mardi 2 mars 2021

Fontaine.

 Au pays du Jardin de la Fontaine qui donna son nom à la ville, puisque Nîmes est selon la tradition historique et les recherches en étymologie et toponymie en cours depuis des siècles, la ville du bois sacré ou la ville du temple de la source, ou encore la ville du dieu de la fontaine nommé Nemausus en latin et peut-être Nemos ou Nemeton en gaulois transcrit en lettres grecques sur les tombes des notables, il s'est passé des choses qui me concernent très indirectement et relèvent d'une autre plus triviale, fracassante et dadaïste  "fontaine" dite "fountain" outre-Atlantique.

Déjà quand je suis arrivé à Nîmes retour d'Afrique où j'avais eu l'effronterie de refuser un poste jugé intéressant par le Département ministériel qui régissait ma vie, c'était ici un peu avant des élections locales, les esprits étaient agités par le choix du maire de l'époque, un ami de Régine, la chanteuse "Reine de la Nuit" et lui-même membre  du gratin parisien, de construire un musée d'art contemporain (alors que la ville comptant déjà trois musées jugés bien suffisants par la plupart de ses électeurs) à la place d'un théâtre en ruines (ayant lui-même une histoire nocturne que je raconterai peut-être un autre jour). De ce théâtre en ruines, ne restait qu'une grande cavité qui s'emplissait de l'eau des orages, trou rectangulaire profond et béant masqué de géantes colonnes surélevées sur un immense escalier piédestal. 

Cet appareillage faisait face et écrasait toujours de sa grandiloquente et anachronique hauteur la petite Maison carrée pourtant elle-même montée sur un haut podium. L'édifice avait surtout eu le temps de marquer, du fait de sa date de construction (1803) pour le théâtre et (1830) pour l'ajout de la colonnade, peut-être d'autant plus depuis son incendie et sa ruine puissamment romantiques (1952), plusieurs générations d'amateurs de bel canto du cru à tel point qu'au moment des élections locales où se situe mon souvenir, un parti s'était créé dont le seul programme était d'exiger l'inamovibilité des fameuses colonnes de cet ancien théâtre incompatibles avec la nouvelle construction projetée par les m'as tu vu et les énarques parisiens gravitant autour du maire prodigue et enfant de la cité.

Voilà donc que je me trouvais personnellement pris à parti car, par un concours de circonstance, il se trouvait que j'avais connu à Kinshasa d'éminents bourgeois protestants originaires de Nîmes qui maintenant me conviaient à un dîner mondain où l'affaire agitant le ville ne pouvait que rebondir.

Entre temps, l'eau de la Fontaine avait coulé.

Les colonnes de l'ancien théâtre avaient été exilées au bord de l'autoroute en guise de signal, mais curieusement assez loin au bord pour qu'il soit difficile de les voir, sauf en tournant la tête, quand on roule à 130, au moment où arrivant de Marseille on voyait apparaître de loin les tours des HLM des cités périphériques encerclant la cité antique.

Norman Foster, l'international fameux, avait été choisi pour construire le nouveau musée-médiathèque et le trou approfondi de l'ancien théâtre avait reçu en cadeau prolongé souterrainement, le dénommé Carré d'Art, haut mais léger et transparent, inauguré en 1993.

Il s'agissait maintenant de mettre en route le fonctionnement de la nouvelle machine. Le jeune conservateur fraîchement nommé avait choisi pour thème la place de l'objet dans l'art contemporain. Rien de plus classique et même académique pour un musée introduisant loin de Beaubourg les canons d'un art ayant marqué ce dernier siècle finissant.

Mais voilà que sans faire allusion directement à ces objets (et à l'un en particulier), la conversation tournait maintenant autour de la table nappée de blanc et rehaussée d'argenterie et verreries anciennes, autour de ces artistes qu'on aurait pu exposer au musée, au lieu de . . . des artistes, méritants, harmonieux, chantant le sud et ses couleurs.

Je ne disais rien, on me sollicita.

- Auriez-vous préféré que ce nouveau musée d'art contemporain expose Jean-Frédéric Bazille *, mort au combat en 1831 ? Au demeurant, excellent peintre, dis-je aussitôt. 

Oui, c'est vrai, l'un des objets, l'urinoir de Duchamp pouvait apparaître aux yeux de certains, ce qu'il est aussi d'ailleurs, comme une provocation de potache, de carabin, de rapin de très mauvais goût, même posé à l'envers, même authentifié par l'artiste en copie postdatée et signées R.Mutt 1917 (on ne sait exactement combien circulent, peut-être huit ou plus ?) . . . longtemps après que l'original jamais exposé ait été perdu, même garanti par le très sérieux et didactique Centre Pompidou, organisme préteur.

Ce qui est absolument certain c'est que certains Nîmois se sentaient personnellement insultés par cette exhibition-inauguration et aussi que je fus exclus aussitôt et peut-être à jamais de certains cercles locaux, autant que si j'avais uriné à table sous ma chaise, comme le fit réellement, bien plus spectaculairement et plus opportunément dans l'objet incriminé, un artiste provocateur ** qui le fit par deux fois, là le jour de l'inauguration à Nîmes et plus tard à Paris lors d'une rétrospective dada en se payant le luxe de casser à coup de marteau le réceptacle.

*  Bazille, portraitiste et paysagiste largement représenté au musée Fabre de Montpellier.

**  Pierre Pinoncelli, artiste provocateur et auteur de happenings condamné au tribunal d'Avignon pour "parasitisme de la gloire" selon les minutes du procès


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire