lundi 20 février 2023

Amis véritables, amis perdus. Un couple merveilleux.

 P, lui et B, elle, furent des amis véritables durant vingt ans au moins.

Je me revois en train de me brosser les dents dans la voiture de P, j'avais trente ans, lui vingt et quelques, jeune Volontaire du Service National hors frontières, en crachant par la portière sur la route de l'aéroport à Dakar et je le revois, lui, hilare et conduisant en prenant tous les risques, il y avait déjà du monde sur la route et encore à l'époque des carioles ou des groupes de piétons pas très disciplinés, pour essayer de ne pas me faire rater l'avion qui me ramènerait en France où j'étais appelé d'urgence pour une affaire de budget de mon service.

C'était souvent la corde raide pour boucler un budget alloué par l'Etat, gérer quelques maigres recettes de spectacles, redistribuer sur ces fonds quelques subventions locales, maintenir le service à flots avec employés nationaux payés au tarif local, entretien du matériel vieillissant y compris les véhicules et prise en charge de frais et dépenses nouvelles imprévus. En l'occurrence, j'avais utilisé une partie de la recette d'un spectacle - à succès pour une fois - pour envoyer hors toute voie administrative admise, des caisses de bouteilles d'eau minérale et diverses provisions et ustensiles introuvables sur place par avion, avec accord spécial des pilotes de la TAP, à un jeune couple avec enfant en bas-âge parachuté en mission par le Département pour y ouvrir le centre culturel tout neuf que nous avions créé avec la bénédiction du jeune et nouveau représentant du Portugal aux îles du Cap vert récemment libérées de la colonisation portugaise après la Révolution des Œillets à Lisbonne.

Car il se trouvait qu'au moment de leur arrivée en passant par Dakar, non seulement ils étaient venus avec une réquisition de chemin de fer (sans doute par confusion avec le Cap en Afrique du Sud si on veut à tout prix trouver une excuse à nos "services géographiques", car tel était leur nom authentique, chargés de la mise en route à Paris) mais surtout à un moment où ces îles indépendantes désormais, mais toujours arides et même désertiques, n'avaient plus une goutte d'eau à distribuer, encore moins aux nouveaux habitants non comptabilisés. Il fallait d'extrême nécessité que je justifie ces dépenses faisant apparaître dans les services que je dirigeais par interim après le départ de mon chef, au passage de peigne fin de la comptabilité centrale où ces dépenses n'apparaissaient pas,  une sorte de "caisse noire" injustifiable et évidemment considérée comme relevant de la criminalité budgétaire.

J'appris ensuite que j'avais été "dénoncé" par un adjoint jaloux, ce ne serait que la première fois que ça se produirait . . . et on m'envoya même ensuite un Maître de requêtes à la Cour des Comptes qui devint en tant que poète à ses heures perdues, lui aussi, un ami qui put rendre compte (effectivement) sur place, in loco, y compris de passage dans ces îles extraordinaires, en profitant juste avant sa retraite, d'un beau voyage accompagné de son épouse, du bien fondé de mon action tout en m'incitant par la suite à la prudence, conseil évidemment bien inutile au début de ma carrière qui allait être si à suspens et mouvementée.

Mais donc voilà le point.

Nous n'avions pas grand chose en commun avec P et B si ouverts et généreux. Tous deux issus de classes privilégiées et même à privilèges coloniaux, plus jeunes de dix ans, parisiens, introduits dans le Gotha, vaguement intéressés sinon acquis à nos idées "de gauche", ils s'amusèrent longtemps et beaucoup de ces aventures que nous leurs contions à chaque passage que nous faisions à Paris chez eux dans le quartier Latin, par la suite, retour de nos postes éloignés, ou invités chez nous dans nos cases de passage entre deux missions, en particulier je me souviens de ce séjour, le premier, en campagne gardoise où nous avions passé Noël torse nu pour les hommes sur une terrasse au soleil d'un mas perdu dans les pins et les garrigues.

Pourquoi cette distance ensuite ?

La vie. Oui la vie. Nous n'avions plus trop envie d'aller à Paris. Trop bien et confortables en "hideuse province". Nous les amusions moins sans doute. Finalement je n'étais qu'un prof "détaché" aux mauvaises manières, parfois et assumées, sans doute. Et puis honnêtement ils furent témoins malgré eux des drames de notre couple aussi mouvementé que notre vie, secoué par des ruptures avant retrouvailles, ce qui ne leur plut guère en tant que bourgeois catholiques au fond d'eux-mêmes, maintenant au moins les apparences de la famille unie et du ménage et mariage sans accrocs, on les comprend.

Mais de temps à autre un coup de fil les avertit que nous sommes en vie. Cette non parenté vaut bien d'autres cousinages. J'ai eu une grande famille que je n'ai plus. Une sorte de tribu dont je suis en partie renégat. Quant aux amis qui sont amis que vent emporte, la vie les remplace par des figures inattendues, nouvelles, encore plus éloignées de nous. Rien ne vaut la dissemblance. Sauf quelques rares fidèles de-ci de-là.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire