jeudi 19 octobre 2023

La patiente fausse sceptique.

 Ca remonte à loin cette histoire. En un sens c'est une vision d'horreur.

C'était au Brésil, en étranges soirées, quand arrivé depuis peu en poste, avant de m'inscrire dans un groupe de travail et de recherche théâtrale en méthode Grotowski, j'avais, suivant un conseil mal orienté et profitant d'une introduction inespérée, participé aux réunions d'un groupe constitué de psychanalyses junguiens de diverses nationalités et ouvert aux non professionnels que je ne tardais pas à abandonner pour diverses raisons. C'était une époque où, malgré la dictature, s'ouvraient partout, se multipliaient, dans la languide Rio 

ex-capitale détrônée depuis un moment, dix ans déjà, par la froide, vide, splendide et sèche Brasilia où avaient beaucoup traîné les parlementaires (exigeant de garder un domicile et une voiture avec chauffeur à Rio la tropicale et balnéaire) . . . à y siéger dans cette nouvelle capitale toute d'artifice, et où malgré l'injonction officielle, certaines ambassades, dont la nôtre, n'avaient qu'un siège encore à peine opérationnel, les nouvelles fraiches, le moindre changement intérieur, rumeur, mode, tendance, scandale médiatique, ainsi que les visiteurs extérieurs arrivant d'abord forcément par l'aéroport ou le port de Rio, prioritaire par sa masse urbaine et par sa position côtière stratégique,

des clubs, associations, lieux de rencontres, de réflexion, amicales d'entraides, alliances de forces politiques éparpillées à long ou court terme, cercles et cénacles en partie ou totalement informels.

C'est donc là, dans ce cercle qui n'était pas le mien, les junguiens m'ont toujours agacé et peut-être spécialement dans ce groupe qui me fut accueillant, qu'eut place ce récit initial que je tente de reproduire et que son auteur a résumé depuis, dans un article publié dans une obscure et éphémère revue de psychologie avant que l' imprime, encore raccourci et ronqué, sans présentation adéquate et donc passé inaperçu de tous, dans un coin de l'édition du dimanche le très diffusé Jornal do Brasil de ces années lointaines.

Voici :

Celui qui raconte, un jeune psychanalyste venu de Suisse romande qui parle un portugais impeccable et chantant, au regard d'autant plus étrange, insistant, qui parfois s'accroche à ses interlocuteurs, un regard tantôt lointain tantôt inquisiteur, que l'homme est totalement chauve, que son visage est pâle et glabre, commence par décrire sa patiente, une femme de quarante ans qu'il appelle Mme X,  mère de famille sans profession qui le consulte à propos de ses angoisses devant l'avenir de ses trois enfants d'âge bien échelonné, sept, neuf et onze ans, trois garçons remuants. 

L'analyse précise-t-il a lieu en français (langue dont la plupart des membres présents de la réunion semblent avoir quelques rudiments puisque aucun d'entre eux ne se fera expliquer la turlupinade), les deux protagonistes ayant cette langue en commun comme langue maternelle.

Elle se plaint de ne pouvoir compter sur rien. Elle ne sait plus qui croire ni à quel saint se vouer. Elle perçoit le monde, y compris son entourage, comme un milieu flou, instable, fantomatique et les jours les plus tristes comme un décor de carton auquel il est prudent de ne pas se raccrocher, qui, refermé en cercle autour d'elle n'ouvre aucune perspective et l'emprisonne dans un sentiment désagréable d'impuissance. 

Parfois elle rêve d'un monde en ruines d'où les gens ont fui ou été déportés et qui se résume à quelques bâtiments éventrés, à des places publiques et des rues vides écrasées de soleil. 

Le pire dit-elle aussi ce sont ses sensations d'un entourage, d'un environnement, d'objets, de personnes  qui se désagrègent, tombent en poussière ou plus souvent se liquéfient en une purée noirâtre. Le pire c'est, dit-elle qu'elle se sent responsable de ce phénomène désagréable, nauséabond.

Pourtant elle dit qu'elle sait que tout cela est faux, que le monde est consistant, vivant, rigide et dur, que ses proches sont prévenants et solides, mais elle doute, elle ne peut s'empêcher de ne pas y croire, tout lui apparaît comme une mise en scène de tromperie et de misérable cauchemar.

Elle dit aussi, elle a fait quelques études de philosophie, qu'elle se définit elle-même comme une fausse sceptique et malgré les perches tendues par son analyste, elle ne parvient jamais à saisir le sens double et caché, si l'on excepte la prononciation du O, de cette expression en français 

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