dimanche 13 décembre 2020

Couvre-feu.

Je me souviens de mon arrivée à Lima. 

Encore dites-vous ? Oui, j'y suis resté six ans, le temps d'y franchir déjà (oui ça passe vite la vie) l'âge supposé être celui de la maturité et des premières lunettes posées sur le nez pour déchiffrer les petites lettres, c'était déjà beaucoup et ça m'a paru presque plus long encore. Donc le souvenir de Lima, des découvertes, déconvenues, victoires et tribulations et amitiés que j'y fis, revient de temps à autres. 

Pourtant Lima est une "sale" ville, non seulement noyée (presque . . . enfin si l'on veut rester modéré) chaque jour sous la brume d'un ciel opaque et bas qui finit par mouiller et glacer jusqu'aux moelles le creux des os, même s'il n'y pleut jamais, oui c'est ainsi, le résultat d'un pernicieux courant maritime repéré déjà par Alexandre Humboldt, même s'il n'y fait jamais froid, au moins 14 ou 15 degrés en hiver; 

mais le problème n'est pas là, il est dans la suintante tristesse de ses murs et de ses rues, de sa végétation rabougrie par manque d'eau (et pas seulement cela). Nous sommes au bord du désert et de son peu accueillant océan gris, plombé, opaque. Car Lima, capitale d'un pays andin, est par mauvaise blague des autochtones qui accueillirent un peu étonnés et soupçonneux les conquistadors - et selon la légende malicieuse, vraisemblable et tenace -, leur recommandèrent l'endroit, au bord de la mer au plus mauvais endroit de la côte . . . (bougez un peu, au nord et au sud, il risque d'y faire meilleur, montez quelques kilomètres de pente, il fera presque à coup sûr beau).  Capitale maritime, Lima a pour port, comme d'autres ont Barceloneta ou Le Pirée, El Callao, auquel elle tourne elle aussi le dos très consciencieusement, comme Barcelone ou Athènes, aveugle ou presque au Pacifique souvent déchaîné et qui en retour ne déclenche jamais d'orages au-dessus d'elle. Ici c'est donc à première vue la tristesse infinie qui enveloppe la ville où l'exubérante latinité, pourtant présente, voilée, souterraine, masquée, étouffée, a du mal à trouver ses marques.

C'est que Lima, outre son climat et son climax, souffre de toutes sortes d'équivoques dont la moindre, à part la brume, n'est peut-être pas qu'elle fut dénommée Lima la horrible, tout à l'inverse (mais non sans rapport) de Kinshasa, ville sans équivoque, ville de misère, massacres, désastres, qui fut il y a bien longtemps dénommée Kin-la-belle, non par antiphrase mais par idéalisation coloniale des maîtres de l'époque. Lima-la-horrible quant à elle soufre encore aujourd'hui, à l'opposé de Kinshasa qui n'ose se prévaloir de son ancien titre, du label que lui donna le poète et dramaturge brechtien Sebastian Salazar Bondy, mort à 41 ans, dans le titre de son fameux et remarquable essai publié au Mexique en 1964.

Salazar Bondy démonte pièce à pièce les équivoques, tromperies et illusions de ce qu'il appelle 'l'Arcadie coloniale" de LIma, mythique Age d'Or dont le bonheur et l'harmonie supposés furent longtemps plaqués sur ce que Lima était devenue entre-temps, ville cosmopolite certes mais devenu lieu de convergence de déracinés venus des quatre coins du pays ou de beaucoup plus loin quand il s'agissait d'esclaves africains ou plus tard de main-d'oeuvre importée de l'Orient lointain et en particulier de Chine.

Un peu plus tard, dés les années 80, jusqu'aux débuts 90, ce titre incompris et résonnant comme une injure, titre d'un petit livre d'ailleurs peu répandu à la vente dans les librairies, était devenu la couronne d'épine de tout ce que Lima devait endurer comme malheurs, militaires, politiques, économiques, sociaux, urbanistiques, humains en un mot, outre son climat devenu symbole de fatalité du désastre. Or c'est là que, pendant une période de couvre feu, pendant la lutte du gouvernement contre l'insaisissable Sentier Lumineux inspiré des derniers courants maoïstes, j'ai dû débarquer comme "délégué" d'une association culturelle à vocation internationale.

Tirs de mitraillette dans la rue, chars d'assaut sur les places publiques, mon premier souvenir personnel est celui de l'accueil d'une personnalité à l'aéroport en pleine nuit, je n'avais pas encore de voiture personnelle, dans un taxi conduit par une femme, elle avait un laisser passer et moi aussi, elle était sortie de son mutisme au bout de dix minutes de course pour me dire quelques mots des difficultés de sa vie, quand nous avons longé une prison bien connue d'où montaient des cris et bientôt un tir de mitrailleuse, mais nous étions assez loin déjà, suivi d'une explosion.

(A suivre . . ., évidemment)


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