mardi 14 février 2023

Nietzsche et l'animal.

 C'est François Bon l'écrivain performeur, traducteur, pionnier de la littérature numérique, auteur en continu et éditeur militant passeur à bout de bras sur son site et écrivain chez d'autres éditeurs papier, créateur de ces chefs d'oeuvres que sont Autobiographie des Objets, Fictions du Corps, Paysage Fer, entre autres, qui dévoile cette histoire oubliée, rapportée par Malraux au travers du récit qu'en fit un contemporain de Nietzsche, ami de son grand père. Un récit presque inédit comparé à côté de celui qui a déjà fait couler beaucoup d'encre.

On y voit Nietzsche tout juste tombé en folie après ce séjour à Turin où il a cru trouver après Bâle, Sils Maria, Nice, Menton, Gène, le climat idéal.

C'est l'histoire, juste après, qui se passe dans le train où le philosophe est embarqué par ses amis, contraints de l'arracher à ces délices méditerranéens pour le reconduire à Bâle, en clique, voyage qui le ramènera bientôt vers sa famille et sa patrie, après cette scène terrible et fameuse où, imitant exactement un héros de Dostoïevski, il s'est interposé sur le pavé de la place, entre le fouet du cocher brutal et déchaîné et le cheval malade, épuisé, qui s'effondre. Scène quasi mystique, scène presque digne des stigmates imposés à San Francisco au mont Verna (l'Alverne), où il serre la tête de la bête contre lui et l'embrasse en pleurant. Contact plus qu'humain dont  hélas il ne reviendra plus parmi les hommes. Ayant perdu à jamais, durant plus de dix ans, jusqu'à sa mort, toute lucidité. 

Mais c'est donc une autre scène que nous joue dans une des dernières performances qu'a enregistrées sur son site, François Bon, de sa voix ironiquement sépulcrale et prophétique, 

celle d'après.

                        On y voit Nietzsche avec son fidèle ami et accompagnateur après le désastre, le peintre Johann Friedrich Overbeck, assis sur la banquette face à une paysanne, dans le train qui passe le fameux tunnel sous le mont Saint Gothard. Il y passe, du moins dans ce compartiment réservé à ceux qui ne peuvent se payer une meilleure place en meilleure classe, toutes lumières éteintes, dans le noir. Et là se produit un événement minuscule mais si énorme que le monde en semble retourné, inversé,

              l'homme visionnaire, hyper-critique et imprécateur y passe de la tentation, de la possibilité et de l'examen du nihilisme, il était à Turin pris en plein travail de réexamen (cet examen aura des retentissements si loin, jusqu'à Albert Camus par exemple et jusqu'à nous, dans les époques de remise en cause, de guerre, de bouleversements des sociétés) à une barcarolle sur Venise qu'il a lui-même composée quelques années plus tôt, . . . homme iconoclaste qui a renversé le bestiaire du christianisme, aigle, serpent, âne et bœuf (vache par dérision dans son oeuvre) . . . homme dénaturé

il se met, face à la poule enfermée au pannier sur les genoux de la paysanne, volatile qui de temps à autre sort la tête du pannier pour pousser dans le noir un cri de peur lui-même effrayant, 

. . . . lui Nietzsche, on l'y voit . . . quelle étonnante cérémonie, quelle étrange célébration, quel mystère !

dans le noir, qui se met à chanter doucement, lui l'homme qu'Hitler pour sa cause falsifiera, aidé des modifications apportées à ses écrits restés en souffrance par sa sœur acquise au nazisme, 

à chantonner dans le noir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire