mercredi 24 juin 2020

R 2

Au redémarrage de son petit bus le chauffeur m'a fait signe au lieu de regarder la route jusque là déserte et a failli enfoncer une mini-moke en train de le doubler, vous savez ces petites voitures souvent rouges et donc visibles de loin, pratiquement réservées aux touristes, bien connues et répandues dans ces années-là, spécialement tout au bord ou carrément sur les plages, qui, légères,  ouvertes aux brises de mer, avaient un peu de mal à s'enliser dans le sable et aucun à vous décoiffer les mannequins les mieux brushés y exposant sans barrières leur bronzage.
Justement, étonnant hasard, celle qui conduisait hardiment la mini et ne manqua pas de me reconnaître était une fille, ex-collègue d'autres horizons, qui un jour où elle avait imaginé pouvoir grimper sans trop de peine les échelons du métier où j'étais engagé, ce qu'elle ne manquât pas de faire assez vite plus tard, m'avait ( bien que je ne revendicasse ni n'assumasse en rien des fonctions de chasseur de tête ou de DRH tout puissant propulseur de nouveaux talents au sein du Département ) ouvertement, platement fait du gringue ou paisiblement du plat à plusieurs reprises. De mon côté, bien qu'aventurier moi-même je me suis toujours défié des aventurières et l'avais gentiment repoussée au bord limite du terrain une fois, en touche la suivante et donc pouvais légitimement me demander par quelle manigance ou circonstance spéciale elle était là et ce qu'elle pouvait dans cette occasion de détente, tenter ou trafiquer. Mais, au moins provisoirement, continuant sa route ce fut à son tour de me laisser de côté; j'étais cette fois épargné d'efforts de manoeuvres poliment dissuasives.
C'est dans ce contexte et sans autre souci que tout allait se passer, car comparé au climat habituel de toute intervention au sein de nos représentations extérieures c'était le beau fixe et la transparence, le grand calme et l'absence de crise à l'horizon.
Je commençai en ces lieux édénique à me dévêtir, ce qui ne fut pas long, de ma tenue déjà dénudée puis ajustai masque, palmes et tuba assis dans l'eau remuée de vaguelettes.
Quand je plonge en masque-tuba sans autre appareil je regarde sous l'eau avant d'avoir avancé, circonspect et jette un regard circulaire dans les transparences, enfoncé et un court moment immobile avant de me propulser. Première impression, une fraîcheur agréable de l'eau pas encore bouillonnante malgré l'implacable soleil tempéré il est vrai d'alizés, mais tout aussitôt une sensation de vide, de nudité, d'immensité provoquée par cette continuité du sable et de l'eau limpide à perte de vue, sans algue, sans barre de corail même au loin, sans pierres, sans rochers et plus étrange sans le moindre petit poisson qui frétille, se colle au sol ou miroite dans un rayon en se tordant ou plonge pour fouiller le sol de sa bouche ouverte, rien. Malgré tout je me propulse, avance et bientôt, sans précipitation mais décidé, je reviens, reprends pieds et sors.
Cela ne me ressemblait guère. Jamais je n'avais ainsi battu en retraite et surtout apparemment sans raison, pour une simple répulsion instinctive.
L'eau pouvait être glacée, si elle était belle comme dans les criques bretonnes, je fonçais, trouble ou pour le moins un peu opaque comme à Patras ou sur la côte pacifique de l'Amérique, j'insistais pour évaluer mon courage face à l'inconnu et essayer d'y distinguer un paysage, des signes de vie, boueuse et trop chaude comme en Guyane, j'avais savouré ce bain de limon, sans parler des fleuves rougeoyants d'argile épaisse où faute de mieux j'avais commencé à nager dès mon enfance. Quant aux eaux merveilleusement limpides des Caraïbes ou de l'océan Indien ou de la Mer rouge, j'y avais connu mes meilleurs moments de découverte d'un monde invraisemblablement inventif en formes, motifs, couleurs.
Plongé et exposé souvent aux paniques, frayeurs, appréhensions éprouvées face à ces monstres froids qui peuplent notre morceau de terre et ses ministères, tout spécialement dans les organismes structurés où se jouent les renversements et les flux du pouvoir ondoyants et instables ou carrément délétères, j'y avais assez bien nagé ou flotté ou au moins survécu à plusieurs reprises en tant que curieux, presque inconnu, recensé dans des listes  ou organigrammes provisoires, y compris annuaires diplomatiques, modeste ludion, jouet des courants imprévisibles quoique cycliques, des tourbillons qui se déplacent et des retournements traîtres.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire