vendredi 27 octobre 2023

A comme Argentine.

 Quel rapport étrange, inattendu, illogique en quelque sorte, ai-je eu avec cette réalité, ce pays immense, ce mot, cette culture si forte, riche, grave, ouvrant des voies nouvelles, ces gens si proches, si fraternels, lointains parents retrouvés miraculeusement,  aux sons de voix assurés, caverneux, y compris chez les femmes parfois, aux bruits, aux pas, et aux galops si peu argentins ! cette littérature, une des plus inventives du monde qui venait de nourrir les émerveillements de ma jeunesse . . . /

Cet article, si j'arrive à l'écrire, va exiger beaucoup de moi. Que je me découvre. Que je me dévoile mais aussi que je m'enfonce dans les couches d'une histoire qui ne concerne pas que moi qui n'ai fait qu'y passer et m'y impliquer par le jeu du hasard et des rencontres, mais tout un peuple exubérant et courageux, largement emblématique des "veines ouvertes de l'Amérique Latine".

J'aurais préféré parler du Chili avec lequel j'ai eu beaucoup moins de liens. L'immense et long Chili, bande de terre interminable cachant le Pacifique derrière ses forêts naturelles archaïques et sa si longue chaîne andine dominée par l'Aconcagua. Je me souviens d'un propagandiste et propagateur régional de Nitrate du Chili passé voir mon père alors en rapport avec des gens des services agricoles départementaux, qui m'avait demandé, me montrant une carte d'Amérique :  

- Sais-tu où est le Chili ?

J'étais à l'époque, six ans ou quelques mois de plus, peu enclin au bavardage avec des inconnus et bien que sachant parfaitement situer cette mince, si étroite sur les cartes, bande de terre, car mon père m'avait déjà transmis beaucoup du peu de savoir lié à la fois à ses activités et compatible avec ma curiosité naissante, j'étais resté muet, quelque chose passant cependant dans mes yeux puisque l'interrogateur avait conclu : 

- Il voyagera ce petit, ça se voit dans son regard.

Quand j'ai vu pour la première fois Buenos Aires, j'étais étonné d'y rencontrer une telle francophilie. Le Journal Le Monde y était à la vente en bonne place, quoique en retard parfois de quelques jours par rapport à Paris, à la devanture des kiosques sur l'avenue Cordoba. Ensuite je n'ai eu sur place dans cette énorme cité si proche et lointaine de l'Océan, baignée d'eau douce terreuse et polluée, que des rapports trompeurs. Et d'abord cette impression, selon les quartiers, d'être toujours dans un très lointain et inversé (hémisphères ajoutés en décalé aux fuseaux horaires) trompeur miroir de l'Europe, tantôt à Barcelone ou à Milan ou aussi dans un petit morceau, en imitation de Panam . . . images imbibées du parfum des petites pommes de terre coupées en deux, délicieuses et gonflées à la friture et de ces merveilleux steaks surdimensionnés, grillés, un peu trop cuits à mon goût . .  mais encore plus délicieux quand même, le tout baigné de tango, tout proche des effluves de l'ancien temps où "dans le reflet de notre ennui" (ces banlieues y compris Palermo), . . . il devenait impossible de retrouver grand chose des poèmes et contes lapidaires du génie pur qu'était Borges ou des réflexions inspirées du passeur expert qu'était Roger Caillois.

Ce n'était qu'un début, ensuite diverses circonstances m'y ont ramené, chaque fois dans un contexte local loin d'être apaisé, réunions "régionales" pour les délégués et directeurs envoyés en poste en Sud Amérique, anniversaire de départ de l'un de nos chefs mythique marié à une Argentine, réunion de coordination des plans de festivité prévues sur le sous-continent pour fêter les 500 ans de la "découverte" de l'Amérique ou le bicentenaire de 89, d'abord à Rio puis prolongées à B.A. 

A chaque fois, cette impression de discours biaisés ou convenus faussant totalement le réel, un peu à notre très petite échelle de conséquences limitées aux fragments de culture importée, parfois parachutée sans correspondance, histoire de dilapider de minces mais exceptionnels crédits accordés pour ces occasions uniques, à l'image, certes mesquine et réduite ici en l'occurrence, des grandes conférences internationales accouchant de résolutions pieuses et se sachant inapplicables et d'ailleurs déjà historiquement dépassées et piétinées par le cours des événements.

Le pire était encore à venir du moins pour ma pomme, roulant dans le vaste monde.

Contrairement à mes vœux car j'aurais voulu travailler à Rio qui fut notre premier amour territorial, les Brésiliens constituent un peuple fou et déchaîné qui touche mon cœur plus que tout autre (et ç'avait été à deux doigts d'arriver, une nomination "providentielle" ou au moins chanceuse) et conformément, en revanche, à ce que je fuyais . . .  ce fut une nomination au "grand poste" de D.G. en Argentine  qui m'était pratiquement imposée; . .  

/donc on me nomme puis . . . (c'était à l'époque des luttes intestines franco-françaises entre les système et réseau Alliance d'une part, système et réseaux spécialement développés dans les villes de quelque importance en Amérique latine, et d'autre part, Services culturels dépendant directement des ambassades et limités, pour leur action directe, à quelques centres culturels, ce qui créait un fond particulièrement instable pour la nomination des délégués généraux coiffant les Alliances et apparaissant de ce fait et du fait de leurs missions plus longue dans leur poste, à l'occasion . . . pas toujours . . . comme plus informés et mieux relié au pays que les conseillers et attachés d'ambassades)

puis . . .  presque tout aussitôt on me retire l'affectation à ce poste de B.A. . . . dés que j'ai fait remarquer, un peu trop clairement . . . lors d'un repas à Paris où devait se concrétiser par un accord interne "maison" ma nomination et lors d'une réunion restreinte dans la capitale de l'Argentine, que si je devais travailler avec l'actuel Président local de l'Alliance Française, ancien secrétaire d'Etat du gouvernement de Vichy qui resta à son poste jusqu'au bout de l'infamie, assumant ses choix, avant de se réfugier en Argentine pour y exceller en tant qu'homme d'affaires de haut vol et pour, en fin de carrière, pendant la plus triste période des généraux y régenter longtemps l'institution de diffusion de la culture française à l'aide de ses réseaux, j'aurais tendance à mettre en cause ce genre de longue compromissions de nos services, . . . et à prendre quelques mesures nouvelles . . . double parenthèse : il faut dire qu'entre temps j'avais eu l'occasion de fréquenter d'assez près quelques étrangement joyeux et virulents réfugiés politiques argentins à Paris, anciens opposants du régime militaire, simples citoyens en désaccord ou, pour certains et certaines, résistants, militants et militantes engagé/e/s dans des mouvements révolutionnaires actifs et réputés terroristes, encore vivants mais recherchés par les polices de leurs pays, dont quelques uns, peintres, poètes, créateurs ou critiques universitaires dans leur pays, se retrouvaient au coude à coude avec Cortázar (justement celui de l'étrangeté analogique de la mémoire, de l'amour des passages couverts qui font communiquer poétiquement Paris et Buenos Aires) au comptoir du même bar dénommé "La Palette", ne portant pas dans leur cœur la dite institution française dont la réputation, au moins en leur pays, méritait toute leur causticité.

Alors, certes, à un moment où on commençait à faire la chasse aux encore jeunes vétérans, à leur tendance à imposer un peu leurs conditions, parfois leur vision (marquée d'époque) aussi bien . . . Tiers-Mondiste comme on disait encore, j'étais pris dans le collimateur officieux, on chercha et on trouva la faille, c'est vrai j'avais pu être un peu insouciant (et ici peut-être de façon marquée et provocante dans un milieu de bureaucrates étroits) des formes règlementaires à mon sens surtout applicables dans le confort d'un pays où règne une riche démocratie et en principe, dans les grandes lignes l'état de droit et une paix sociale relative *, on cherchait donc comment se séparer de moi, tout en m'adressant très officiellement une belle lettre de fin de mission, au bout des six ans règlementaires, de remerciements et de félicitation pour mon action locale décrite en définitive comme "exceptionnellement fructueuse"<; 

Je la garde depuis lors pour me prémunir contre ls louages et les louangeurs.

Ainsi j'ai pu apprendre, à voir les images renversées d'un hémisphère à l'autre, parfois reproduites au loin dans leur vérité transparente mieux que là où la force et la présence de l'autorité en place, forces spéciales, tortures et exécutions venant corroborer le fameux "principe d'autorité", peut brouiller la vue de ceux qui ne l'ont pas claire.

* Rappel en parallèle, en ce qui concerne le Pérou des années 80, qui n'était pas "un Pérou" ! Ô lointain pays oublié du monde ! où l'Internationale Socialiste s'est tenue pendant 1- l'occupation de la prison où ils étaient détenus par les prisonniers politiques appartenant à Sentier lumineux 2- leur exécution sur place par un commando spécial de la Marine, tout cela sous la Présidence d'Alan Garcia, membre invitant supposé dirigeant progressiste, en à peine quelques jours  : 

au quotidien, par ailleurs, enlèvements, assassinats, attentats, défilé dans la capitale des révolutionnaires de Sentier lumineux, inflation supérieure à 6.000 % en moins d'un an, coupures générales d'électricité, grèves générales à répétition, état d'urgence, couvre-feu, guerrilla, changement de monnaie après dévaluations surprise et fermeture des banques, autant de caps qu'on avait pu demander de franchir à un "détaché" et son équipe en rien formés à l'économie, encore moins à la gestion d'entreprise en période de guerre civile et de crise grave, en charge d'instruments culturels qu'ils s'était ingéniés, dans ce grand chaos, à maintenir puis développer, action avant tout  "culturelle et artistique" (expression consacrée) mais parfois sociale de l'institution, y compris dans les quartiers défavorisés et les bidonvilles géants de Lima et dans divers centres éloignés, voire isolés, de province.


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