dimanche 23 août 2020

O d'Observateurs.

 L'observateur Alpha 1, coiffé de son bonnet bardé de technologies et savants bidouillages d'approche, harnaché d'une ceinture portant toutes sortes d'appareils de mesure permettant de localiser et préciser une visée, se tenait sur une petite planète assez éloignée, bien au-delà de Pluton # 367,  cette borne de l'espace qu'on ne pourrait atteindre d'après les calculs terrestres qu'au bout d'un voyage déjà exténuant bien qu'elle accomplisse son tour du soleil en un temps très voisin du nôtre, d'après les mêmes calculs. Il était intrigué et assez exalté, il venait de découvrir, un angle de vision étonnant. Bien plus, malgré son entrainement à la recherche, son esprit et son regard étaient sans arrêt ramenés à ce "coude grossissant" à peine perceptible sur le relevé de la cartographie astronomique. 

(Car comment appeler autrement cet angle à peine marqué et légèrement arrondi, minuscule et perdu, un peu caché derrière l'ombre capricieuse d'une lune tournoyant dans le coin, dans l'étranglement que formaient deux galaxies mortes en train de noircir, un peu comme l'espace qui se dessine entre deux dents jadis jointoyées dont les caries progressives finissent par ménager un créneau où passe la lumière, qui s'avérait à l'usage, par effet de courbure et rebond, par rebords transparents superposés, faire office de lentille grossissante et déclenchant, par hypothétique surcroît - mais comment autrement expliquer le phénomène ? - d'un léger effet de prisme, et produire un reflet rattrapant l'infime déviation de la trajectoire du rayon qu'il captait à l'autre bout). 

Le fait est que cet ensemble occasionnellement réuni lors d'une révolution de ces sphères imparfaites, s'avérait donc former, dans cette perspective d'espace un peu biaisé et télescopé, un appareil optique naturel. 

Il avait donc découvert seul ce point de vue sur notre monde qui lui permettait, au moment où le soleil couchant étirait des ombres sur le sol sableux et rocailleux du désert, d'en saisir, avec beaucoup de difficultés il est vrai, quelque chose, quelques détails et tout cela, cet infime spectacle localisé en un point précis de notre petite planète encore totalement inconnue de lui, décroché d'un rebond de lumière comme d'un rebond totalement fortuit de boule de billard sur la bande, visible seulement pendant un instant très court qui pouvait varier ou ne pas se reproduire. Un éclat dans l’œil aussitôt disparu. Une découpe d'ombre entourée d'un rai de lumière instantané vouée à disparaître aussitôt que projetée. Dans le meilleur des cas, des fragments de silhouettes légèrement rapprochées par le fonctionnement optique assez aléatoire et miraculeux de l'appareil naturel sur lequel il était tombé en parcourant sa tournée quotidienne de chercheur, mais encore infiniment lointaines.

Il n'avait encore parlé à personne de sa découverte, cherchant d'abord à s'assurer qu'il n'était victime d'aucune illusion et espérant bien arriver à mieux distinguer sa prise; pour ce faire il avait fini lors d'une énième observation, juste avant que le spectacle disparaisse peut-être à jamais, par en tirer, sur une série de plaques transparentes à émulsifiant, une suite d'images nettes et contrastée qui le laissait un peu rêveur. Ce qu'on y voyait, c'était on aurait bien dit un être vivant aux allures frêles, élancées, sombre sur un fond clair qui s'éloignait du groupe et allait s'accroupir, repliant nettement ses jambes pareilles à celles d'un batracien, derrière un relief bas, peut-être un rocher disposé au bord de la piste suivie par tous. Il ou elle - à supposer qu'il s'agisse bien d'un être vivant - y restait un petit moment, comme caché de ses semblables et revenait bientôt parmi eux pour suivre la progression du groupe laissant très nettement des traces de pas sombres, pieds ou pattes, sur la surface pâle.

L'observateur Béta 212 se trouvait beaucoup plus proche puisqu'il était déjà parmi nous. Rien ne le distinguait de l'un de ces chats Maine Coon devenus en si peu de temps tellement recherchés dans les familles malgré leur prix d'achat devenu ces derniers mois exorbitant. Leur taille, leur prestance et leur humeur généralement assez placide les avait fait adopter dans le monde entier, d'autant qu'ils miaulaient d'une voix douce et devenaient des vrais pachas de sybaritisme tranquille quand ils étaient en confiance dans une maison. C'est beaucoup plus tard qu'on apprit qu'ils avaient d'autant plus facilement trompé tout le monde, avec leur regard impassiblement rond comme une agate, parure imparable de grands étonnés - et moi le premier en accueillant sans précaution et sans soupçon aucun celui de mon voisin sur les coussins de mon divan - que cette race hybride de demi-lynx et matous domestiques avait été conçue non pas dans le Maine comme tout le monde l'avait cru, mais entièrement fabriquée dans l'île de Vancouver, en grand secret à partir d'une enquête menée sur un bon millier d'amateurs de chats en étudiant y compris les fantasmes et les rêves de ces doux passionnés, mais surtout en prévoyant de remplacer sur certains spécimens spécialement beaux, impressionnants, nobles dans leurs attitudes et voués à ronronner à la moindre occasion de bonheur, leur pupille et leur iris par des caméras connectées et miniaturisées.

Vous n'imaginerez que très difficilement qui était le troisième observateur.



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