lundi 26 février 2024

Absent.

Parfois je suis absent, poursuivant 36 lièvres à la fois.

Ainsi il est bien possible qu'un jour je me délocalise.

La mono-manie, l'obsession de la tâche unique n'a jamais été mon truc, ni ma tasse de thé. Expression qui supposerait encore, condition suspensive, que j'aime le thé. Or j'ai tout essayé, je n'arrive à aimer aucun thé. Le café convient mieux à mon fond de rêveur lymphatique et paresseux contrarié.

Mon regard s'enfonce, revient attentif, ou se perd.

L'enracinement qui me guette quand je deviens casanier, quand je cultive à ma manière sauvage ce lopin de terre, résidu atavique peut-être, pas le lopin mais mon attachement à lui, m'insupporte fondamentalement. Il y a là une contradiction profonde. On ne re-passe pas à rebours du nomadisme à l'agriculture, au labour appliqué à ce sol ingrat.

Je suis très loin d'ici souvent. Loin de vous sans vous oublier pour autant.

Par exemple ce matin j'ai encore rêvé, présent avec moi dans un lieu inconnu, c'était peut-être une île, l'air y était humide et frais, d'un ambassadeur que j'ai eu au-dessus de ma tête en Afrique, à Dakar, en fait au-dessous de mon bureau qui était au dernier et troisième étage avec un balcon et une magnifique vue sur la mer comme vous savez, le sien étant au premier, traumatisé qu'il était par les ascenseurs. Nous parlions dans un moment de loisir, hors toute tâche urgente ce qui dans la réalité n'était jamais arrivé, des avantages et inconvénients d'une vie en province, impensable pour lui et d'une vie à Paris, difficile à choisir pour moi même si de temps à autre j'ai beaucoup aimé y flâner, y voir des spectacles, des expositions et y retrouver des amis inconditionnels et indéracinables de cette capitale. 

Même si j'étais arrivé à aimer vraiment Paris, et j'y serais arrivé à force d'y vivre plus longtemps, j'aurais toujours, il me semble, rêvé sur des cartes, des guides de voyages et eu besoin d'horizons inconnus, de déplacements, d'espaces échappant à l'urbanisation, de rencontrer des gens hors des cercles déjà connus.

Il m'arrive aussi de rester de longues heures, voire des jours, loin d'un ordinateur ou d'un téléphone connecté ou même loin de ces bibliothèques auxquelles je suis tellement attaché, où je classe par genres, les livres majeurs à mes yeux, ceux que j'ai plus ou moins emportés partout, poètes et philosophes, souvenirs de mes recherches, toutes sortes de documents sur les lieux où j'ai pu vivre, dernières acquisitions, apparentes trouvailles susceptibles d'éveiller une curiosité, une forte excitation nouvelle, quelques très rares grands classiques fondamentaux, quelques dictionnaires, Gaffiot, Littré, (Quillet), vieilles encyclopédies, Robert en six volumes, etc . . . 

Lourdeurs. Impedimenta.

Or je suis un piéton, un randonneur solitaire, sans sac à dos, un pèlerin des sites sacrés, mains, tête et épaules nu/e/s, essentiellement, un nageur sans palmes occasionnellement, et surtout un enquêteur observateur amateur d'espaces, de parcours, de repères visuels, de conversations  et de curiosités accessibles sans bus, sans métro, sans vélo.

Finalement je fais partie de ces dilettanti (attesté par Balzac et Jules Verne) qui se passionnent toujours pour les mêmes objets mais avec de multiples alternances (voir, écouter, observer, écrire, dessiner, organiser des rencontres, monter des coups, tenter de comprendre, pénétrer des lieux solitaires, excentriques, m'assoir au bord de la mer, découvrir des ruines, jardins, berges, rives, ce peut être aussi des places publiques, je ne suis pas agoraphobe, choisir mon environnement, tenter de le transformer, au moins imaginer ce qui pourrait être transformé, lire indifféremment toutes formes d'écrits, de documents, de poèmes, de romans oubliés ou non, de biographies, d'histoires locales, aller au-devant des dernières recherches de l'archéologie, de l'ethnologie, explorer la peinture, l'architecture (et accessoirement les bizarreries humaines). 

Ainsi je vous regarde, quand je reviens, avec un sentiment d'étrangeté. 

Je ne vous avais pas vu sous ce jour. Bizarres et lointain, vous êtes. Du coup, je vous trouve chaque jour plus intéressants sur fond de ces choses et de ces êtres lointains que j'ai pu connaître, que je remémore, que je retrouve en songe. Vous avez quand je vous retrouve un air de sérieux, de constance, de stabilité, de puissance qui m'avait, lors de fréquentations quotidiennes, échappé. Si j'en suis plus zombi vous en êtes, aussi lointains soyez vous, plus vivants plus forts. Proches en quelque sorte.

Ainsi, je vous le promets depuis longtemps, vais-je pouvoir vous décrire un à un, successivement et en détails, (vous allez enfin entrer dans mon récit) tel que je vous vois, sans vous nommer.

Car mes yeux absents vous voient, vous observent.

Retournement du miroir que je promène.

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