jeudi 27 août 2020

D de dépiquage.

 Le dépiquage du blé a été tué par les moissonneuses-batteuse.

C'était une fête.

Là j'vous jure on aurait dû porter des masques. 

C'était une fête des brins de paille et de la poussière, on en avait partout, dans les cheveux, dans les yeux, dans les oreilles et surtout dans les naseaux. La chaleur obligeait à respirer à pleins poumons, par la bouche aussi quand le nez finissait par être bouché. Je n'avais pas sept ans, cinq ou six, c'était juste après la guerre puisqu'il y avait encore un grand type blond qui portait sur sa chemise kaki de grandes lettres noires : P G , c'est à dire prisonnier de guerre mis au service d'une ferme qui était juste à côté de la maison, une grande ferme où on faisait tout, le blé bien sûr et quelle fête immémoriale de le récolter, moisson et tout le reste, gerbes, meules montées en énorme escalier en colimaçon si habilement ! charrettes chargées à bloc, cri des bœufs, circulation continue des chargements ! les vaches, le lait, les cochons, les oies, les poules mais pas les moutons ni les chèvres dans ce coin là, relativement riche, et la vigne aussi sur les coteaux pentus et aussi la forge où officiait encore le grand-père de ses bras gigantesques et qui travaillait à la masse de sacrés bouts de fer rougi quand on était en panne de pièces, sans avoir fait aucune étude d'ingénieur en pièces détachées, et qui ferrait les bœufs et les chevaux, spectacle incroyable dont je garde précieusement au fond des sinus l'odeur de corne brûlée et la grande Françoise à peine quelques années de plus que moi mais déjà femme et qui si elle n'allait pas déjà dans les meules de foin, regardait pas mal dans cette direction, j'aurais bien voulu l'y entraîner pour au moins un baiser mais tous ces gens avaient depuis le petit matin un peu bu et auraient ri de voir mon audace, c'est elle quand même qui a pris les devants, souvenir incroyable de salive au soleil et de rires.

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