jeudi 27 août 2020

V de vieillir.

Il paraît qu'on peut vieillir bien ou mal, en tout cas, vieillir est un combat qui continue, à vrai dire rien n'a changé. 

On croyait peut-être en avoir fini avec ces retournements, ces mauvaises surprises, ces angoisses du matin, ces labeurs interminables, ces programmes intenables, ces chefs odieux ou même ses velléités humanistes ou humanitaires d'être un bon chef, ces joies fugitives, ces plaisirs trois fois éphémères à tous les étages, bin non, ça continue de plus belle même quand tout était organisé et pas qu'un peu pour essayer d'affronter les derniers obstacles, mais justement, se battre c'est terriblement excitant, non ?

Tiens ce matin, j'adore cette grosse insomnie d'où reprise en main de quelques projets.

Et puis aussi je dois reprendre, en dépit de tout, tous ces travaux quotidiens comme si de rien n'était.

Me voilà un peu épuisé mais je récupère vite et le café va être d'autant meilleur.

Ma compagne dort, ce qui habituellement n'est pas le cas, elle a plus de courage que moi, presque. Il lui en faut.

Je me souviens de ces derniers poèmes de Senghor, aux alentours du cap de ses 70 ans, écrits tôt le matin, vers six heures, avant de prendre ses fonctions officielles de président tout le jour et de continuer jusqu'à minuit pile; on lui reprochait de ne plus voir la vie qu'en survolant son pays qu'il parcourait de moins en moins au niveau du sol et des misères du peuple, c'était vrai . . .  ses déplacements se réduisaient en effet de plus en plus à aller tous les week-ends de Dakar à Popenguine en hélicoptère où il se baignait. 

Il avait 70 ans, j'en avais un peu plus de 30, il m'a fait découvrir ça : 

la vieillesse, mes jeunots, c'est un peu ça, se battre en bas, au ras des pâquerettes à pas d'heure ou très tôt, encore un temps, tant qu'on le peut, et de temps à autre voir tout ça du haut d'un hélicoptère en survol rapproché (en quelque sorte).

L'ambassadeur Joan Cabral de Melo Neto du Brésil nommé à Dakar qui était lui aussi un vieux et grand poète mais peu traduit en français, continuait à s'étonner tous les matins pendant ce temps-là. On l'avait évidemment nommé pour être en accord avec Senghor et peut-être était-ce aussi un poète qui l'avait ainsi nommé, depuis Brasilia, en symétrie géographique. Levé lui aussi à 5 ou 6 heures il continuait bien sûr à écrire et disait s'étonner chaque jour de ne voir du soleil que la lueur naissante au-dessus de la terre à peine reflété sur la mer sans nuage et en revanche de le voir se coucher exactement 12 heures plus tard sur l'océan où il avait, dans son pays, l'habitude de le voir se lever.

Y aura-t-il de nouveau des temps ainsi ? s'interroge maintenant le jeune homme devenu vieillard ? où la littérature au plus haut niveau n'interdisait ni les postes diplomatiques ni les fonctions politiques majeures, ou cela n'arriverait plus jamais ? même plus en Europe devenue pragmatique et près de ses sous ? forcément après deux guerres et des envolées et retombées idéologiques désastreuses ou à jamais criminelles, génocidaires ?

Enfin, au moins une chose nous sera apparue, quelle que soit la différence entre un homme et un autre, quel que soit le fossé, le fleuve ou l'océan et les ramparts qui séparent tant de types d'humanité, il n'y a pas véritablement de surhomme, de géant, de génie, de fou ni d'ambition qui puisse imposer les lubies de sa petite et monstrueuse personne gonflée à l'helium, sans être rattrapé par sa face à peine cachée et ses objectifs d'animal médiocre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire