue Arequipa pour rejoindre par derrière le parking où j'avais ma place réservée, mais au passage devant l'entrée piétonne, le gardien m'a fait signe de m'arrêter et par la vitre ouverte m'a dit :

- Monsieur, allez vous garer, mais des gens de Sentier vous attendent ici - et il m'a montré du regard un gros 4X4 Toyota stationnée dans la rue dans laquelle il semblait qu'il  y avait deux ou trois types à ce que j'ai pu voir - ils veulent vous parler.

Ce gardien qui était par ailleurs, en dehors du fait qu'il y attachait encore, parfois, les éperons dont étaient pourvus les combattants, une autorité dans son domaine nocturne, celui des combats de coq fort populaires au Pérou, en lequel j'avais confiance, il avait déjà affronté toutes sortes de difficultés et de situations explosives ou délicates à l'Alliance et toujours venait me prévenir, s'il me disait d'y aller, ça parait absurde de s'en remettre à quelqu'un comme ça . . . mais c'est que je pouvais, c'est qu'il fallait y aller et je n'avais pas vraiment le choix. Si je ne me présentais pas ils m'auraient vite rattrapé, moi je n'étais pas un clandestin. De fait, en ce très court laps de temps, je ne me posais pas vraiment la question. Je revins assez vite.

Ils me firent monter derrière à côté du plus massif. Ils étaient tous à visage découvert. Ils étaient bien trois. La quarantaine bien sonnée. Tous plutôt costauds. J'étais, on imagine, en tension extrême.

Très rapidement, je me dis ce sont des flics en civil de la surveillance des étrangers ou de la secrète mais peut-être aussi des vrais de Sentier. D'autant que la veille j'avais participé à une fête chez une amie, une fête où il y avait beaucoup de monde, une fête où le Cuba libre (j'avais même aidé à presser les citrons au dernier moment pendant que les filles, des comédiennes d'une petite troupe, faisaient le mélange qui sentait si fort le rhum) coulait à flots et nous avions tous beaucoup bu. A la fin de la réunion la comédienne que je connaissais le mieux était venu me dire, avec peut-être une pointe de fierté :

- Tu ne t'en doutes sûrement pas mais il y a des gars de Sendero qui sont venus, ils viennent de repartir.

Bon, alors c'étaient peut-être les mêmes, oui des gars un peu différents des autres, vaguement aperçus dans la dernière danse à laquelle tout le monde avait participé dans la soirée, vers trois ou quatre heures du mat.

Bon ici je me dois de continuer un peu sinon mon coach qui ne m'engueule jamais et se contente en général de m'encourager, je veux parler d'Alain François que j'appelle parfois Saint AF car bien vivant pour d'autres à Angoulême, il plane comme une ombre bienveillante au-dessus de moi qui me refuse à aller le voir sur place et aussi parce que dans sa jeunesse il a participé à la mise en scène d'un Chemin de Croix artistique et digne de Pasolini, il faudra que je vous en parle un jour mais ce n'est ni le lieu ni l'heure, lui, donc, que j'appelle Saint AF aurait le droit de râler un peu . . .  

. . . alors, on y va de quelques halètements et soupirs de plus pour raconter encore quelques bribes.

Ce qui était incroyable, mais c'était logique, c'est qu'il n'ont pas fait de préambule. Ou alors je ne m'en souviens plus. Ils m'ont demandé direct de répondre à quelques questions sans s'être présentés.

- Vous arrivez de France. Qu'est-ce qu'on dit là-bas ?  Qui a été responsable de la capture de Che Guevara ? Et vous qu'est-ce que vous en pensez ?

Bien sûr, j'ai retenu mon souffle pour dire mes informations et mon opinion aussi posément que je le pouvais. J'ai dû avoir ce regard qui de temps à autre me plonge en moi-meme et m'enlève à la scène présente. 

C'était l'époque où plusieurs accusations, pourtant quelques années après, du temps était passé, commençaient à peine à sortir dans la presse internationale : la CIA, le KGB, les deux en accord implicite ou non, Régis Debray lui-même par imprudence ou sous la torture, ou encore Fidel Castro cherchant à se débarrasser d'un futur opposant déjà dissident, voilà les coupables de l'arrestation et de l'exécution du Che que désignaient les observateurs de l'histoire récente. (Je me gardais de parler des visites du Che au Vietnam et en Chine qui avaient pu déplaire à Moscou, ne sachant pas à quel genre de révolutionnaires j'avais à faire et ne sachant que trop que ceux de Sendero étaient pro-Chinois - et plus encore parmi  toutes ces idées flash qui peuvent traverser une tête en ébullition durant quelques secondes). Je dis d'abord que je n'avais pas de clartés particulières sur le sujet, mais qu'actuellement en France beaucoup de gens à gauche et ailleurs pensaient que Debray avait été au moins imprudent et que quant à moi je pensais qu'il ne manquait sûrement pas de courage, il l'avait montré, et que d'après ce que disaient les mieux informés ou qui semblaient tels, le gouvernement et l'armée bolivienne disposaient dés avant sa capture d'un faisceau de témoignages, de traces, d'indices et peut-être de trahisons, pistes qui avaient enfermé le Che dans un piège.

Ils me firent expliquer le mot "faisceau" que j'avais dit en français ne trouvant pas le mot en espagnol. puis, apparemment satisfaits de mes réponses, sans rien manifester me firent sortir de la voiture après avoir fait en roulant lentement le tour de trois ou quatre cuadras, ou si vous préférez, blocs ou pâtés de maisons, dans ce quartier plat de Miraflores où les avenues se coupent à angle droit..

En fin de compte, la question devenait, elle était maintenant : 

pourquoi cet interrogatoire ? A quoi ça rimait ? Que me voulaient-ils au juste ? Y avait-il quelque chose de personnel dans cette inquisition ? N'étais-je qu'un élément possible, porteur involontaire de la réponse qu'ils cherchaient pour résoudre un autre problème ? 




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