samedi 18 juillet 2020

Fibre 3.

Ainsi donc la Fibre arriva. (Suite et Fin, toujours provisoire dans ce genre de cas, ça a l'air plutôt fragile ce genre de truc)

((D'autant que comme vous aller voir, c'est totalement ubérisé autant que numérisé)).

Rendez-vous était pris, 8 heures du mat ils avaient dit;
pas de problème, quel que soit la saison, le mois, nous c'est avant 7 heures que nous sommes debout, dispos, heureux de nous lever pour dissiper toutes ces ankyloses et déplier ces muscles et nerfs rouillés, presque bloqués à force de se retourner sur la couche à dormir à moitié, pire que quand nous allions forcés, turbiner et marner au boulot sans être vraiment réveillés, les yeux pas en face, dans notre retraite où d'ailleurs nous avons tellement à faire en si peu de temps, et même, depuis peu, plutôt à 5 ou 6 heures du mat, d'autant que le petit matin au travers des branchages de notre nid de pierre, en ces jours est si beau, si frais, si rouge et blanc avant que le soleil perce au ras des lauriers odorants.
Lui, le plombier matinal, exact, était là (voir l'épisode précédent) mais pas le mec de la Fibre low-cost, faut être honnête, c'est pas le plus cher des fournisseurs d'accès que nous avons pris, mais films avec my canal et chromecast ou autre balanceur de série, tant de sources, et tout l'Internet en personne et annexes, couci couça, de toutes façons, je vous l'ai dit, c'est le quartier excentré qui veut ça et l'état des fils de cuivre qui barrent le ciel tout au long de ce foutu chemin de campagne maintenant tout habité de nouvelles maisons, tout ça marche à peu près quand même et le portable aussi, pour le même prix, en Europe sans frontière, dans son entièreté.
On attend donc, puis finalement on appelle un numéro qui sonne là-bas si loin, en Chine, au Vietnam ou au Maroc au moins, ou en banlieue de Tunis, on ne sait, et au troisième coup, pendant qu'on entend cette voix qui parle un admirable français empesé et scolaire, bien appris, plein d'égard pour le client, il apparaît ici, il va apparaître à la porte on nous dit, chez nous, aujourd'hui, personne n'avait prévenu, c'est, dit la voix qu'on sait lointaine mais si proche, trop polie pour ne pas être dressée à cette contrainte, que le mec prévu n'a pas pu venir (ah . . . . ces raccords et ces ponts de congés, pense-ton ! mal intentionnés) et la voix dit qu'ils envoient un autre mec plus tard, cet après-midi.
Rapide réflexion immédiate. Ouh  . . . là là ! nous pas crédules pour un sou, 14 juillet aidant, demain c'est foutu on pense . . .  et peut-être faut s'attendre à attendre encore; report de date, temps perdu, oubli, nécessaire rappel et si difficile et long d'avoir un interlocuteur . . .
mais non, à 4 heures de l'aprem, il appelle, lui en personne, l'homme du chantier, le Messie de la Fibre et dit qu'il arrive et ne se perd pas dans les garrigues et les chemins pas toujours bien indiqués et les GPS qui fourvoient, c'est que c'est un malin . . . et justement le voilà devant chez nous, pile.

Il est jeune, mince, agile, fait quelques grimaces, on ne sait si c'est à cause de l'heure ou du chantier en prévision.
Il me dit :
 - Bien ce quartier, c'est là que mon beau-frère a failli acheter un terrain.
Puis alors aussitôt il m'embauche et je lui apporte ma grande échelle - lui aurait dû revenir à l'atelier en chercher une car il a été saisi par la peau du cou pour le coup par son chef employeur, normalement il avait fini sa journée et il rentrait chez lui tranquille mais pour se faire bien voir il a dû accepter, un peu fatigué quand même mais plein d'allant, encore, et gentil, de bonne humeur.
Les minutes passent et les heures, nous travaillons ensemble - normalement pour faire ce boulot faudrait être au moins deux - à tirer les fils de la rue dans mon chez-moi, en utilisant une "aiguille", vous savez ce fil qu'on attache au fil existant pour tirer un nouveau fil dans la gaine en général étroite et un peu bouchée qui traverse mon devant de porte, où il faut mettre du savon et de l'eau pour faire glisser en tirant comme des malades et comme il se trouve comme de juste que lui doit surveiller pour pas dépasser la longueur exacte du fil, ne pas rater le bout, c'est moi qui tire, dedans puis après dans la rue au soleil, il crie :
- Tirez encore !
Et je tire comme un malade, j'en ai mal partout même aux mains de tirer comme un galérien, moi avant tout bon à rien et pas doué ni entraîné manuellement, sur ces aiguilles et ces fils coincés dans la gaine étroite et un peu tortueuse ou bouchée de terre, de sable, que sais-je ? . . . puis après faut raccorder au sommet du poteau à une sorte de pince puis de boîte et c'est lui qui y monte et comme elle est pas assez longue cette échelle, ma grande échelle, il la monte et la juche sur mon mur d'enceinte - j'habite une vraie forteresse entourée de ces murs de pierre si coquets, fait de ces pierres qu'on trouve amassées en couches et en strates, toutes préparées sans besoin de tailleur de pierre, dans la garrigue au point qu'elles remplacent la terre et pour qu'au moins ils servent à quelque chose ces ramassis de pierrailles, on en fait des murs de pierres, des cabanes de pierre appelées ici "capitelles", des tas énormes de pierre entre chaque  propriété appelés "clapas" et là, une fois en tas, ça sert de carrière pour faire d'autres murs de pierre.
Donc après avoir tiré, poussé, sué, tenu l'échelle, plié l'échelle qui renâcle, dont un barreau est cassé, fait arrêter les rares autos dans la rue, tiré des fils, raccordé au poteau suivant, au moins à 30 mètres de la maison, nous y voilà, il raccorde à la boîte plus grosse qui dispatche le truc. Il a de la sueur qui lui tombe dans l'oeil, l'homme de Meknès qui a 38 ans et un accent de banlieue de par-ici, et trois enfants, et qui bosse dur pour en sortir, car on a eu le temps de parler un peu, et même du 14 juillet qui n'aura pas lieu cette année et du coup je sais qu'il a la fibre aussi peu militaire que moi . . . car il est presque huit heures et au premier essai de connection ça ne marche pas.

Entretemps, un peu épuisé moi aussi quand même, je lui avais dit en rigolant :
- Vous savez mon âge ? La fibre exploite les jeunes et aussi les vieillards. c'est honteux !
Il m'avait répondu :
- On va leur demander un salaire pour vous, promis, avec une prime spéciale.
Mais ce n'était plus le moment de rigoler.

Oui, nous en sommes là, il me dit après un appel ou deux à la centrale, qu'il ne peut pas continuer, qu'il doit partir, qu'il reviendra. Je vois qu'il est mal. Et je comprends ça.

Mais nous avions eu le temps un peu, entre deux efforts et interpellations au bout de ces fils transmetteurs de fibre (la Fibre ça s'appelle ainsi car c'est constitué quand on coupe le fil et qu'on la déploie, de réseaux de toutes les couleurs de l'iris en ailes de papillon éclaté) de parler des 70 portes du rempart de Meknès, des colonnes de Volubilis et de son fils ainé qui voudrait bien être ingénieur ou s'occuper de préserver la nature, il ne sait pas trop.

Alors je lui dis OK, mais on fait un dernier essai, si on revenait voir la boîte de l'autre poteau, j'ai vu que le branchement était compliqué et qu'une goutte de sueur vous est tombé dans l'oeil.
Il me regarde un instant.
Il rit, et c'était ça.
Un petit coup d'échelle et ça marche après vérification de ç'te p *** de fibre !

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